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Une friche urbaine aménagée en îlot public


Santé conjuguée n° 79 - juin 2017

Une préoccupation de quartier, des individus et des associations qui s’investissent. Un projet qui aboutit et une méthodologie participative qui essaime. Coralie Ladavid, assistante sociale à la maison médicale Le Gué (Tournai) retrace l’aventure.

Le DAL est un collectif qui défend le droit au logement pour tous. La maison médicale Le Gué est l’un de ses fondateurs. De nombreux patients de cette maison médicale ont des problèmes de santé liés à la qualité de leur habitat ; il faut travailler en amont de la maladie. « En 2008, on a appris que l’immeuble industriel appartenant à la régie des bâtiments d’Etat et situé au cœur du quartier populaire Saint-Piat allait être mis en vente. Le site est désaffecté de longue date alors que le quartier a besoin d’espaces verts. Le terrain est d’ailleurs investi par des activités pour les enfants et par des skateurs. Le DAL a sollicité la ville pour qu’elle le rachète à l’État mais la réponse est négative… Nous avons alors invité la population à réfléchir au devenir des lieux, à rêver un peu et à proposer des aménagements. Une vingtaine d’enthousiastes ont assisté à la première réunion, dont un architecte qui nous a vite remis les pieds sur terre : c’est beau les idées, mais il faut quelque chose de concret à proposer sinon on n’arrivera jamais à rien ! On a formé un groupe de travail avec lui, un urbaniste, le fonds du logement, des habitants du quartier pour constituer un dossier qui ne se limite pas à cet espace mais qui inclut aussi l’ancienne piscine à proximité, propriété de la commune, pour étendre la surface à un hectare. Le projet d’îlot qui en est sorti est un véritable espace public avec plusieurs entrées, une placette et un bâtiment-phare dédié au logement et aux services économiques et sociaux. » Le projet est présenté au collège, étonné et séduit, qui décide alors de mettre en place un processus de périmètre de remembrement urbain. Dérogations, étude d’incidence, comité d’accompagnement composé de riverains, le processus se met en marche. C’est le CREAT, le service de recherches et d’études pour l’action territoriale de l’UCL qui le mène. Ses conclusions sont proches de celles du DAL : le projet est viable. Mais la démarche tarde à se finaliser. Des fuites laissent entendre que l’intercommunale de développement économique de Tournai-Ath (IDETA) est en train de reprendre la main pour répondre à un appel à projet de développement de micro zones économiques en cœur urbain… « Notre projet d’espace de vie pour les habitants qui partait d’un constat de nécessité est en péril au profit d’un projet uniquement économique, coupé de la vie de quartier. Nous ne sommes plus concertés. On a lancé une pétition, organisé une émission communautaire sur No Télé suivie d’un débat avec les responsables politiques. Le lendemain, l’intercommunale revoyait sa copie et sa logique purement économique ! » Une mixité de fonction était de nouveau à l’ordre du jour et des aménagements urbanistiques et de mobilité étaient revus. Après quelques compromis, une version acceptable est validée à l’unanimité en 2012 par le conseil communal et en 2013 par le Gouvernement wallon. Puis, plus de nouvelles… « En 2015, on interpelle à nouveau et on finit par obtenir réunion de la commission d’accompagnement, on est informé de l’avancement du dossier… qui suit le rythme bureaucratique. On s’énerve un peu et on demande de pouvoir être associé à l’élaboration concrète du projet sachant que seul le schéma directeur était défini. Finalement, le directeur du cabinet du bourgmestre propose que nous fassions partie du jury qui choisira le projet à réaliser. Il est prévu que nous donnions notre avis sur l’aspect urbanistique et architectural ! Bien, mais cela fait huit ans que la procédure est entamée. Sommes-nous encore représentatifs du souhait des habitants ? Une mise à jour s’impose. On décide d’organiser une rencontre citoyenne suivant une méthode particulière : le forum ouvert, animé par un spécialiste. Tous les intervenants sont invités. » Les participants, une cinquantaine, sont sur le même pied et décident de l’ordre du jour. Les idées fusent, des tables sont constituées par thème, les gens passent de l’une à l’autre, se rencontrent. Les données sont collectées. Aux côtés du directeur de l’intercommunale, il y a le directeur de cabinet du bourgmestre et un gamin de dix ans… Pas besoin de convaincre, c’est un partage de créativité. Les propositions sont soumises au vote. IDETA et la ville s’attendaient à affronter des gens mécontents, revendicatifs. « Au contraire, c’est très constructif. L’ensemble des besoins exprimés a été annexé au cahier des charges de l’appel d’offre puis on a rencontré des entreprises soumissionnaires pour leur expliquer l’esprit du quartier. » En 2016, l’entreprise est sélectionnée. « Sans notre avis finalement, vu la loi sur les marchés publics. Mais le projet correspond à l’esprit initial : libérer un maximum d’espace public. Une aire de jeux, des arbres fruitiers et des ruches, une fontaine, une salle de cohésion sociale, une borne électrique extérieure, un éclairage et du mobilier urbain adaptés, des bains publics… » Un espace qu’il va falloir cogérer. « On constitue pour cela un groupe porteur. Que fera-t-on par exemple du produit du verger et du miel ? Les nouveaux habitants ne seront pas les seuls concernés. Voilà le challenge : associer un quartier en attente de rénovation depuis longtemps. » Les travaux ne devraient pas tarder à débuter. D’ici là, le projet est cité en exemple par les politiciens locaux. C’est un projet d’envergure qui n’a pas reçu de remarque négative, tout a été d’emblée respecté, comme la hauteur de bâtiments. « Les gens ont conscience de l’intérêt collectif, ils s’y retrouvent. Ce n’est pas à un instant T qu’il faut leur demander leur avis, mais dès le départ les impliquer. » Actuellement, une autre problématique fait rage à Tournai, celle du Pont des trous. L’emblème de la ville va être démoli. Pour décider de son remplacement, la même démarche collective que dans le quartier Saint-Piat a été appliquée.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 79 - juin 2017

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