Une politique du médicament au service de la sécurité sociale
Wathelet Thierry
Santé conjuguée n° 38 - octobre 2006

Il ne faut pas être un grand observateur de la vie politique pour s’apercevoir que le politique a mis en place ces dernières années des stratégies pour mieux contrôler les dépenses liées aux médicaments. Pourquoi un tel acharnement, quel en sont les enjeux, les motivations et les objectifs escomptés? Une interview de François Sumkay, médecin, directeur médical à l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, co-president de la Commission des profils des médecins généralistes
Pour pouvoir cerner au mieux ces questions, quelques petits rappels s’imposent. Le système de la sécurité sociale belge, même s’il reste dans certains domaines lacunaires, est néanmoins l’un des plus performants d’Europe, voir du monde. Si nous voulons pouvoir le sauvegarder, il nous faut garder trois priorités : le respect de la qualité à la fois des services rendus et des produits fournis, l’accessibilité de ceux-ci à tous les citoyens, et la pérennité du système basé sur la solidarité. Pour atteindre ce triple objectif, le ministre de la Santé est conseillé par un organe de gestion appelé Comité d’assurance. Contrairement à d’autres pays, le nôtre a ceci de particulier que les mutuelles sont co-gestionnaires du système des soins de santé. A ce titre, elles participent au comité d’assurance de l’INAMI, lequel a pour mission d’émettre des propositions de gestions et de décisions à transmettre au ministre. Elles représentent donc les « utilisateurs » des soins et ceci à parité avec les prestataires de soins. Une telle représentation devait per- mettre de gérer à la fois la qualité de l’offre de soins et sa pérennité.
Les moyens d’actions
1. La promotion des médicaments moins chers Un des chantiers mis en place a été celui d’une certaine promotion du médicament moins cher, d’une part en définissant un cadre légal, pour le produit générique et d’autre part, en er introduisant, depuis le 1 juin 2001, le système de remboursement de référence. Un générique est donc, de par la loi, un médicament « essentiellement similaire» à celui de marque dont la molécule est hors brevet (vingt ans après le dépôt de brevet): même composition, même qualité et même bio- disponibilité afin d’assurer à chaque malade « l’équivalence thérapeutique». En outre, son prix de vente doit être inférieur à l’original d’au moins 30% (1er juillet 2005). 2. Le système de remboursement de référence Depuis l’introduction de ce système, le montant du remboursement d’une spécialité originale dite « de référence », dont le brevet est expiré et pour laquelle il y a un générique disponible sur le marché, est limité au montant maximum remboursé pour «son générique». De ce faits, lorsque cette spécialité est prescrite, la différence de prix est entièrement à charge du patient! Prenons un exemple : soit le conditionnement d’une molécule originale qui coûte 20 euros remboursée en catégorie B. L’assuré ordinaire sera remboursé à 75%, soit 15 euros pour la sécurité sociale et 5 euros à sa charge. Arrive sur le marché un générique. Celle-ci coûtera 14 euros puisqu’elle est un générique, toujours remboursée à 75% soit un coût de 10,5 euros pour la sécurité sociale (gain 4,5 euros ) et de 3,5 euros pour le patient (gain de 1,5 euros ). Par contre, si on lui prescrit la molécule de référence, toujours à 20 euros,le montant de référence s’alignera sur celui du générique: soit un remboursement de 10,5 euros et donc 9,5 euros à sa charge au lieu de 5 euros initialement (soit une perte pour le patient de 4,5 euros sur la molécule originale et de 6 euros sur le générique!). Prescrire la molécule de référence alors qu’il existe un générique sur le marché est donc au détriment de son patient !! Et ceci sera encore plus flagrant pour les «assurés préférentiels » (BIM/VIPO) dont le pour- centage de remboursement (85%) est plus élevé déjà au départ. De même, plus le prix du générique est bas (- 50% par exemple) plus le bénéfice pour la sécurité sociale et pour le patient est important. Selon une étude de la mutualité chrétienne, si tous les médicaments pour lesquels il existe une alternative générique et qui ont été prescrits en 2004 avaient été remplacés par leurs équivalents les moins chers, cela aurait représenté une économie globale de 60 millions d’euros pour les patients belges, et une économie de 90 millions d’euros pour l’assurance maladie. 3. Limitation réglementaire des indications remboursées Une des tâches de la Commission de remboursement est de déterminer, voire négocier, l’attribution des «chapitres» (de l’arrêté royal sur le rem- boursement des médicaments) dans lesquels les différentes spécialités seront inscrites pour accéder au remboursement : Chapitre I: la spécialité est remboursée sur simple prescription, sans «contrôle» systématiquement organisé, bien que la législation stipule que seules les indications enregistrées par la santé publique pour cette spécialité entrent en ligne de compte pour le remboursement. Chapitre II : la spécialité est remboursée sur simple prescription, et il y a un contrôle systématique «a posteriori», organisé à partir des profils des prescripteurs pour évaluer leur respect des recommandations de bonnes pratiques sur l’utilisation de la spécialité concernée. Chapitre IV: la spécialité n’est remboursée qu’après un accord préalable du médecin conseil de la mutuelle, chargé de vérifier si les conditions de remboursement spécifiques de la spécialité concernée sont remplies chez le patient. Le passage de toute spécialité du chapitre IV vers le I ou le II ne se fera pas sans exigence soit d’une baisse de prix soit d’une neutralité de son coût (pour le ch.II).

Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 38 - octobre 2006
La santé, la maladie, c’est toute une vie
Sur base d’interviews réalisés conjointement par Natalie Rasson et Xavier Dubois, licencié en éducation permanente, travailleurs en santé communautaire à la maison médicale Norman Bethune. Le temps de l’attente est aussi celui de la réflexion sur(…)
Présentation de la maison médicale Norman Bethune
Fondée en 1972, la maison médicale Norman Bethune est implantée dans la partie populaire de Molenbeek, une commune bruxelloise qui subissait à l’époque la mort de son riche tissu industriel adapté à une économie désormais obsolète(…)
Chacun son tour : comment mieux attendre ?
Nous avons tous été confrontés, au moins une fois dans notre vie, à une salle d’attente de médecin, que l’on soit malade chronique ou non. Nous serons tous d’accord pour admettre que plus le temps d’attente(…)
Les temps sont pleins à Molenbeek
Il était une fois un questionnement du service social qui se demandait comment les patients vivaient l’attente parfois très longue en les locaux de la maison médicale Norman Bethune. On aurait pu recueillir des « oui(…)
Les pages 'actualités' du n° 38
Edito
Au départ, l’équipe de la maison médicale Norman Bethune s’inquiète du temps d’attente des patients avant de passer en consultation : est-ce trop long et si oui quelles solutions aimeraient-ils voir mettre en place ? Deux(…)
De la violence des élections en système limbique
Les syndicats de médecins viennent de vivre leur troisième scrutin. Deux syndicats, deux conceptions s’affrontaient. D’un trait schématique, celle de l’ABSyM s’articule autour d’un objectif de défense professionnelle pure et dure, et sert principalement les poids(…)
En un combat inégal: la médecine générale ébranlée
Elections syndicales des médecins 2006, l’analyse du GBO.
Pour une politique du médicament en 2006
En juin 2006, la Fédération des maisons médicales a organisé deux clubs de réflexion sur la politique du médicament. Ces clubs visaient: A confronter la connaissance que nous avons de cette politique avec la réalité; A(…)
Nouvelles de l’Europe du médicament
A l’occasion de l’assemblée générale du Groupe de recherche et d’action pour la santé, Danièle Bardelay, membre fondatrice de la revue Prescrire, a dressé un intéressant tableau de l’« Europe du médicament » et notamment des(…)
Des histoires de tous les jours
Frustration, déception, joie, colère, besoin de reconnaissance. Les sentiments des patients et des soignants sont épars… mais souvent similaires. Pourtant qu’il est dur de concilier les aspirations des uns et des autres ! Comme souvent, le(…)
Une politique du médicament au service de la sécurité sociale
Il ne faut pas être un grand observateur de la vie politique pour s’apercevoir que le politique a mis en place ces dernières années des stratégies pour mieux contrôler les dépenses liées aux médicaments. Pourquoi un(…)
Croissance contre santé, quelle responsabilisation du malade?
Si rendre les personnes responsables de leur santé peut paraître un projet mobilisateur, encore faut-il en garder la finalité à l’esprit. S’agit-il de favoriser l’autonomie des bien-portants et des patients ou de les sacrifier au dogme(…)