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Rencontre avec un délégué du troisième type…


Santé conjuguée n° 44 - avril 2008

Des « délégués » ne dépendant pas des firmes et proposant une information objective Evidence Based Medicine… le croiriez-vous ?

C’est au cours d’une de ces rencontres mensuel- les de délégués médicaux programmées au sein de la maison médicale, que j’ai eu l’occasion de rencontrer ce délégué d’un autre genre… Enfin ! Une médecin généraliste, le Dr Catherine Veys, qui nous parle de la prise en charge globale d’une thématique (en l’occurrence cette fois-ci le traitement de l’obésité), en abordant par le biais de comparaisons d’études validées, les différentes molécules et autres approches disponibles sur le marché… Qui est-elle ? D’où vient-elle ? De quelle planète et qui sont les mandataires d’une telle comète ? Autant de questions qui m’ont amené à prendre rendez-vous avec elle et un beau matin du mois de février, de pousser la porte de son cabinet privé. Car voilà déjà là une particularité de cette fonction de « délégué Farmaka »… Ce sont des professionnels, ayant reçu une formation spécifique dans l’analyse et la communication de l’information scienti fique, et qui ont pour la plupart, toujours une pratique de terrain.

Vous avez dit « Farmaka » ?

Farmaka est une asbl qui existe depuis plus de vingt ans. Sur leur site, (http ://www.farmaka. be) leur mission est décrite de la sorte : « Notre association a pour objectif de contribuer à une utilisation rationnelle des médicaments et des soins de santé par le biais d´études et de projets. Elle veut également transmettre ce savoir aux praticiens, aux consommateurs et aux autorités compétentes. » C’est dans ce cadre là qu’est né le projet de visiteurs indépendants. « Nous sommes actuellement 7 visiteurs médicaux en Wallonie et Bruxelles et 5 pour la Flandre. Nous travaillons un tiers temps, parfois un mi-temps comme délégués indépendants. Nous cherchons à apporter une information indépendante et une réflexion sur la prescription rationnelle : c’est-à-dire à bon escient (qui ait prouvé son efficacité dans la pathologie), offrant la meilleure sécurité (d’abord ne pas nuire au patient) et ayant développé une réflexion sur le rapport coût/ bénéfice. » Le concept est le suivant : durant l’année, trois thématiques sont choisies par les visiteurs médicaux sur base du travail de recherche effec tué par Farmaka (auteur des Fiches de transparence). Lors de réunions, supervisées par un médecin de Farmaka ayant fait les recher ches bibliographiques et garant de l’exactitude de ce qui sera produit, ils réalisent des présen- tations proposées lors des visites. Elément intéressant : ces présentations sont téléchar geables en format pdf sur leur site web. Ces réunions préparatoires permettent de définir ensemble les points importants à relever dans les différentes études disponibles, de mieux en comprendre les enjeux et ainsi de mieux les lire. Au bout de ces échanges, ils définissent les points clés, faciles à retenir et pouvant être transmis en un temps minimum. Et qu’en pensent nos collègues ? Les visites sont faites uniquement sur base vo- lontaire. Il y a d’abord un contact téléphonique. Dans un premier temps, c’est plutôt de la méfiance : crainte que l’Etat « mette son nez » dans leur pratique et ne vienne dicter ce qu’ils doivent faire. Surtout qu’ils savent que le projet a une convention avec l’Agence fédérale des médicaments des produits de santé (AFMPS). Cela garantit l’indépendance de l’information. Mais le délégué indépendant n’est pas là pour donner des leçons et « nous n’avons pas d’objectifs à atteindre, pas de pressions dans le dos pour convaincre », me confirme-t-elle. Par contre, dès que le premier contact est fait, l’accueil est généralement favorable et de nouveaux rendez-vous sont pris par la suite. C’est un bel exemple de la dualité du médecin généraliste : il présente à la fois une réticence par rapport à l’Etat, liée à sa peur de se voir imposer un type de pratique et en même temps, à la fin de la présentation, est demandeur de ce qu’il doit faire. Une étude1 réalisée en lien avec les centres universitaires de médecine générale et Farmaka, montrait que si 74 % des médecins interrogés utilisent des outils d’informations Evidence Base Medecine (autres qu’informatiques), 93 % souhaitent une aide pour la recherche d’informations et/ou la validation des données et/ou la gestion des données. 83 % des généralistes interrogés accepteraient de recevoir une information (sur une pathologie et/ou une classe de médicaments). Cette même étude montrait en outre que 88 % souhaitent recevoir cette information sous forme de fiches pratiques. Enfin, 61 % des médecins interrogés souhaitent pouvoir disposer également d’une aide à l’identification des attentes et/ou croyances des patients. De telles visites sont assurément une pierre en plus dans l’édifice de l’information aux thérapeutes. Un des acquis d’une telle initiative est d’éviter la subjectivité de la firme pharmaceutique, mais on n’évite pas la subjectivité (relative !) du délégué indépendant. Celle-ci est en effet fortement limitée, puisqu’il n’y a ni objectif commercial, ni objectif de contraindre à un changement de pratique. Il s’agit avant tout d’offrir une information objective et validée, basée sur des concepts d’Evidence Based Medicine. L’Evidence Based Medicine ? Quand on dit qu’il s’agit avant tout d’offrir une information objective et validée, basée sur des concepts d’Evidence Based Medicine, à quoi fait- on référence ? L’Evidence Based Medicine, terme qu’il est plus correct de traduire par Médecine basée sur des preuves, c’est-à-dire sur des tests diagnostics et thérapeutiques ayant prouvé leur pertinence, de préférence lors d’examens randomisés et contrôlés, s’oppose à l’Experience Based Medicine, qui est basé sur des raisonnements physiopathologiques. Il n’est plus acceptable de légitimer un diagnostic ou un traitement uniquement par l’expérience propre, forcément limitée, fragmentaire et partiale, ou par les raisonnements théoriques non soumis à des études fiables. Mais dans la pratique, un résultat statistiquement pertinent (EBM) n’est pas nécessairement une donnée cliniquement pertinente pour un patient donné. L’Evidence Based Medicine ne peut donc être conçue comme un carcan normatif dictant la pratique médicale mais comme une base rationnelle solide sur laquelle s’appuyer. En outre, cela permet aussi aux thérapeutes de limiter l’impact qu’ont les sociétés pharmaceutiques sur leur manière de prescrire. Cette influence des sociétés pharmaceutiques est sournoise comme le souligne le Dr Eric G. Campbell2, puisque la majorité des médecins nient farouchement que les relations qu’ils ont avec les sociétés pharmaceutiques aient un effet négatif sur leur pratique personnelle, mais sont convaincus qu’elles ont une influence néfaste sur celle de leurs collègues ! Et de conclure son article en prônant, comme alternative à ce constat, d’encourager les médecins à se familiariser et à adhérer aux directives établies par les institutions dans lesquelles ils pratiquent et les associations professionnelles auxquelles ils appartiennent. De quoi apporter de l’eau au moulin du projet de visiteurs médicaux de Farmaka ! En pratique Pour obtenir une visite, il suffit de s’adresser par courriel à l’adresse suivante : info@farmaka.be. Farmaka prendra contact avec vous pour convenir d’un rendez-vous. L’entretien est individuel, moyen le mieux adapté pour répondre aux exigences pratiques d’un médecin généraliste (exigences de temps et de disponibilité) et pour communiquer l’essentiel, centré sur ce qui intéresse le médecin en particulier. Il offre une mise à jour des thématiques actuelles qui s’avèrent pertinentes dans la pratique de médecine générale, sur base d’analyses aussi neutres que possible, ainsi que des outils de réflexion et d’aide lors de l’interprétation critique des données scientifiques. Les sujets de présentation peuvent être librement téléchargés sur le site internet en format pdf. Les thèmes disponibles actuellement concernent la prise en charge du diabète de type 2, le traitement de l’obésité, la prise en charge des troubles anxieux, la présentation du rhume des foins, la démence.

Et pour l’avenir ?

De telles expériences devraient être davantage soutenues et surtout connues auprès des médecins généralistes. Cependant, le temps (20 à 30 minutes pour la visite) est un facteur dont il faut tenir compte dans la mission du visiteur indépendant : en effet, c’est court pour pouvoir présenter convenablement le sujet… et déjà trop long pour le médecin généraliste habitué aux visites ciblées, bien ficelées d’un point de vue marketing, aux messages simplistes et simplifiés des délégués commerciaux. Le Dr Catherine Veys reconnaît que parfois sa visite apporte pour le médecin plus de questions que de réponses. « On n’est pas là pour convaincre mais pour ouvrir le débat »… et cela ne peux se faire en vingt petites minutes. C’est pour cette raison que le groupe des visiteurs indépendants, dans le travail préparatoire, tente de retirer les éléments essentiels du sujet et rédige la présentation de façon très structurée, avec des slides résumés (pour ceux qui n’ont pas le temps) et des slides beaucoup plus développés (pour pouvoir approfondir certains points si le médecin en fait la demande, ou aller plus dans les détails si le médecin a du temps). L’accréditation de ces visites serait sans aucun doute un plus pour introduire cette approche dans la pratique professionnelle des médecins généralistes. Encore un peu de patience… il semblerait qu’on puisse évoluer vers cette perspective. Une autre remarque en marge de ce travail, c’est le constat de notre visiteuse médicale indépendante que 50 % de sa base de données, issue de l’INAMI, concernent des médecins généralistes en Brabant wallon qui n’ont plus de pratique générale. Il est vraiment urgent de réaliser un véritable cadastre des pratiques. Mais çà… c’est une autre histoire. .

Documents joints

  1. Projet informateurs médicaux Wallonie – Projet Farmaka. Analyse des besoins d’information des médecins généralistes – 04/ 01/2005. Coordination du projet : Karl Thibaut.
  2. Eric G. Campbell, Ph.D. “Doctors and drug companies – scrutinizing influential relationships”, N Engl J Med 357 ; 18 november 1, 2007.

Cet article est paru dans la revue:

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