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Une affaire de prévention


Santé conjuguée n°81 - décembre 2017

Demandez à un ingénieur, un manager, un ouvrier, un juriste, un indépendant s’il a déjà entendu parler de la législation en matière de bien-être au travail dans son cursus scolaire… La réponse est le plus fréquemment non. Le secteur de la santé n’échappe pas à cette règle et très souvent le médecin traitant ne sait pas ce qu’est un médecin du travail ou un conseiller en prévention ni quelles sont leurs missions.

Même si le code du bien-être au travail comprend plus de 600 pages, les principes sont assez simples en définitive. Il est demandé aux entreprises de réfléchir à leurs problèmes de santé et de sécurité en lien avec leur activité (l’analyse des risques) de manière à déterminer des mesures de prévention et de les implémenter. L’objectif étant de préserver la santé et la sécurité de leurs travailleurs. Des structures, dépendant de la taille des entreprises, doivent être mises en place afin d’aider celles-ci dans leur prévention des risques professionnels. Les spécialistes en prévention sont appelés conseillers en prévention (CP) et sont au nombre de cinq : CP médecin du travail, CP sécurité, CP aspects psychosociaux, CP hygiéniste et CP ergonome. Ils peuvent être présents en interne dans une grande entreprise (SIPP : service interne de prévention et protection au travail), mais le plus souvent on les retrouve en dehors, dans les dix SEPP (service externe de prévention et protection au travail) que compte notre pays. Toute entreprise doit pouvoir faire appel à un de ces CP pour l’aider à préserver la santé et la sécurité de ses travailleurs. Si le code est volumineux, c’est aussi qu’il existe de très nombreux risques professionnels dépendants des activités des entreprises et qu’il a pour but d’aider toutes ces entreprises face à leurs problèmes de santé et de sécurité. Le SPF Emploi développe de très nombreux outils pour aider les entreprises et ces spécialistes. Il réalise aussi de nombreuses recherches notamment pour évaluer l’évolution des conditions de travail et des risques professionnels.

Contraintes physiques et mentales

Au vu de l’évolution du monde du travail, la plupart des dommages sur la santé résultent de l’exposition répétée à des contraintes physiques et mentales journalières. On appelle ces problèmes les troubles musculosquelettiques (TMS : maux de dos, tendinites…) et les risques psychosociaux (RPS). Ces TMS et RPS se développent progressivement et expliquent la grande majorité de l’absentéisme (plus de 80 %) et de l’invalidité (plus de 70 %). L’absentéisme ne cesse d’augmenter, surtout l’absentéisme de longue durée avec un coût phénoménal pour les entreprises : 1 000 euros par jour d’absence par travailleur pour un coût global estimé à plus de 11 milliards d’euros pour l’ensemble de nos entreprises. Le nombre d’invalides (incapacité de travail de plus d’un an) ne cesse d’augmenter avec plus de 390 000 personnes en 2016. Le coût de l’incapacité primaire (de un mois à un an) et de l’invalidité est de plus de 7,2 milliards d’euros ; il a dépassé le coût du chômage depuis 2015. Ils pèsent donc non seulement sur la santé des travailleurs et sur leurs revenus, mais aussi sur la santé économique des entreprises et sur la société. Les enquêtes nationales sur les conditions de travail menées en collaboration avec Eurofound, l’agence européenne pour les conditions de travail, montrent que les RPS et les TMS n’épargnent personne : toutes les professions, tous les secteurs, hommes et femmes de tout âge, aussi bien les travailleurs que les managers ou les indépendants. Quelques chiffres extraits de l’enquête de 2015 (EWCS 2015, Belgique) en montrent l’ampleur : -TMS : 1 travailleur sur 2 a eu mal au dos durant les douze derniers mois, 4 sur 10 aux membres supérieurs, 3 sur 10 aux membres inférieurs. -RPS : 1 travailleur sur 3 a ressenti la plupart du temps ou toujours du stress au cours des douze derniers mois, 4 sur 10 de la fatigue générale, 1 sur 3 des maux de tête et de la fatigue oculaire. -1 travailleur sur 3 pense que son travail affecte négativement sa santé et 4 sur 10 ne pensent pas pouvoir faire le même travail à 60 ans. -6 travailleurs sur 10 ont au moins pris un jour d’absence durant les douze derniers mois avec une moyenne de 8,4 jours par an, 1 sur 2 est venu travailler malade (présentéisme) avec une moyenne de 11 jours par an. Cependant, les risques dits classiques comme ceux liés à la sécurité, à l’exposition à des agents physiques (bruit, vibrations, rayonnements…) ou encore à l’exposition à des produits dangereux diminuent très peu et engendrent toujours des dommages importants : accidents graves, maladies professionnelles… Si cette enquête montre que beaucoup de travailleurs sont peu impliqués dans l’organisation du travail (54%), doivent cacher leurs sentiments (29%) et doivent travailler plus de 40 heures par semaine (18%), elle met aussi en lumière des ressources importantes pour le bien-être au travail : aide et soutien des collègues (66%), du supérieur (62%), sentiment d’un travail bien fait (85%) et utile (87%). La prévention, primaire (éviter le dommage), secondaire (limiter les dommages et maintenir au travail des personnes déjà en souffrance) ou tertiaire (favoriser le retour au travail après dommage) demande d’agir à trois niveaux : des actions collectives concernant l’organisation du travail et les conditions de travail pour éliminer ou réduire les contraintes, des actions de formation pour permettre aux travailleurs de mieux participer aux actions collectives et de faire face aux contraintes et des actions visant à améliorer la santé des travailleurs (vaccinations, lutte contre la sédentarité…).

Agir

En conclusion, le travail a un impact important sur la santé, le travailleur y passant un tiers de sa journée. Les risques associés à l’activité de travail peuvent entrainer des problèmes de santé de toute sorte. Et soigner des personnes pour qu’elles retournent dans des conditions de travail à l’origine du dommage ou non adaptées au problème de santé, c’est le risque de les voir rechuter peu de temps après. Il est important de rappeler que le travail est une ressource primordiale dans notre société, non seulement pour l’aspect financier, mais aussi pour son aspect social et relationnel, à condition bien entendu que le travail fasse sens. Tenir éloigné et protéger le patient contre des conditions de travail pénibles et des risques importants est très humain, mais peut devenir nuisible à moyen et long terme pour le patient. Le travail et toutes les ressources qu’il apporte au travailleur peuvent aussi contribuer à l’aider à aller mieux face à son problème de santé. Bien conseiller et prendre la bonne décision pour son patient n’est donc pas évident, d’autant que le médecin traitant ignore tout des conditions de travail de celui-ci. Il est donc vital que le médecin puisse collaborer avec les acteurs de la prévention en entreprise et principalement avec le médecin du travail.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°81 - décembre 2017

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