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Qui tient le gouvernail ?

La lecture de ces différentes situations a permis d’identifier une série de facteurs de précarité en jeu. Les échanges autour de la manière dont chacun, de sa place, travaille ces facteurs de précarité a amené les membres du groupe à évoquer l’impact du « politique » dans leur travail quotidien. Conséquences de certaines décisions, changement de cap selon les législatures, intérêts différents, enjeux de subsidiation… sont autant de réalités auxquelles sont confrontés les travailleurs. Cela a amené le groupe à se pencher sur la question : « Quel est l’impact positif ou négatif des décisions politiques sur les facteurs de précarité qui touchent les usagers et les professionnels ? » .

Une situation exemplative :
la fermeture des salons de prostitution

Les décisions des politiques ne vont pas toujours dans le sens de ce que souhaitent les travailleurs de terrain :
aux yeux d’une association, la décision de fermer les salons de prostitution sur le territoire a provoqué une réduction sur le terrain de la prostitution « visible », mais n’a pas diminué la prostitution effective : pire, elle diminue l’accès des travailleurs sociaux à cette prostitution qui entre davantage dans la clandestinité.

Selon l’association, cette décision augmente l’insécurité pour les prostituées qui se retrouvent dans des lieux risqués et renforce les problèmes de santé (problèmes d’hygiène, accès moins facile aux services de prévention, de dépistage, de vaccination…) ; elle renforce aussi l’isolement, coupant les prostituées du réseau social qu’elles ont construit avec leurs collègues de salon.

D’autres exemples sont présentés, montrant qu’il est cependant important pour les institutions de proximité d’être soutenues par le politique pour obtenir une place dans la négociation.

Les échanges ont permis de travailler autour des différentes thématiques qui suivent.

Quel peut être l’impact de l’associatif sur le politique ? Comment prendre une place en amont des changements politiques ?

Une première question se pose : qui se nomme interlocuteur du politique ?

L’élan de prendre la parole, d’interpeller ou de renvoyer nos constats vers le politique est pris au cas par cas par un ou des travailleurs, des institutions ou des fédérations d’institutions. Le choix de l’interlocuteur aura certainement des effets sur l’efficience de cette prise de parole.

On constate que bien souvent ce choix n’en est pas un, car il fait rarement suite à une réflexion collective préalable sur : qui prend la parole ?

Une série de constats sont exprimés par les participants, qui laissent à penser que le travail social n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans. Pour les travailleurs, il est bien plus fréquent aujourd’hui de répondre aux usagers qu’on ne sait rien faire pour eux.

Les services ne sont pas toujours prêts à revendiquer. Ils font des constats mais ne les font pas remonter. Comment expliquer cette inertie ? S’agit-il de la peur de perdre son subside ? « D’un je-m’en-foutisme grandissant » ? D’un défaitisme, d’un désabusement ? Différents éléments de réponse apparaissent :

Le découragement

Il semble que les professionnels ont déjà tenté beaucoup de choses et se découragent. Le secteur social a le sentiment d’être quantité négligeable : « Si ce secteur fait grève, qui s’en émeut ? Qui est dérangé ? ». Pourtant, le monde associatif a le confort (la responsabilité ?) de pouvoir dire les choses.

La peur

La précarité institutionnelle ou la menace de la précarité institutionnelle explique que les travailleurs n’osent plus prendre une position de pression. Pour eux, le travail militant, très présent autrefois, est quasi nul aujourd’hui. Tout le monde subit, les professionnels d’abord, les usagers ensuite. C’est un phénomène en cascade.

La minimisation

Une autre tendance consiste à réduire certaines situations à de simples cas particuliers. L’enjeu est ici de soutenir que toute situation est à la fois singulière et « universelle », qu’il est donc essentiel d’entendre ce que toute situation singulière dit de notre société !

Alors, comment redonner de la consistance au volet politique du travail social ?

Plusieurs pistes apparaissent :

Agir au niveau de la formation

La conscience politique du travail social est-elle suffisamment aiguisée dans les cursus scolaires ? La part politique du travail social est moins développée que le travail clinique (travail avec les usagers). Certains travailleurs pensent que si le lien de confiance avec les personnes précarisées est rompu pendant 2, 3 mois au bénéfice d’un travail plus militant, c’est prendre le risque de perdre le public. Il semble plus aisé de prendre la parole et d’être entendu lorsque l’on touche à certains thèmes plus porteurs (ex. la vaccination).

Développer des lieux de concertation

L’accès à l’aide sociale, à la sécurité sociale, à l’aide médicale urgente sont des droits universels qui concernent chacun d’entre nous. Prendre conscience de cette réalité, mettre en commun les constats, partager les dysfonctionnements sont les premières étapes vers l’organisation. La nécessité de développer des lieux de concertation ne doit toutefois pas cacher que dans certaines sphères, des lieux de revendications existent mais qu’ils sont parfois mal utilisés.

Développer un savoir-faire, de la méthode

Se rassembler pour dénoncer parce qu’ensemble on est plus fort est une chose, mais il y a un manque de moyens. Il faut que l’action soit construite, mais la culture du lien au politique est défaillante. Avant, cette culture de la revendication existait. Les plannings sont nés sur le terrain du militantisme et les travailleurs ont tendance à l’oublier. La transmission de l’histoire au sein des institutions devrait être renforcée.

La dimension collective prend forme s’il y a des espaces collectifs et structurés. Avant, il existait un syndicat associatif pour unir les revendications. Les travailleurs s’interrogent. Nos représentants politiques locaux n’ont-ils pas les moyens de relayer plus haut ?

D’autres secteurs ont davantage développé une culture de la revendication. A l’époque où les Grignoux étaient menacés par d’autres complexes cinématographiques, ils ont utilisé la presse et mobilisé le public. Ils ont trouvé la manière de faire passer leur message aux politiques.

Mais le secteur culturel n’est pas le secteur social ! Qui, dans le grand public, viendra soutenir nos actions ? La sectorisation du milieu associatif est un frein à la mobilisation commune. Une association seule a peu de poids mais si plusieurs associations se mettent ensemble, c’est plus porteur. L’associatif a le sentiment de ne plus être une parole fiable pour le politique. Les divisions de fédérations et de secteurs précarisent les travailleurs.

Le public concerné a-t-il une place dans ces revendications ? Comment donner la voix aux personnes précarisées ?

Les gens évoquent un malaise et les professionnels analysent ce malaise. Grâce à ce travail d’analyse, les professionnels parviennent à identifier les contradictions, les difficultés, les non-sens et formulent des recommandations au politique qui, comme le public, n’est pas toujours conscient de tous ces aspects.

La peur d’instrumentaliser le public est un souci permanent pour les professionnels. Ils se sentent parfois tiraillés entre leurs repères éthiques et un souci de ne pas empêcher le public de développer une prise de conscience politique.


La sectorisation du milieu associatif constitue un frein à la mobilisation commune.

La concertation n’est pas toujours reconnue comme une priorité par le politique. L’associatif a le sentiment de ne plus être une parole fiable pour le politique.
La part politique du travail social est laissée pour compte par rapport au travail clinique (travail avec les usagers).

La Plateforme reste le seul lieu où tout le monde se retrouve et où le débat est possible.

La précarité institutionnelle ou la menace de la précarité institutionnelle explique que les travailleurs n’osent plus prendre une position de pression.

Se rassembler pour dénoncer parce qu’ensemble on est plus fort est une chose mais les moyens manquent. Il faut que l’action soit construite. Notre culture du lien au politique est défaillante. Il semble donc opportun de s’intéresser aux réflexions globales, aux réponses collectives que certaines institutions, membres de la Plateforme, ont apportées à ces questions.

Cet article est paru dans la revue:

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