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« L’expérience, ce n’est pas ce qui arrive à quelqu’un, c’est ce que quelqu’un fait avec ce qui lui arrive ». Inspirés par Aldous Huxley, nous traçons quelques pistes pour poursuivre la réflexion.

Les soins de santé primaires se situent du côté de l’offre, organisée au sein d’un système de santé efficient. Les soins de première ligne se situent du côté de la demande, celle que les patients adressent aux différents services de proximité pour résoudre leurs problèmes de santé. Idéalement, offre et demande devaient concorder. Comme le souligne le Collège intermutualiste national, notre système de soins doit être piloté par les besoins de la population et non par l’offre. Pour cela, la constante concertation entre le politique et les acteurs de terrain s’avère plus que nécessaire. À condition de remettre les enjeux de santé publique au centre des préoccupations des parties prenantes. La tendance est à la multiplication d’acteurs dont les missions d’analyse et/ou de coordination et d’information se situent à des niveaux divers (fédéral, régional, provinces, communes) et parfois sur des territoires qui ne correspondent pas à un découpage existant. Cette diversité invite à penser la concertation dans les différentes régions, à viser la cohérence du système pour l’ensemble des citoyens. Il s’agirait aussi de retrouver de la cohérence dans l’action publique aux différents niveaux de pouvoir en mettant en œuvre le concept de l’OMS « santé dans toutes les politiques ». Cela passerait par mise sur pied de dispositifs d’analyse d’impact en santé des politiques publiques.

Territoires

Un découpage en zones permet une approche de santé publique qui intègre mieux l’action curative, préventive et communautaire. Actuellement, des zones se définissent à différents niveaux : la réforme de financement des hôpitaux pousse à structurer des territoires via la mise en place de réseaux hospitaliers sur des zones géographiques de 400 à 500 000 habitants, la Région flamande organise des zones de première ligne de 100 000 et des propositions pour des centres de santé globaux à Bruxelles avancent une population de 5 000 à 10 000 patients. On voit poindre une organisation en cercles plus ou moins concentriques où les différents niveaux d’organisation du soin s’imbriquent en fonction de territoires de dimensions variées. A contrario, le modèle québécois a poussé les limites du territoire de ses « Centres intégrés de santé et de services sociaux » à 350 000 habitants pour la ville de Montréal. Une démesure et un découpage arbitraire et administratif qui désintègrent les missions locales de ces centres. Bref : la voie à ne pas suivre, résultat d’une réorganisation par un gouvernement libéral qui vise à réduire les dépenses de santé et produit des mesures ne tenant pas compte des modes de vie et des besoins de la population. À l’opposé d’une définition par le nombre, pourquoi ne pas envisager le territoire de vie ? Celui au sein duquel les gens se déplacent en fonction de ses limites naturelles, de ses ressources, de ses axes, de ses identités… L’accessibilité des services de proximité ne peut se penser sans tenir compte de la façon dont les gens se meuvent au sein des quartiers, des communes, des provinces. Si cela semble irréalisable, c’est parce que cette démarche pose le système en tant que dynamique et invite à sortir des modes d’organisation statiques auxquels nous sommes habitués. Elle contribue en revanche à placer réellement le patient au centre du système de soins.

Collaborations

La notion de soins de santé primaires inclut les déterminants non médicaux dans l’analyse des problèmes de santé. Elle permet de situer, dans un système cohérent, la place et le rôle des différents acteurs, y compris ceux de l’action communautaire en santé. De plus en plus de généralistes sont conscients de l’impact des déterminants psychosociaux et environnementaux sur la santé des patients. Mais ils ne sont guère informés ni formés à travailler avec d’autres professionnels du soin et du social, avec des structures en charge de la prévention et de toute autre organisation développant des actions sur les déterminants de la santé. Faute de les identifier, de connaître leurs moyens d’action, et par souci de préserver le secret professionnel, les collaborations sont difficiles à envisager. Médecin, infirmière, kiné, diététicien, pharmacien, travailleur social, psychologue, éducateur à la santé, animateur en santé communautaire, sage-femme, aide-soignant… Quels sont les métiers utiles à la réalisation des missions de première ligne ? Un travail d’importance est à mener pour les lister, les décrire, en définir la complémentarité en tenant compte de l’évolution des problèmes de santé et des ressources disponibles, de certaines pénuries et du développement de nouvelles techniques et de professions de soins. De nouvelles fonctions – coordination de soins, travailleur social généraliste pour accompagner les prises en charge au niveau de la première ligne de soins – pourraient se créer en fonction des différents enjeux de l’évolution du modèle des centres de santé.

Coordinations

Difficile d’envisager la coordination au sein des centres de santé sans envisager la coordination au sein de la première ligne, avec l’ambulatoire, et entre la première et la deuxième ligne de soins. Pour ce faire, quelques points d’attention : structuration en trois niveaux de soins cohérents et spécifiques s’adressant à toute la population, pas de trou fonctionnel, pas de recouvrement, un système d’information cohérent et structuré, la participation de la population et des individus à la promotion de la santé et aux prises de décision à tous les échelons. Reste à savoir à qui il reviendra de veiller à ces points et de coordonner les différents niveaux… Au sein des centres de santé, poursuivons la réflexion sur la fonction de coordination de soins, rendue nécessaire dans les centres de santé de première ligne où sont prises en charge des situations de plus en plus complexes.

Agréments et financements

Une première ligne forte ne sera possible que si le financement suit. Face au politique qui ne joue pas son rôle de cohérence dans l’organisation de l’ensemble du système de santé, les acteurs de terrain ont à s’organiser et interpeller, argumenter et proposer, faire évoluer les agréments, sortir d’une approche par silo et pousser à l’amélioration de la concertation entre les différents niveaux de pouvoir. La santé communautaire a un rôle important à jouer dans l’approche globale. Ces pratiques devraient être reconnues et financées aussi en dehors des maisons médicales.

Avec les parties prenantes

Une dernière piste : réfléchir avec les parties prenantes. Organiser des rencontres avec le politique, les prestataires de soin, les intervenants du social, les acteurs de la santé et leurs représentants pour poursuivre l’analyse des conditions d’une réorganisation. Avec les patients ? Ils ont un avis et une expertise qui ne convergent pas toujours avec ceux des soignants, et quoi de plus normal puisqu’ils approchent le système de santé par des angles opposés. C’est la richesse de la démocratie sanitaire de ramener leur point de vue dans la concertation sur l’organisation du système de soins. Comme pour les autres acteurs, une bonne représentation s’appuie sur une connaissance des réalités de terrain. Peut-être cela passe-t-il par des organes représentatifs qui observent et analysent ces réalités diverses.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°85 - décembre 2018

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