Aller au contenu

Santé mentale à La Perche : une approche communautaire

,
Santé conjuguée n° 70 - avril 2015

Située à quelques encablures de la célèbre Barrière de Saint-Gilles, le collectif de santé La Perche vit depuis longtemps en grande proximité avec son quartier. Elle n’a jamais mis les questions de santé mentale entre parenthèses ; leur prise en compte semble même faire partie de son ADN. Rencontre avec Catherine Brémont, psychologue et responsable du volet santé communautaire.

D’abord, l’accueil Psychologue de formation, Catherine B. a été engagée au collectif de santé La Perche pour mettre sur pied des actions communautaires. Au même titre que ses collègues assistantes sociales et responsable administratif, elle est également chargée, à temps partiel, de l’accueil des patients. Des patients qu’elle connaît bien désormais, puisqu’elle exerce cette fonction depuis douze ans déjà. Elle nous dépeint comment les problématiques de santé mentale s’appréhendent et se travaillent à La Perche.. « Il y a ici une sorte d’historique par rapport aux questions de santé mentale ». Depuis bon nombre d’années, le Dr Patrice Slinger, psychothérapeute psychanalyste y tient des consultations deux demi-jours par semaine ; s’il n’y a pas de places disponibles, les personnes sont orientées vers les services de santé mentale les plus proches. Une des fondatrices de La Perche, Claire Remy, a quant à elle a participé à la création du Réseau d’aide aux toxicomanes, également situé à Saint-Gilles. Ce réseau est né de la volonté de médecins généralistes de répondre aux demandes de personnes confrontées à des problèmes d’assuétudes. Dans divers lieux de consultation, ces médecins les accueillent, les accompagnent, les orientent. La Perche comprend encore à ce jour une antenne du Réseau d’aide aux toxicomanes. « Les personnes qui y sont suivies ne sont pas forcément des patients de la maison médicale, mais des liens peuvent être établis entre les deux. ». Que ce soit à travers les consultations psychiatriques ou le Réseau d’aide aux toxicomanes, la santé mentale est au cœur du travail de La Perche. Mais cette attention ne s’arrête pas là. Forte de sa formation de psychologue et de son travail mené parallèlement pour l’association Françoise Dolto, Catherine Brémont fait également de la guidance pour certains patients. « Je ne fais pas de psychothérapie, précise-t-elle. Je les reçois, je débroussaille et j’oriente, notamment quand il y a des questions touchant à la parentalité ». Les réunions d’équipe, tous les mardis midi, font aussi la part belle à ces problématiques. Un mardi par mois est consacré au « psycho-social » : « On échange autour des patients. C’est une sorte d’intervision, avec la présence du psychiatre de la maison médicale. ». Un moment qui permet d’échanger tant pour « savoir à qui il faut faire attention au moment de l’accueil » que pour relayer certaines informations aux médecins généralistes qui suivent ces patients. Car l’accueillant, tout comme les médecins généralistes, est un réceptacle pour toute une série de problématiques sociales ou psychiques.

Différentes portes d’entrée

L’accueil est bel et bien un pilier du centre intégré. « Ce n’est pas un accueil isolé, il se fait au milieu de tous. Quelques patients viennent ici non pas pour venir consulter, mais juste pour prendre un café, pour dire bonjour. Quand on ne voit pas certains d’entre eux passer pendant deux jours, on s’inquiète. ». En douze ans, l’accueil a beaucoup changé : « Il est beaucoup plus structuré pour le public, nous avons fait un gros travail sur l’accessibilité notamment dans le cadre de la démarche d’évaluation qualitative – DEQ1 ». Les effets de cette réorganisation ? L’équipe a plus de temps pour dialoguer avec chaque patient, nous explique Catherine. Et de préciser aussi que l’équipe de la maison médicale « fait preuve de souplesse à l’égard de certains patients agités, perdus ou intoxiqués dans la salle d’attente : même s’ils n’ont pas rendez-vous, on essaye de les intercaler entre deux patients». Le médecin généraliste est une autre porte d’entrée pour détecter les problèmes de santé mentale : demandes récurrentes de somnifères, maux de dos incessants sans qu’aucun examen ne mette en évidence une quelconque pathologie… Les exemples sont légion. « Certains patients disent constamment qu’ils ont mal partout. Mais il s’agit en fait de dépressions, de découragement. ». Avec 20-25 minutes de consultation, il est parfois difficile de consacrer du temps à ces questions. « Mais les médecins sentent parfois que ces personnes ont besoin de parler, et ils prennent ce temps parce qu’ils se rendent compte qu’elles n’iront pas ailleurs ». Ou bien ils relayent vers l’accueil, vers une assistante sociale, vers les activités de santé communautaire – un groupe de parole, des activités cuisine, des ballades… Ces projets contribuent à briser l’isolement et favorisent l’expression : ils « font soin » à leur manière.

En réseau avec le patient

Patients psychotiques, toxicomanes, personnes alcooliques, déplacées, exilées, réfugiées, sans abri… les profils des patients psychiquement plus fragiles sont diversifiés. Et avec eux, le lot de problématiques à régler. Et de ponts à construire avec d’autres services : une convention signée avec une maison d’accueil, une collaboration avec le service de traduction et d’interprétariat social (SETIS) ou un partenariat avec des appartements supervisés destinés à des personnes qui sortent d’hôpitaux psychiatriques… « Nous relayons aussi les patients vers les trois services de santé mentale qui sont proches de nous », expose Catherine Brémont. « On a déjà rencontré les équipes, mais nous n’avons pas toujours de retour. Est-ce que les patients ont des rendez-vous, dans quels délais … ? ». Les assistantes sociales travaillent beaucoup en réseau autour de toute une série de problématiques, et l’accueil tient une « farde de réseau », qui permet d’orienter une personne en détresse vers le service adéquat, en prenant, au besoin, directement contact avec lui. Il est mentionné également l’intérêt de l’équipe pour les « Cliniques de concertation »2, une approche originale consistant à réunir l’ensemble des intervenants psycho-médico-sociaux autour d’un usager, son entourage et l’usager lui-même. Ensemble, en confrontant points de vue et compétences, il s’agit de faire avancer une situation.

Nouveaux besoins, nouveaux outils ?

Il y a de plus en plus de familles isolées, en manque de repères, et une plus grande précarisation, notamment liée aux flux migratoires, mais pas uniquement : « Les gens du quartier ont de plus en plus de mal. Le logement est un gros souci. Il est parfois tellement inadapté qu’il engendre des problèmes de santé mentale. Par le bruit, la mauvaise entente entre les locataires ou encore une certaine insécurité dans le quartier. Ce sont des choses qui touchent particulièrement les personnes âgées. ». Si les cas « trop lourds » sont finalement assez rares, il reste difficile de gérer certaines situations. Des situations de violences par exemple, choquantes pour certaines accueillantes. « Les médecins essayent de nous protéger. Inversement on essaye de protéger les médecins. On a également installé un système de ‘google talk’, qui nous permet de nous parler de bureau à bureau via notre ordinateur. ». L’équipe de La Perche se sent-elle outillée pour faire face à la lourdeur de certaines situations ? « On est obligés de communiquer beaucoup plus qu’avant et l’équipe soignante est amenée à intégrer de plus en plus la prévention au sens large. Il y a beaucoup de relais dans l’équipe. C’est une équipe assez stable. La confiance, la stabilité, la démocratie dans l’équipe, ce sont des facteurs positifs ». Toutefois, les professionnels de La Perche l’expriment clairement : face aux demandes croissantes, offrir plus de plages de consultation ‘psy’ serait nécessaire. 

Documents joints

  1. Processus d’auto-évaluation interne imposé par le décret ambulatoire en Région bruxelloise, NDLR.
  2. Un dispositif thérapeutique collectif initié en 1996 par le Dr Jean Marie Lemaire. Voir article dans ce dossier «La position du mulet».

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 70 - avril 2015

Les pages ’actualités’ du n° 70

La saga du numerus clausus

Changement de gouvernement, changement de politique ; le sujet brûlant du numerus clausus est remis ces derniers temps à l’ordre du jour. Le climat est… glacial : en effet, le nombre de parties prenantes est important(…)

- Dr Hubert Jamart, Dr Olivier Mariage, Dr Pierre Drielsma

Mind the robots !

La marchandisation des soins se cache parfois derrière un masque séduisant… mais à l’intergroupe liégeois des maisons médicales, on a l’oeil vif, l’esprit suspicieux et la curiosité tenace. Histoire d’une enquête démontant la stratégie commerciale de(…)

- Christian Legrève, Frédéric Palermini, Ingrid Muller

Visiteurs indépendants : éclaireurs de la prescription rationnelle

Depuis 2007, des ‘visiteurs indépendants’ fournissent aux médecins généralistes une information globale et scientifiquement validée sur l’ensemble des soins possibles pour une pathologie donnée. Pour Santé conjuguée, Thierry Wathelet avait alors rencontré une des premières visiteuses(…)

- Emmanuel De Loeul

L’avenir des soins de santé… Pensons « soins » mais aussi « santé »

En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, les médias font écho quasi quotidiennement à des prises de position sur l’avenir de la(…)

- Alain Levêque, Luc Berghmans, Yves Coppieters’t Wallant

Des maux indicibles

André Crismer nous livre ici ses réflexions tout en nuances après la lecture d’un ouvrage de Didier Fassin consacré à certaines réponses apportées à la précarité. En contrepoint, quelques commentaires de Vanni Della Giustina, psychologue dans(…)

- Dr André Crismer

Il était une fois… Le GERM

Grande personnalité politique et scientifique belge, Lise Thiry s’est engagée dans de nombreuses causes comme le féminisme, la défense d’une médecine sociale, le soutien aux victimes du SIDA et l’appui aux demandeurs d’asile. Chercheur à l’Institut(…)

- Lise Thiry

Chapitre 1

Santé mentale en première ligne des soins, un modèle pluridimensionnel

Les travailleurs pluridisciplinaires de la première ligne perçoivent-ils toujours le bien-fondé de leur place centrale dans l’accueil, la prévention et le suivi des problèmes de santé mentale ? Pas assez sans doute… Vanni Della Giustina ouvre(…)

- Della giustina Vanni

Santé et maladie : un couple indissociable

Selon les observations faites par l’Organisation mondiale de la santé, 25 % des gens souffrent d’un trouble mental au cours de leur existence et ce chiffre doublera probablement d’ici 2020. La santé mentale représente donc un(…)

- Frédérique Van Leuven

Diagnostic : étiquetage ? Réflexions sur le tableau de bord des maisons médicales

Pour beaucoup de soignants, la santé mentale semble un peu « à part » dans le champ de la santé, notamment car elle touche directement à la personnalité des gens ; il leur apparaît souvent plus(…)

- Marianne Prévost, Marie Marganne

Soignants entre marteau et enclume

Le travail peut rendre malade ; le chômage aussi et même les politiques d’activation. Que peuvent faire les médecins pour les personnes qui en arrivent à l’impasse ? Réflexions de Frédérique Van Leuven.

- Frédérique Van Leuven

Le diagnostic : vers une narration clinique collective

Trouver un langage commun aux questions de santé mentale : une question ancienne et inépuisable… qui prend des accents particuliers dans une équipe pluridisciplinaire souhaitant que le langage se mette au service de l’approche globale, intégrée,(…)

- Della giustina Vanni

‘MMPP’ : une médicalisation, à quel prix ?

En 2011, le FOREM définissait une nouvelle catégorie de chômeurs, les ‘MMPP’ : soit les personnes présentant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique. Frédérique Van Leuven a vivement réagi à l’époque, exposant de(…)

- Frédérique Van Leuven

Santé mentale en première ligne de soins, un modèle pluridimensionnel

Les travailleurs pluridisciplinaires de la première ligne perçoivent-ils toujours le bien-fondé de leur place centrale dans l’accueil, la prévention et le suivi des problèmes de santé mentale ? Pas assez sans doute… Vanni Della Giustina ouvre ce dossier(…)

- Della giustina Vanni

Chapitre 2

Approche communautaire en santé mentale : c’est possible !

Développer une approche territoriale et communautaire : la bonne voie pour naviguer entre la rationalité gestionnaire, les enjeux politiques et les défis humains ? Peut-être bien, si l’on en croit Anouck Loyens : elle nous raconte(…)

- Anouck Loyens

Territoire et milieu de vie : une approche communautaire de la santé mentale

Ne pas se limiter aux savoirs spécialisés : voilà sans doute une bonne manière d’améliorer la santé mentale. En s’appuyant, à côté des soins, sur tout ce qui contribue au bien-être : le milieu de vie(…)

- Christophe Davenne

Approche communautaire : quand le désert devient fertile

Le manque de ressources est souvent désespérant, mais il peut aussi développer l’imagination : Latifa Sarguini nous raconte comment sa maison médicale a suscité la création d’un réseau à partir de pas grand-chose. Ou plutôt, à(…)

- Sarguini Latifa

Continuité des soins ambulatoires à long terme : sur la piste du référent

Pas facile de suivre une personne à long terme en ambulatoire, de manière cohérente et respectueuse pour chacun : bien placés pour le savoir, des membres de l’association Similes ont mené un travail de réflexion –(…)

- Marinette Mormont

La position du mulet… de l’importance du niveau politique dans la mise en place d’un travail de réseau

Vanni Della Giustina aborde ici la ‘Clinique de concertation’, soutenue par Jean-Marie Lemaire, psychiatre et formateur à Flémalle. Cette approche, c’est qu’elle permet de réintroduire le pôle ‘politique’ trop souvent oublié (ou perçu comme dangereux) par(…)

- Della giustina Vanni

Santé mentale à La Perche : une approche communautaire

Située à quelques encablures de la célèbre Barrière de Saint-Gilles, le collectif de santé La Perche vit depuis longtemps en grande proximité avec son quartier. Elle n’a jamais mis les questions de santé mentale entre parenthèses(…)

- Catherine Brémont, Marinette Mormont

De la pertinence du f(l)ou

Définir, structurer, organiser : c’est une nécessité pour tous les systèmes humains – et les systèmes de santé n’y échappent pas. Mais l’être humain écrira toujours dans les marges… A partir d’une histoire très simple et(…)

- Marianne Bailly

Entre révolte et lien social

Pauvreté, problèmes psycho-sociaux, cercles vicieux… Comment les intervenants peuvent-ils éviter la lassitude ? Peut-être en changeant de lunettes : telle est l’expérience qu’Anouck Loyens raconte ici, après s’être initiée à l’approche anthropologique dans le cadre d’une(…)

- Anouck Loyens

Chapitre 3

Les soins primaires de santé mentale : importance et composantes clé pour l’optimisation des services

La Belgique n’est pas la seule à vouloir réformer son système de soins en santé mentale. Beaucoup de ceux qui s’y attellent ailleurs constatent l’importance de la première ligne, de la pluridisciplinarité, du travail en réseau.(…)

- Marie-Josée Fleury

Réforme de la psychiatrie et milieux de vie : enjeux

Les réformes en santé mentale initiées dans divers pays européens portent toutes en elles une volonté politique de désinstitutionalisation. Toutefois, pour les auteurs de cet article, il importe de questionner l’application sur le terrain de ces(…)

- Youri Cael

‘Psy 107’ : une réforme à la hauteur de ses ambitions ? Regards croisés

Depuis 2010, la réforme belge des soins de santé mentale ‘psy107’ est mise en oeuvre dans tout le pays. Va-t-elle métamorphoser le paysage, mieux répondre aux besoins des usagers ? Marinette Mormont a fait le point(…)

- Marinette Mormont

Réforme ‘psy 107’ : une invitation pour les maisons médicales ?

Reconnues pour leur travail pluridisciplinaire et en réseau, les maisons médicales sont sans doute des partenaires tout indiqués pour prendre part aux réseaux qui se construisent, ici et là, dans le cadre de la réforme des(…)

- Barbara Pieters, Claire Van Craesbeeck

Psy107 à Liège : un machin de plus ou une occasion à saisir ?

Une action pour améliorer la santé mentale ne peut être efficace que s’il existe une réelle articulation entre les différentes interventions, généralistes et spécialisées, mais aussi avec l’entourage et le milieu de vie de la personne.(…)

- Christian Legrève

Une équipe mobile à Bruxelles

HERMESplus est, à côté du projet mené sur l’Est de Bruxelles, l’un des deux projets bruxellois mis en place dans le cadre de la réforme de la psychiatrie. Particularité principale : l’initiateur n’est pas un hôpital(…)

- L’équipe d’HERMESplus

Les maisons médicales à l’ère du ‘psy 107’

La réforme ‘psy 107’ n’a pas fini de faire parler d’elle ! Quelle place ont les maisons médicales dans cette réforme, quelle place veulent-elles y prendre, dans quelles limites, avec quels moyens ? Réflexions d’Olivier Mariage(…)

- Dr Olivier Mariage

Réforme de la psychiatrie : pour une culture en invention

La réforme en santé mentale modifie les dispositifs de soins ; va-t-elle pour autant désinstitutionnaliser la folie mentale ? Là se situe la question fondamentale aux yeux d’Yves-Luc Conreur, qui nous invite à bousculer les évidences(…)

- Yves-Luc Conreur

La réforme en santé mentale nécessite-t-elle une révolution ?

Réformer sans trop bousculer le modèle hospitalocentrique ? Ou renverser résolument la pyramide en mettant la première ligne au centre ? Les auteurs de cet article questionnent la réforme ‘psy107’, à partir de leur pratique en(…)

- Eric Adam

Introduction

Introduction

La réforme en psychiatre dite ‘Psy 107’ a fait l’objet d’une analyse dans le n° 58 de Santé conjuguée en juin 2014 sous le titre :« Quelle place ont les maisons médicales dans le projet de(…)

- Marianne Prévost