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Structuration et concepts du dossier médical électronique


Santé conjuguée n° 58 - octobre 2011

Organiser les informations médicales concernant un patient pour en faire un dossier médical électronique logique et efficient et permettre un transfert optimal des données pertinentes : tel est le but du travail de structuration du dossier médical électronique. Cette structuration repose sur 7 éléments de base et intègre les anciens concepts cliniques opérationnels en médecine de famille (comme le SOAP1 ou la CISP2).

Pendant plusieurs années, un groupe de travail informel appelé « Structuration des dossiers patients informatisés » s’est réuni en vue de définir les concepts fondamentaux amenant les dossiers informatisés à répondre à une architecture commune permettant à la fois une structuration logique et efficiente de l’information clinique et l’échange optimal de cette information. Cette architecture, présente depuis fort longtemps dans le dossier informatisé Pricare de la Fédération des maisons médicales est devenue un des critères de labellisation des logiciels médicaux électroniques. Le groupe de travail (initialement une émanation de l’asbl « EMDMI Electronisch medisch dossier médical informatisé », puis relogé dans la commission ministérielle consultative « Normes en matière de télématique », puis finalement dissout lorsque les compétences en la matière sont passées du service public fédéral Santé publique à l’INAMI et à eHealth) a produit un premier rapport technique intitulé DPRS1, destiné aux spécialistes en informatique médicale et aux développeurs, assorti d’un document annexe à visée pédagogique pour les utilisateurs basiques, les enseignants et les étudiants. Ces deux textes isolent et définissent 7 concepts de base appelés « éléments structurants », dans la mesure où, exhaustifs et exclusifs, ils ordonnent et rangent l’ensemble de l’information clinique pertinente dans une série de « boîtes » (les éléments structurants en question) articulées entre elles selon une logique opérationnelle et formalisée.

De l’importance de repenser la structure du dossier médical à l’ère de l’électronique

Quand un architecte trace le plan d’un bâtiment, il sait ce qui doit y figurer. Il sait également ce qui différencie un habitat résidentiel d’un magasin ou d’un bureau. Il connaît par exemple les éléments de base qui doivent se retrouver dans une maison : la salle de séjour, la cuisine, les chambres à coucher, la salle de rangement, le garage… Mais ces éléments de base restent des composants abstraits tant qu’ils ne contiennent pas le mobilier qui leur est propre. Ils comportent également des connexions : non seulement des portes, mais également un raccordement électrique, téléphonique, l’eau, le gaz, l’électricité. Un architecte a bien entendu la possibilité de choisir un mobilier avec l’accord ou avec l’avis du maître d’oeuvre, ce qui donnera à chaque pièce un cachet propre, mais à chaque fois on retrouvera les mêmes concepts de base. De la même manière, lorsque nous demandons à un concepteur de logiciel, de développer un dossier médical électronique, il faut que celui-ci sache quels sont les concepts de base, afin que son produit puisse réellement servir de dossier médical à l’usage d’un médecin de famille. Il est évident que ces éléments de base ne sont que des boîtes vides, qui ne trouvent leur véritable fonction qu’une fois remplies d’objets et d’attributs qui leur sont propres. C’est comme une salle de séjour ou une chambre à coucher. Elles ne trouvent leurs véritables destinées, qu’une fois le mobilier installé. Une description des « liens » entre les différents éléments et leur contenu est également nécessaire (tels l’eau, le gaz, l’électricité ou les portes). Pourquoi est-ce si important ? Si on demande aux médecins généralistes l’objectif le plus important du dossier médical électronique, la réponse unanime est : « l’échange des données et la communication ». Pour pouvoir réaliser cet objectif, une bonne structuration et une certaine normalisation sont indispensables. Cette structuration ne peut pas être un carcan, elle doit pouvoir être suffisamment souple pour plaire et convenir à chaque utilisateur potentiel. Le nom donné aux éléments de base est tout à fait accessoire et ne joue aucun rôle important (peu importe que l’on parle de « salle de séjour » ou de « living », chacun sait de quoi il s’agit et sait qu’il ne s’agit pas de « la salle de bain » ni de « la cuisine »). En respectant la structure de base d’un habitat, le mobilier d’une de ses pièces peut aisément être transféré dans la pièce correspondante d’un autre habitat, même de conception différente : la raison est que les deux habitats ont effectivement les mêmes éléments de base. Par comparaison, c’est cette base commune que nous appelons la structure du dossier électronique.

Les sept piliers

Les 7 éléments de base qui permettent la structuration et l’orientation problèmes du dossier sont : • l’élément de santé/soins. • La démarche. • Le contact de soins. • Le sous-contact. • Le service. • La période. • Le prestataire. L’élément de santé/soins Il décrit ce qui motive le patient à consulter, quel que soit le prestataire de soins. C’est de cette façon que le patient interprète sa prise en charge. Lorsqu’une personne vient se plaindre d’une céphalée auprès de son médecin, il a d’abord présenté une phase prodromique faite de signes vagues, puis il a vu apparaître les véritables symptômes céphalalgiques, puis enfin il a traversé une période de réflexion sur la nécessité de consulter. On peut donc affirmer que l’élément de santé/soins a déjà une histoire avant le premier contact avec le prestataire de soins ; cette phase correspond à l’émergence puis à la reconnaissance d’un problème de santé. Une fois le prestataire contacté, on ne parlera plus de « personne » mais de « patient ». Une caractéristique de l’élément de santé/ soins est qu’il contient la vision du patient sur son propre problème de santé. Cette vision peut évoluer avec le temps et peut changer de dénomination (ou de « label »). Le patient ne parlera par exemple plus de « mal de tête » après la consultation mais de « migraine ». La dénomination de l’élément de santé/ soins par le praticien peut être identique ou différente de celle du patient. La dénomination du praticien sera abordée plus précisément quand on abordera le concept contact de soins. Attention : l’élément de santé/soins n’est pas nécessairement identique au « motif de contact ». Le patient se plaint effectivement de céphalées, mais sa raison de consulter est d’obtenir une incapacité de travail justifiée par la céphalée. L’élément de santé/soins est donc un concept dynamique dans le temps et orienté patient, qui confronte toujours potentiellement la vision du patient à celle du praticien. La démarche Elle décrit la nature de la prise en charge d’un élément de santé/soins par un prestataire. Elle est basée sur ses connaissances et sur sa vision des choses, ce qui suppose dès lors l’existence au moins d’un élément de santé/soins et d’un prestataire. Dans notre exemple, on pourrait parler de la prise en charge du problème « mal de tête » sous l’aspect de son traitement et de ses diagnostics différentiels. Il s’agit d’une donnée centrale surtout si on met l’accent sur la communication entre médecins. La description de la manière de prendre le patient en charge est en fait bien plus importante qu’un simple rapport faisant état de la situation dans laquelle il se trouve. Chaque dispensateur de soins doit connaître la dynamique dans laquelle son confrère s’est engagé (diagnostic différentiel, prévention primaire, secondaire ou tertiaire, plan thérapeutique, guidance, plan d’aide et de suivi), ce qui implique la connaissance de ce qui a déjà été réalisé, des hypothèses de travail, de ce qui est encore à réaliser, etc. Le diagnostic est important dans le profil du patient et détermine notre activité de soignant, mais la démarche lui est indissolublement associée dans le dossier médical électronique orienté problèmes. Cette démarche repose sur des objectifs et contient une planification transcendante de l’avenir au travers des contacts. Le contact de soins A chaque modification (le recueil des plaintes, l’intégration de rapports, l’apparition d’un nouvel élément de santé/soins, l’émission ou la modification d’un diagnostic, la planification d’une échéance) de données dans un des « éléments de base » du dossier, on parle de contact de soins. La majorité de ces contacts se font en présence du patient, mais on peut différencier un contact dossier, administratif, d’un véritable contact de soins. • Le contact dossier correspond à la gestion du dossier du patient en dehors de sa présence comme lors de la rédaction d’un courrier, de la consultation de certains éléments du dossier, de la mise sur pied d’un plan thérapeutique, d’un audit sur sa façon de travailler. Ce sont en fait des actions qui n’ont aucune influence sur la structure du dossier. • Le contact de soins est bien souvent (mais pas nécessairement) le résultat d’un contact en vis-à-vis entre le patient et son prestataire. Au cours de ce contact, des données significatives du dossier sont ajoutées ou modifiées. Le rôle essentiel du prestataire est la validation de ces données, ce qui n’est pas le cas dans le contact dossier. Le terme que nous employons couramment est celui de consultation dans son sens le plus large en faisant fi de l’endroit où cette consultation se passe. Le sous-contact Le sous-contact est une partie du contact. Si au cours d’une consultation, un seul élément de santé/soins est abordé, il n’y aura qu’un seul sous-contact. Si plusieurs éléments de santé/soins sont abordés, il y aura plusieurs sous-contacts. Le sous-contact est le plus petit élément contenant des données médicales appartenant au même élément de santé/soins. Il est bien connu que le patient vient souvent à la consultation avec plus d’une question et plus d’un problème de santé, par exemple pour le résultat d’un CT-scan prescrit pour la mise au point de ses céphalées et pour demander le renouvellement d’une médication chronique. Il s’agit clairement de 2 sous-contacts distincts et ils doivent être encodés de cette manière dans le dossier électronique orienté problèmes. Si l’on veut garder une structure claire et limpide, il faut classer les données identiques ensemble : le renouvellement d’une médication chronique n’a rien à voir avec une entorse de la cheville qui aurait été vue à la même consultation. On peut définir le sous-contact comme l’ensemble des informations recueillies au cours d’un contact qui se rapportent au même élément de santé/soins : il s’agit d’un bloc d’informations homogènes et cohérentes. Il existe des systèmes reconnus de structuration au sein du sous-contact tels que le SOAP (subjective, objective, assessment, plan) et le POMR (problem-oriented medical record) : voir ci-dessous. Le nom de la rubrique qui contient les données similaires n’est pas important, le principal c’est qu’elles se trouvent bien dans la bonne rubrique avec des données concordantes. C’est la seule façon d’avoir des données échangeables et catalogables. La dénomination des rubriques est une question de consensus. L’épisode de soins est une façon de regrouper un ensemble de sous-contacts se rapportant au même élément de santé/soins pendant une certaine période de temps, ce qui améliore l’ordre et la structuration du dossier et qui permet d’y adjoindre des attributs et des labels. Certains épisodes de soins ne contiennent qu’un seul sous-contact se rapportant par exemple à un rhume, à une vaccination, à un certificat d’aptitude sportive. Par contre d’autres épisodes se dérouleront et évolueront tout au long de la vie du patient tels une hypertension artérielle ou un diabète. Le nom donné à l’épisode de soins ou son « label » (label de l’épisode ou diagnostic) est intimement lié au prestataire. C’est lui qui décide comment nommer cet épisode de soins. Il se peut que ce soit le même label que l’élément de santé/soins, mais ce n’est pas indispensable (l’un est plutôt lié au prestataire tandis que l’autre l’est plutôt au patient). Le service Le service est un concept qui décrit tout ce que le prestataire fait, pense ou interprète : les éléments de l’examen clinique, l’élaboration du diagnostic et des hypothèses de travail, la réalisation des procédures (certificats, ordonnances, demandes d’avis, etc.) et des prestations, la réalisation du plan thérapeutique. Le concept sous-tend donc également la mise à jour ou l’actualisation du dossier. Le service se décrit comme toute action qui conduit à ajouter ou à modifier de l’information au sein d’au moins un sous-contact et ce par un prestataire. Un service est toujours lié à au moins un élément de santé/soins (orientation problèmes). Un service ne contient aucun résultat ou constatation, mais bien ce qui a été fait pour arriver à ce résultat ou à cette constatation, tel qu’une demande d’avis, la réalisation d’un examen clinique approfondi, la réalisation d’une biologie etc., en bref tout ce que le médecin fait ou fait faire. La période La période est un espace temps choisi en fonction de certains éléments structurants qui jouent un rôle de filtres. En choisissant un espace/temps, il est possible de visualiser une partie de l’histoire clinique du patient. Bien entendu le choix de cet espace/temps dépend du but choisi ou de ce qui doit être visualisé. Il s’agit donc bien de la visualisation de certaines données du dossier médical en fonction du temps. Ce que nous voulons visualiser dépend de notre demande. Ce concept n’ajoute finalement rien au dossier et n’a aucun contenu. Il s’agit uniquement d’une manipulation de données. Il s’agit par exemple d’une période d’hospitalisation, d’une période de co-morbidité, de la visualisation de la ligne de vie du patient, de la visualisation des sous-contacts pendant une certaine période, de demandes spécifiques en matière de prévention ou de contexte social, etc. Il est évident qu’il s’agit d’une fonction pour laquelle l’ordinateur se révèle un outil extrêmement puissant. Le prestataire Ce concept concerne soit un prestataire individuel, soit un groupe de prestataires reconnus dans la dispensation de certains soins à un patient. Prestataire est un terme employé pour une ou plusieurs personnes (appartenant souvent à la même discipline médicale), concernées par le dossier du patient et englobe donc toute personne travaillant pour sa santé, que ce soit en pratique solo, en pratique de groupe, en assistanat, ou en centre de soins de santé : toute personne donc, qui a accès ou qui gère le dossier médical électronique (en garantissant bien entendu la confidentialité au travers de niveaux d’accès différents). Dans la pratique quotidienne Traduits dans la pratique quotidienne d’un prestataire de soins médecin généraliste, ces concepts s’explicitent de la manière suivante, montrant par là tout l’intérêt de la structuration : • Un patient présente le 02/10/2010 un problème de santé. Il s’est rongé l’ongle du pouce gauche, celui-ci est douloureux et rouge. Le 03/10/2010, le pouce a doublé de volume, et un peu de pus s’en écoule. Le patient se dit qu’il devrait consulter son médecin de famille. Il se présente donc le 04/10/2010 à son cabinet, et se plaint de son pouce qui est très douloureux, il pense qu’il a un « doigt blanc ». Effectivement, le médecin confirme l’impression du patient, et diagnostique un péri-onyxis sur ongle incarné. Il procède à l’exérèse d’un croissant d’ongle, prescrit de l’Isobetadine® crème et du Docpara® contre la douleur, et il délivre un certificat d’incapacité de travail de 3 jours, le patient étant menuisier de profession. Le 05/10/2010, le patient revient à la consultation se plaindre d’une douleur pulsatile dans son pouce, importante au point de l’avoir empêché de dormir. Le médecin examine la plaie qui est belle, il refait le pansement et prescrit du Tramadol EG® en gouttes, et conseille une nouvelle consultation 3 jours plus tard. Il en profite pour prendre la tension de son patient, celui-ci étant hypertendu, suivi par lui-même depuis 10 ans, et bien équilibré. La tension est de 130/85, et un renouvellement d’Amilophar® est délivré. Le 08/10/2010, le patient se représente donc chez son médecin, la plaie est belle, le patient désire retravailler et considère que son problème de doigt est résolu. • Le problème de santé (vu par le patient) est donc celui d’un doigt blanc qui a commencé (est devenu actif) le 02/10/2001 et s’est terminé (est devenu passif) le 08/10/2001, mais il ne s’agit pas à ce stade d’un élément structurant du dossier tenu par le médecin (le prestataire), dans la mesure où c’est le 04/10/2001 que le patient s’est présenté à la consultation pour la première fois (premier contact) et qu’a commencé sa prise en charge par le médecin (un élément de santé/soins) durant un épisode de soins composé de plusieurs contacts. Pendant cette consultation, le médecin a réalisé toute une série de procédures diagnostiques et thérapeutiques (anamnèse, examen clinique, résection d’un quartier d’ongle, prescription de médicaments, rédaction d’une incapacité de travail, conseil d’une consultation de suivi, etc.). Toutes ces procédures sont scrupuleusement notées dans le dossier et correspondent à des services. Les services de la première consultation correspondent à une démarche diagnostique et thérapeutique, ceux des deuxième et troisième à une démarche de follow-up, de même d’ailleurs que la prise de tension occasionnelle lors de la deuxième consultation. Pendant un même contact, plusieurs éléments de soins différents peuvent donc être abordés : la partie d’un contact de soins spécifiquement liée à une démarche dans le cadre d’un (seul) élément de santé/soins est appelée souscontact. Le premier contact ne comprend dès lors qu’un seul sous-contact correspondant à la démarche diagnostic/traitement de l’ongle incarné, le deuxième en comprend 2 : le suivi de l’ongle incarné à nouveau, mais aussi le follow-up de l’hypertension artérielle. Le dernier élément structurant est intrinsèque, il s’agit du temps, qui balise chronologiquement le dossier, qui date les services et les démarches, et qui définit les périodes, par exemple la durée d’un élément de santé/soins, l’épisode depuis son ouverture (le 04/10/2001 pour l’ongle incarné) jusqu’à sa fermeture (le 08/10/2001). Intégration des anciens concepts (SOAP, CISP et autres) dans la structuration du dossier médical électronique Par la suite, le groupe « structuration » a produit un deuxième document technique : DPRS2. Il décrit de manière formelle les différents éléments structurants, notamment sous l’angle de leurs relations réciproques et de leurs attributs. On entend par attributs d’un élément un ensemble de caractéristiques définies de cet élément. Par exemple, un élément de santé/soins a toujours un début, parfois une fin s’il est clôturé. On lui associe donc toujours une date de début (ouverture de l’élément de santé/soins), une date de fin ou pas. Il n’y a qu’une seule date de début, et elle est toujours antérieure à la date de fin, et contemporaine du premier contact. Ce document technique est essentiellement destiné aux spécialistes en informatique médicale et aux développeurs. Les relations basiques entre les éléments et la description des concepts ont été traduites en un modèle orienté objet, présentées et validées par l’outil de modélisation graphique formelle UML (unified modelizing language). Ce deuxième rapport technique n’est donc pas destiné aux utilisateurs basiques, aux enseignants et aux étudiants : soit les relations entre les concepts ainsi que leurs attributs sont évidents au travers de la compréhension clinique de la structure du dossier médical électronique (on imagine bien la progression depuis les services destinés à la prise en charge d’un élément de santé/soins qui dure depuis un certain temps, rassemblés en un sous-contact d’un contact, dans le cadre d’une démarche), soit ce n’est pas le cas, mais alors, cela n’ajouterait rien pour une utilisation optimale de celui-ci. Par contre, cette dernière catégorie d’acteurs en matière de logiciel médical se déclare souvent déstabilisée par l’introduction des nouveaux concepts structurants (définitions, relations et attributs), d’une part en n’en voyant pas l’intérêt, d’autre part en n’y retrouvant plus explicitement les plus anciens concepts cliniques opérationnels en médecine de famille : le SOAP, la CISP, le problème de santé, l’approche POMR (problem-oriented medical record) et l’épisode de soins. Nous avons donc décidé de compléter le document pédagogique (celui-ci même), dans le but d’expliciter l’intérêt de la démarche de structuration (la seule qui permette un recueil opérationnel, ordonné et efficient de l’information clinique, ainsi que son échange entre prestataires). L’objectif est aussi de montrer que les « anciens » concepts n’ont pas été supprimés, bien au contraire, mais qu’ils se sont en quelque sorte fondus dans les « nouveaux », et qu’il est très facile de les isoler ou de les localiser dans un dossier structuré. Figure 1 : le contact de soins structuré SOAP Le SOAP Le SOAP (voir Figure 1) : il s’agit de l’acronyme développé par Weed il y a plus de 30 ans, pour baliser et structurer le contenu d’une rencontre entre un patient et son médecin. L’ensemble des informations cliniques émanant d’un contact, autant somatiques que psycho-sociales, peuvent être en effet recueillies et classées en 4 catégories : • Subjectif : les raisons de rencontre, les motifs de contact, exprimés par le patient, autant spontanés qu’obtenus par anamnèse. • Objectif : les constatations du médecin, résultats d’examens cliniques ou para-cliniques, rapports de spécialistes ou d’hôpitaux. • Appréciation : la définition par le médecin en termes généralement médicaux du (des) problème(s) du patient abordés au cours du contact. • Plan : l’ensemble des actions, des procédures réalisées par le médecin durant le contact ou planifiées dans le cadre d’un échéancier. En relation avec la structuration DPRS (voir page suivante), un contact peut donc être divisé en un ensemble de sous-contacts. Chacun d’entre eux correspondant à une ou plusieurs démarches d’un seul et même élément de santé/soins, comporte un ensemble de services. Certains de ces services appartiennent au Plan, les résultats d’autres services sont classés dans le Subjectif, dans l’Objectif, ou dans l’Appréciation, celle-ci correspondant au label (éventuellement codé) de l’élément de santé/soins. Par exemple, lors de la deuxième consultation du 05/10, le médecin demande au patient le motif de sa venue (anamnèse = service = P) ; celui-ci se plaint de douleur au doigt (résultat du service anamnèse = raison de rencontre = S) ; le médecin examine ce doigt (examen clinique = service = P) et trouve que la plaie est belle (résultat du service = O), il refait le pansement et prescrit un anti-douleur (soin de plaie et prescription = services = P), il conseille également de revenir dans 3 jours (planification d’une échéance = service = P). Le médecin estime que la meilleure étiquette pour cet épisode est « péri-onyxis sur ongle incarné » : poser un diagnostic est un service (P), son résultat une appréciation (A). Cet ensemble de services se rapportent bien à un seul élément de santé/soins (péri-onyxis) et constituent un sous-contact du contact du 05/10. Mais ce même jour, vu la brièveté de la consultation, le médecin en profite pour prendre la tension de ce patient, connu comme hypertendu. Cette prise de tension est un service classé dans P, son résultat dans O, le renouvellement du diurétique (service = prescription) dans P. Ces services forment un deuxième sous-contact lors de ce contact du 05/10, dans une démarche de follow-up, pour l’élément de santé/soins dont l’étiquette A est « hypertension artérielle ». La CISP La CISP : c’est la Classification internationale des soins primaires (traduction française de l’ICPC International Classification of Primary Care), actuellement à sa deuxième version CISP-2. La CISP est une classification c’est-à-dire un ordonnancement d’objets selon une structure déterminée et avec des objectifs. La structure est bi-axiale (chapitres et composants) et définit quelques 700 items codés en 3 caractères, 1 lettre (représentant le chapitre : A général, B sang et organes hématopoïétiques, D digestif …) et 2 chiffres (représentant le composant : 01 à 29 symptômes et plaintes, 30 à 69 procédures, 70 à 99 diagnostics). Les objectifs visent la facilité mnémotechnique (on pénètre très vite dans la logique et la connaissance de la CISP), la codification (à chaque item est associé un code), l’exhaustivité et l’exclusivité. La CISP a amené de multiples ouvertures des codes de base, fatalement très génériques, pour arriver à de vastes banques de termes de type thesaurus, tel celui commandé par la Santé publique au Comité belge de classification, et mis gratuitement à disposition des développeurs de logiciels dans le cadre du processus de labellisation. La CISP n’est pas intrinsèque à la structuration des dossiers médicaux électroniques mais elle s’y associe tout naturellement dans la mesure où toutes les informations cliniques recueillies pendant les contacts (de type S, A ou P – pas O -, mais aussi les services, les éléments de soins, etc. peuvent être codées en CISP. Par exemple, une douleur au doigt correspond au code L12, un doigt blanc à S09, un examen clinique partiel de la peau à S31, une prise de tension à K31, etc. Par son aspect dynamique structuré (axes corporels et composants plaintes, procédures et diagnostics), la CISP se révèle, intégrée à un dossier médical structuré, un outil particulièrement adapté aux études épidémiologiques, à la recherche clinique, à l’évaluation et à l’amélioration de la qualité des pratiques, etc. Le problème de santé Le problème de santé : c’est le concept de base, tout élément endogène (personnel) ou exogène (environnemental) qui a à voir avec la santé, et qui peut parfois, pas toujours, amener le patient à consulter un prestataire de soins, d’habitude son médecin généraliste. Le problème de santé devient à ce moment un élément de santé/ soins qui s’ouvre à la date du premier contact. Quoique concept de base, le problème de santé n’est pas un élément de santé/soins en tant que tel, dans la mesure où il n’implique pas toujours un contact avec la filière des soins, et qu’il s’agit d’un concept très large. Un problème de santé peut être un (ensemble de) symptôme(s), un syndrome (ensemble de symptômes répertorié), un (ensemble de) facteur(s) de risque, une (des) condition(s) de vie, une dysfonction, une invalidité, un handicap, un mal-être, une maladie (avec ou sans diagnostic), etc. L’épisode de soins L’épisode de soins (voir fi gure 2) : il s’agit d’une vue chronologique d’un élément de santé/ soins avec tous les services qui lui sont associés. On entend par vue dans le dossier médical, une présentation particulière de certaines données ou de certaines de leurs caractéristiques, de manière à les visualiser agréablement ou pédagogiquement. Par exemple, on peut sélectionner tous les éléments de soins fermés et les présenter avec leurs dates d’ouverture et de fermeture, le nombre de contacts et leur degré de signifi ance, comme la liste des antécédents ; dans le cas présent, la liste des épisodes de soins reprendrait tous les éléments de soins, ouverts et fermés, avec pour chacun d’entre eux, l’ensemble des services prestés. Les vues permettent donc d’extraire et de visualiser à partir d’un dossier médical électronique structuré toute une série d’autres concepts de soins, souvent plus anciens et mieux connus des prestataires, mais qui ne sont pas structurants en tant que tels. C’est tout le travail et le génie des développeurs de concevoir un logiciel qui réponde à la fois aux nécessités de la structuration basée sur les 7 concepts, et aux désirs et besoins de ses utilisateurs quotidiens. Illustrations pour les deux problèmes de santé du cas clinique 1. Doigt blanc : actif 02/10/2001, passif 08/10/2001. 2. Hypertension artérielle : actif 1991. Au cours du contact du 05/10/2001, deux éléments de soins ont été abordés, correspondant à deux sous-contacts : 1. Le péri-onyxis sur ongle incarné, le 14e de la liste des éléments de soins du patient, ouvert la veille le 04/10/2001 et qui sera fermé le 08/10/2001 ; après une première démarche de diagnostic et de traitement, on est dans une deuxième démarche de suivi ; à cette deuxième consultation, au cours de ce (sous-) contact, 5 services sont réalisés ; cet élément de santé/soins se rapporte à un problème de doigt blanc, devenu actif le 02/10/2001 et qui deviendra passif le 08/10/2001. 2. L’hypertension artérielle, le deuxième dans la liste des éléments de soins du patient, qui en comporte 14 ; on en est à la 4e démarche (après une première démarche de diagnostic au début il y a 10 ans, une deuxième de mise au point et une troisième de mise en route et affi nement du traitement) ; il s’agit de la 68e fois que le patient est vu pour son hypertension artérielle , et le médecin effectue les 197e et 198e services ; l’élément de santé/soins a été ouvert il y a 10 ans et l’est toujours ; le problème d’ hypertension artérielle est devenu actif au même moment il y a 10 ans et est évidemment toujours actif. Les caractéristiques du modèle apparaissent quasi toutes dans ce tableau : • Un contact aborde un ou plusieurs problèmes de santé devenus épisodes de soins parce qu’impliquant une(des) rencontre(s) avec un(des) dispensateurs de soins : un épisode de soins correspond à la période qui commence à la première présentation d’un problème de santé à un dispensateur jusqu’au dernier contact pour ce même motif (définition WONCA3). L’épisode est comme un train composé de wagons-contacts avec tous leurs contenus : S, O et P, A étant le nom du train. • L’élément central est donc l’épisode de soins, à la fois transversalement lors d’un contact, et longitudinalement pour l’ensemble des contacts. • Tous les items classés dans S, A et P (pas dans O) peuvent se retrouver et être codés à l’aide de la CISP. Dans le tableau, les codes CISP en 3 caractères se trouvent entre parenthèses. Les codes abordent tous les concepts, à l’exception du O, de la médecine générale, autant somatiques que psycho-sociaux, et de manière opérationnelle (par exemple les codes –63 correspondent à des contacts programmés, les –64 à des contacts ou des épisodes à l’initiative du dispensateur). • Les procédures sont soit effectuées en tant que telles et codées (faire un pansement S57), soit impliquent un résultat. Ce résultat en fonction de sa nature et de celle de la procédure appartient à la rubrique S (anamnèse ; résultat : douleur au doigt), O (prise de TA ; résultat 130/85) ou A (poser un diagnostic ; résultat : péri-onyxis sur ongle incarné). La CISP permet de coder la majorité des procédures et des résultats, surtout grâce aux banques de termes de type thesaurus. Ces exemples illustrent bien la cohérence globale du modèle structuré qui lui permet d’être utilisé soit tel quel pour son propre compte, soit en reconstruisant par extraction et vues les concepts plus anciens.

Documents joints

  1. subjective, objective, assessment, plan.
  2. classification internationale des soins primaires.
  3. WONCA : World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians, société européenne de médecine générale. Modèle classique SOAP, episod-oriented, ICPC, pour la consultation du 05/10/2001.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 58 - octobre 2011

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- Dr Baudouin Denis, Dr Marc Van Meerbeek, Dr Miguelle Benrubi, Dr Xavier Froidecoeur

Ordinateur et médecine

En médecine générale, le patient attend plus qu’une réponse technique à ses questions. C’est pourquoi l’informatique n’est qu’un outil et ne peut pas envahir l’espace-temps de la consultation

- De Caevel Henri

La place de l’informatique dans la relation de soins. Point de vue des patients

Quel est le point de vue des patients sur la place prise par l’informatique dans la relation de soins ? La question a été discutée avec une vingtaine de patients de 25 à 85 ans, dont(…)

- Gaëlle Chapoix

Intérêt et risques de l’informatique en soins de santé primaires

Structuration et concepts du dossier médical électronique

Organiser les informations médicales concernant un patient pour en faire un dossier médical électronique logique et efficient et permettre un transfert optimal des données pertinentes : tel est le but du travail de structuration du dossier(…)

- Michel Roland

Des données de santé utiles, utilisables et utilisées. Pour mieux prendre les décisions en santé publique

On parle beaucoup de l’information sanitaire, des statistiques de santé, de l’aide à la décision liée aux chiffres de santé. Il est assez évident que les différents services de santé qui produisent des données le font(…)

- Myriam De Spiegelaere, Tellier Véronique

Le Réseau santé wallon

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication permet aujourd’hui l’échange rapide d’un grand volume de données, notamment médicales. Le Réseau santé wallon (RSW) vise à interconnecter les institutions hospitalières wallonnes et les(…)

- Jongen Philippe

L’informatique en maison médicale, une question d’équipe

L’informatisation des maisons médicales répond à des besoins et à des objectifs spécifiques impliquant l’ensemble de l’équipe. Dans ce but, un outil novateur a été conçu par des soignants pour des soignants et évolue régulièrement depuis(…)

- Marie-Agnès Broze

Le tableau de bord de la Fédération des maisons médicales

Le projet tableau de bord de la Fédération des maisons médicales a plusieurs objectifs dont celui de constituer un observatoire sociosanitaire de la population soignée en maison médicale. Cet observatoire permettra de mieux connaître l’état de(…)

- Carbonez Francois

Voilà à quoi pourrait ressembler la commande d’une pizza en 2015

Fantasme ou menace sérieuse ? La rencontre du pouvoir médical et de la puissance informatique pourrait- elle donner naissance à une dictature médicale ? On savait déjà que les pizzas industrielles sont peu recommandables pour la(…)

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La consultation de Mme Rita Bauwens : du face à face clinique au dossier informatisé

Les éléments de structuration du DME (Dossier médical électronique) permettent d’organiser les informations de manière simple et efficace. La qualité des soins et la coordination entre intervenants s’en trouve optimalisée. Un exemple concret à partir d’une(…)

- Michel Roland

Recueil de données de santé de routine et respect de la vie privée

La Fédération des maisons médicales développe un recueil de données de santé de première ligne composé de données prélevées dans les dossiers de santé informatisés des patients de maisons médicales. La mise en place de ce(…)

- Marie Marganne

Regards décalés

L’évaluation éthique de l’outil informatique est-elle possible ?

Les questions soulevées par l’influence des nouvelles technologies dans le secteur de la santé, et en particulier l’impact des nouveaux outils informatiques sur le soin sont une des raisons de l’émergence et du développement de la(…)

- Boury Dominique, Sauvaige Monique, Barrea Mieke, Ruelle Yvan, Barbotin Élisabeth, Jacquemin Dominique, de Bouvet Armelle

Derrière l’arbre qui cache la forêt

Après un tour d’horizon de ce que l’outil informatique, bien géré, peut apporter à la santé, voici un petit éclairage sur le revers de la médaille et quelques pistes pour réduire les impacts directs et indirects(…)

- Gaëlle Chapoix

Le stéthoscope et la souris : savoirs médicaux et imaginaires numériques du corps

Dans les années 80, l’informatique a donné naissance à une dématérialisation imaginaire de l’organisme et à une contestation de la médecine institutionnelle. Les technologies numériques ont ouvert la porte à un idéal holistique de santé, à(…)

- Casilli Antonio

Introduction

Introduction

L’informatique prend de plus en plus de place dans nos vies, dans notre société. L’ordinateur, les jeux vidéo, internet, l’informatique s’invitent même dans nos téléphones. Dans le domaine de la santé aussi, l’informatique prend une place(…)

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Conclusion

Petits cailloux

L’objectif de notre cahier était d’explorer ingénument comment l’outil informatique avait fait son chemin dans les soins de santé primaires. De semer des petits cailloux pour dessiner ce chemin. Pour l’instant, nous nous arrêtons ici, mais(…)

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