« Nous, médecins, qui ne faisons pas grève ce 7 juillet… » Le Soir
Nous sommes en désaccord avec la politique du gouvernement Arizona sur de nombreux points, et, tant les méthodes que le manque de concertation de Franck Vandenbroucke sont discutables. Sa proposition de “loi-cadre”, contre laquelle certaines organisations de médecins se mobilisent, ne va pas résoudre les problèmes structurels de notre système de santé. Elle ne s’attaque ni au problème de la pénurie de soignants à tous les niveaux, ni à celui du sous-financement hospitalier, des listes d’attente interminables, de l’absence de politique de prévention ou des marges de profits indécentes des entreprises pharmaceutiques.Le Ministre Vandenbroucke amène une proposition de loi fourre-tout, qui comprend un grand nombre de points très divers, en les imposant verticalement, by-passantl’étape essentielle de concertation avec le secteur. C’est évidemment une erreur.
Que contient cette loi ? Le point central est d’inciter au conventionnement des médecins généralistes et spécialistes, de limiter les avantages des médecins déconventionnés et de limiter les suppléments d’honoraires qui peuvent être demandés.
Premièrement, M. Vandenbroucke voulait supprimer le statut “conventionné partiel”, en raison “d’abus” jugés trop fréquents. Rappelons que le système de conventionnement permet aux médecins de proposer un tarif abordable pour le patient, négocié par la convention médico-mutualiste en échange de droits sociaux plus avantageux. Le conventionnement partiel est une situation hybride où le médecin peut appliquer le tarif conventionné à certaines heures ou endroits, et le tarif qu’il souhaite à d’autres.Il s’agissait d’un point très critique pour certains médecins, ce qui a été entendu par le ministre lors d’une réunion de concertation le 03 juillet où Vandenbroucke s’est engagé à maintenir ce statut hybride. La concertation est donc bien en cours!
Ensuite, et c’est en fait le cœur du sujet, il y aurait une limitation des suppléments d’honoraires, et donc de la partie que les médecins peuvent faire payer aux patients, non couverte par la sécurité sociale. Il s’agirait d’une limite de 125% pour les tarifs hospitaliers (donc si une hospitalisation coûte 100euros, elle pourra être facturée maximum 225€ au total) et de 25% pour les frais ambulatoires (info mise à jour le 7 / 07/2025). Actuellement, la moyenne des suppléments hospitaliers est de 106%, c’est donc de toute évidence une petite minorité de médecins qui est concernée dans le secteur hospitalier. Dans le secteur ambulatoire, la moyenne des suppléments est plutôt de l’ordre de 50-80%, et donc il s’agit d’une limitation très marquée.
Bien sûr on peut discuter de quel pourcentage serait le plus raisonnable et c’est sûrement l’enjeu des discussions qui continuent à avoir lieu entre les syndicats de médecins et le cabinet ces derniers jours. Mais fondamentalement, la réalité est indéniable et documentée : l’aspect financier devient de plus en plus un frein à l’accès aux soins, le déconventionnement explose et ne connaît aucun encadrement, la pauvreté s’approfondit dans notre pays et des couches de plus en plus larges de la “classe moyenne” se retrouvent précarisées. En 2024, 41% des Belges auraient reporté des soins de santé en raison de manque de moyens financiers1.
Certains avancent “qu’on ne réglemente pas les prix d’autres métiers”. Certes… Mais la profession médicale, chères consœurs chers confrères, a une dimension particulière qui ne relève pas de “l’entreprenariat” classique contrairement à ce que certains syndicats prétendent. Nous prêtons serment, nous assurons un service qui est un droit dans un pays comme le nôtre, et nous occupons une position tout à fait particulière dans la vie des gens et de la société. Il est tout à fait légitime que la société légifère sur notre cadre de travail, tout comme elle le fait pour les autres droits fondamentaux, d’autant plus qu’une partie importante de notre revenu vient des remboursements par les mutuelles et l’INAMI et qu’il s’agit donc d’argent public.
Cessons de tourner autour du pot, aucun médecin devant limiter ses suppléments d’honoraires ne se retrouvera à la rue, les chiffres de revenus nets après impôts des médecins ont été plusieurs fois étudiés, et ne faisons pas croire qu’il s’agit d’un combat contre la précarité des médecins. La preuve en étant les médecins, généralistes ou spécialistes, qui ont un niveau de vie plus que décent tout en étant 100% conventionné. Si les horaires sont intenables et les semaines de 70h, il faut s’attaquer au problème de la pénurie, et pas en faire une fierté de sacerdoce qui engendre de la souffrance chez les médecins et justifierait une envolée des prix pour les patients.
Le syndicatmédical Absym, qui a plus ou moins rassemblé la moitié des voix aux dernières élections médicales (avec une participation de 35%), est à l’avant-poste du combat contre cette loi-programme. Dans sa communication, la menace d’une “médecine d’état”, qui masque mal le fait que ce syndicat était non seulement aux abonnés absents quand toutes les autres professions du secteur de la santé ont été attaquées et les budgets rabotés, mais qui était également activement hostile à la formation de plus de médecins à travers les quotas de numéros INAMI.
Où était l’Absym quand le secteur infirmier et hospitalier se mobilisait pour le refinancement ? Où était l’Absym pour défendre les pensions des travailleurs de la santé ? Où était l’Absym, les 25 juin, 31 mars ou 13 février pour défendre les acquis sociaux menacés par les autres réformes de l’Arizona, qui impacteront directement nos patients, leurs revenus et leur accès aux soins ? L’Absym a en outre une responsabilité écrasante dans l’instauration et l’inflexibilité du Numerus Clausus, cause première de pénurie de médecins, alors que toutes et tous nous souffrons de cette pénurie aujourd’hui.
Ne nous trompons pas de combat, si tout n’est pas à prendre dans cette proposition de loi, il est plus que temps de se rappeler le serment qui nous engage tous et toutes en tant que médecin, et la déontologie qui est la nôtre : « Le médecin place les intérêts du patient et de la collectivité au-dessus de ses propres intérêts financiers. »D’ailleurs, plusieurs autres syndicats médicaux se montrent opposés à la loi mais avec beaucoup plus de nuance et n’ont pas appelé à cette grève (GBO, MoDeS…).
Parce qu’au-delà du microcosme des médecins, notre réalité de tous les jours c’est que les patients, même non-BIM, se voient proposer un rendez-vous dans 3 mois au tarif conventionné, ou la semaine qui suit en déconventionné. Actuellement, la part des frais de santé payée par le patient (“out of pocket”) se situe parmi les plus hauts d’Europe.
Tout ce qui peut participer à rendre les soins accessibles et à empêcher une médecine à deux vitesses doit être mis en œuvre. L’accessibilité n’est pas un luxe, c’est un pilier fondamental de la santé publique. Et c’est ensemble — soignants, patients, citoyens, décideurs — que nous devons la défendre.