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La santé communautaire, un long fleuve tranquille ? Développement d’une dynamique de quartier

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Santé conjuguée n° 49 - juillet 2009

D’un projet de santé communautaire à la redynamisation d’un quartier, un travail dans la durée.

Depuis plusieurs années, la maison médicale du quartier des Arsouilles conduit dans le quartier situé rue Saint-Nicolas et alentours, à Namur, un projet de santé communautaire axé sur les déterminants de santé liés au territoire de vie. Elle reçoit pour ce travail le soutien financier de la Communauté française, secteur promotion de la santé.

Au départ, un lien pas très consensuel entre logement et problème de santé

A l’origine de ce projet, un double constat au sein de la maison médicale. Premier constat : l’état de santé physique de la population du quartier qui fréquente la maison médicale est préoccupant : les problèmes de maladies cardio-vasculaires, de diabète, d’obésité, de maladies respiratoires, d’abus de psychotropes, d’alcool et de drogues y sont particulièrement fréquents et graves. Paradoxalement, cette situation ne semblait pas s’améliorer du fait de l’implantation de la maison médicale et de notre action en soins de santé qui se voulait pourtant la plus adaptée, accessible et soutenante ; d’un autre côté, nous pouvions constater que, globalement, cette population était fortement consommatrice de soins de santé ce qui renforçait encore le paradoxe. Second constat : l’habitat dans le quartier (habitat compris au sens large, évoquant aussi bien les conditions de logement que l’environnement urbain, social, culturel) nous paraissait à la fois délabré, insalubre et générateur d’une sorte d’état dépressif collectif (identité sociale négative, sentiments de dévalorisation et de honte par rapport au site habité) dont nous avions l’intuition qu’il empêchait les habitants de se soucier correctement de leur santé. Après réflexion, l’équipe de la maison médicale adopta l’idée d’essayer une approche nouvelle, de type communautaire, pour tenter d’infléchir des processus défavorables à la santé et liés à la situation du quartier. Un premier projet fut donc lancé dont l’objet portait essentiellement, d’une part, sur l’élaboration collective d’un diagnostic communautaire à propos des conditions d’habitat dans le quartier et, d’autre part, sur un début de mobilisation de toutes les catégories d’acteurs du quartier : la population ainsi que le tissu associatif et politique concernés. Le travail de diagnostic entrepris avait choisi comme porte d’entrée la thématique de l’habitat, au sens large du terme, et des liens avec la santé. Celui-ci a été réalisé grâce à une enquête auprès des habitants et associations. Les résultats bruts furent affinés en groupes de discussion par catégories d’acteurs. L’expérience nous a montré que, si la population a accueilli favorablement notre démarche, elle n’est toutefois pas prête à se mobiliser sur les liens, hypothétiques ou avérés, entre logement familial et problèmes de santé. Nous pensons aujourd’hui que, poussée plus loin, cette démarche risquerait d’être vécue comme intrusive à l’excès, portant en soi le risque de révéler les failles et les défauts d’un habitat intérieur, malgré tout considéré par les personnes comme un symbole qui représente les personnes et la cellule familiale. Par contre, tout au long de notre démarche, les habitants se sont montrés très prolixes sur l’analyse des problématiques liées à la vie sociale et associative dans le quartier. Ils se sont aussi montrés plus enclins à se mobiliser dans cet axe-là. Des groupes de travail composés de représentants d’habitants, d’associations et de pouvoirs publics ont ainsi été créés sur ces sujets : l’interculturalité – le logement – le vivre ensemble entre adultes – les enfants et adolescents.

Une dynamique fragile

A l’issue de ce premier projet, il apparaissait d’évidence que le travail de diagnostic réalisé jusque là et les projets mis sur pieds par les groupes de travail donnaient sens à une seconde phase de travail. La population aspirait fortement à ce que l’action entreprise se poursuive et le tissu associatif, qui jusque là s’était peu intéressé à un travail de développement social et de santé communautaire dans le quartier, avait témoigné d’un intérêt réel pour le projet et semblait désireux de s’investir à plus long terme dans le développement du quartier. La démarche fut donc poursuivie dans la perspective de consolider la mobilisation communautaire naissante. Nous cherchions avant tout à mettre en route des activités communautaires qui pourraient être source d’amélioration des conditions de vie collectives et améliorer l’image du quartier. Bien que de dimension résolument communautaire, ces objectifs nous paraissaient de nature à soutenir la santé de la population. Nous avions, bien entendu, conscience de la dimension très intersectorielle de ce projet qui se situe au carrefour de la santé, de l’action culturelle, de l’éducation populaire, du développement social. Cependant, la mobilisation communautaire naissante du quartier restait alors très balbutiante et fragile. La maison médicale avait alors jugé déterminant de conserver, pour encore un temps, un rôle central au nom de la promotion de la santé. La situation s’est modifiée fortement et favorablement aujourd’hui et toute une série d’acteurs de secteurs divers s’impliquent maintenant dans la vie de quartier. La démarche de diagnostic nous avait amenés à penser le développement communautaire du quartier dans la perspective du long terme. Dans cette logique là, le développement d’un organe de concertation de quartier, récoltant en permanence les besoins et les avis des différents acteurs de la vie de quartier (ainsi que nous avions pu le faire dans le décours de la démarche de diagnostic) et aidant la réflexion quant aux orientations et perspectives à soutenir nous paraissait un besoin fondamental. En effet, cette structure serait de nature à assurer, dans la durée, l’existence de lieux d’expression et d’écoute, ainsi qu’une vigilance sur la situation globale du quartier. Aujourd’hui, cette structure de concertation voit petit à petit le jour. Les associations ou services publics qui le désirent y sont représentés via une ou plusieurs personnes de leur équipe. Ils y témoignent de problèmes qu’ils rencontrent et auxquels ils aimeraient trouver une réponse. Ils y amènent également leur éclairage professionnel particulier sur certaines questions que d’autres se posent.

En douceur, prise en charge par les habitants

La population, bien sûr, a également sa place dans cet organe de concertation communautaire. Elle y est représentée par un comité d’habitants. En effet, notre expérience des groupes de travail mixtes nous avait montré qu’il était encore un peu tôt pour rassembler les habitants et professionnels autour d’une même table et autour d’activités communes. L’idée d’impulser la création d’un comité d’habitants est donc venue assez naturellement car elle combinait différents paramètres importants récoltés tout au long de notre démarche : celui-ci permettrait de ne rassembler que des habitants, ce qui les mettrait sans doute plus à l’aise pour prendre la parole et leurs attentes seraient plus compatibles. Nous espérions aussi que la meilleure connaissance d’autrui, par le biais d’activités conviviales mènerait à une envie commune de construire des projets à plus long terme et de défendre les intérêts du quartier envers les pouvoirs publics, ensemble, avec les associations. Nous pensons que cette manière de mêler à la fois le débat de fond avec les concrétisations permettra probablement mieux aux habitants de s’approprier petit à petit le sens de ce qu’est une concertation communautaire. Cette idée semble porter ses fruits. En ce qui concerne la maison médicale, elle souhaitait, à terme, reprendre une place d’acteur au même titre que les autres et ne plus être porteuse du projet. Avant de quitter cette place, elle s’est assurée de la pérennité du projet en faisant en sorte qu’il soit porté par une autre structure. Une asbl est née, ayant pour objet d’assurer la concertation au sein du quartier. Elle porte le nom de Coquelicot (Concertation – quartier – lien – coordination) et rassemble divers acteurs : habitants, associations, pouvoirs publics. Elle est un outil, un moyen de faire fonctionner la concertation. Après cinq ans de projet, des bases solides sont ainsi posées pour un travail de redynamisation du quartier et de sa population. L’avenir nous dira si une concertation à l’échelle d’un quartier est un outil valable d’interpellation des pouvoirs publics et d’action à dimension communautaire. Quant à la maison médicale, elle souhaite poursuivre son action de santé communautaire au sein du quartier. Elle réfléchit actuellement à des projets qui soutiendraient l’insertion sociale et la santé mentale des habitants.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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