Santé conjuguée : travail social en mutation
Les crises qui se succèdent (pandémie, énergie, climat, tensions mondiales…) rendent le travail social plus complexe qu’auparavant. Celui-ci continue aussi de s’inscrire dans un paysage politique qui tend à conditionner les aides aux plus précarisés, à les stigmatiser, à les contrôler. Alors que nous assistons à un glissement généralisé du prisme politique vers la droite et l’extrême droite, réconcilier action sociale et action politique n’a jamais été aussi urgent.
Le dernier dossier de la revue Santé conjuguée de la Fédération des maisons médicales, intitulé « Travail social en mutation » examine, depuis plusieurs points de vue, les évolutions du travail social. Indicateur de l’état de notre société, celui-ci est confronté à un nombre de dossiers à suivre toujours plus grand, à des problématiques de plus en plus complexes, à des procédures de plus en plus fastidieuses, à des modes de financement de plus en plus précaires. Conséquence, le travail social est devenu peu attrayant, car il s’éloigne de facto de ce qui l’anime : la restauration de la dignité et l’accès aux droits fondamentaux.
Les crises se suivent et leurs effets se cumulent ; elles se greffent, aussi, à un contexte de crise structurelle du logement. Plus de 160.000 personnes sont aujourd’hui bénéficiaires du revenu d’intégration. Un chiffre en constante progression, mais qui n’est que l’arbre qui cache la forêt. Dans ce contexte, les travailleurs sociaux jouent le rôle de « régulateurs de la pauvreté ».
Les personnes concernées par des situations de précarité rencontrent de nombreuses difficultés pour faire valoir leurs droits. Absence d’informations concernant les procédures, manque d’accessibilité aux services, retards dans l’examen des demandes, enquêtes intrusives, numérisation des services, etc. : « De façon générale, on peut caractériser l’examen d’une demande de revenu d’intégration ou d’aides sociales comme un parcours du combattant tant il est difficile de satisfaire à toutes les exigences du CPAS, alors qu’il s’agit d’un droit élémentaire», commente Bernadette Schaeck, de l’Association de défense des allocataires sociaux (aDAS).
À la honte de vivre exclues, isolées, dans des appartements exigus, à l’humiliation de devoir raconter leur vie dans tous les services, à l’affront de devoir demander de l’aide, s’ajoute pour les personnes précarisées « l’assignation à cette identité de profiteur, d’assisté », nous dit aussi Maryline Guillaume, assistante sociale et cofondatrice de la maison médicale Mosaïque à Verviers. Une image sur laquelle ne cessent de surfer certains partis politiques élus ce 9 juin 2024 afin de justifier le renforcement des mesures d’activation.
Face à ces évolutions, mais aussi à celles de la dégradation des conditions de travail (sous-rémunération, épuisement professionnel), de la bureaucratisation voire de la politisation du travail social, les CPAS et d’autres institutions peinent à recruter.
« Le travail social en maison médicale est-il différent d’ailleurs ? Je le crois. C’est aussi un travail politique », avance en introduction de ce dossier Maryline Guillaume (maison médicale Mosaïque, Verviers). Car « derrière les apparences, chaque personne mérite respect et dignité. Dans mon bureau chaque jour, chaque intervention contribue à cette dignité ». Travailler le social sans s’attaquer aux causes de la pauvreté et des inégalités, « c’est un peu comme vider l’océan à la petite cuillère. C’est long, c’est lent, c’est épuisant », répond, en miroir, Stefania Marsella, assistante sociale à la maison médicale Calendula (Ganshoren), qui nous invite à réconcilier au plus vite action sociale et action politique.
(Re)politiser le travail social d’aujourd’hui, c’est revenir à ses fondements. Un virage qui nécessite de remettre en cause la contractualisation et l’activation dans lesquelles il s’inscrit ; de laisser de côté l’obsession de la lutte contre la fraude sociale qui va à l’encontre de toutes les déclarations en faveur de la lutte contre le non-recours aux droits ; et de refinancer le champ du social de manière structurelle et en fonction des besoins observés sur le terrain. Des défis qui, s’ils ne sont pas relevés dans les années à venir, risquent de mener à une aggravation des inégalités sociales et des situations de pauvreté.