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Philippe Lamberts : « Toute décision politique est orientée profit »

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Santé conjuguée n°87 - juin 2019

Agenda chargé en avril dernier : Journée mondiale de la santé, semaine européenne contre la commercialisation et la privatisation des soins de santé. A cette double occasion, Philippe Lamberts, le coprésident du groupe des Verts/EFA au Parlement européen, n’a pas mâché ses mots.

De quoi la commercialisation des soins de santé est-elle le signe ? Philippe Lamberts : On ne devrait pas parler de commercialisation de la santé : la santé est une composante essentielle d’une vie digne et il devrait être naturel pour nos sociétés que nous puissions tous vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine indépendamment de considérations économiques. La commercialisation de soins de santé montre à quel point la société marche sur la tête. Qu’on en juge : aujourd’hui, avant de décider d’une nouvelle politique en Europe, on procède à une analyse d’impact. Mais de quel impact parle-t-ton ? Pensez-vous qu’il s’agisse de l’impact sur les inégalités ? Sur l’empreinte écologique ? Sur la santé ? Absolument pas ! Le premier impact que l’on examine, c’est l’impact économique. Plus précisément : l’impact sur le profit. Plus précisément encore : l’impact sur le profit que perdraient les gagnants du statu quo. En fait, toute la décision politique en Europe est orientée profit et, en plus de cela, orientée sur la défense de la rente de ceux qui aujourd’hui profitent du système. Donc oui, on peut avoir l’égalité ou on peut avoir une réduction de notre empreinte écologique ; oui, on peut vivre en bonne santé… pour autant que tout cela n’impacte pas à la baisse des profits existants. Dans certains domaines – pensons à la transition énergétique –, on pourrait dire que le fait de changer de politique ferait augmenter les profits de certains, mais cela ne compte pas autant que les profits des rentiers du système. Il en est de même en matière de santé ? Rappelez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps et ça a été une victoire, le Parlement européen recevant le texte sur la législation des émissions de CO2 des voitures a décidé d’aller plus loin que ce que la Commission demandait. Et vous avez entendu les cris d’orfraie du secteur de l’automobile : « Ne faites pas ça, ça va ruiner l’emploi ! ». Quand l’Association européenne des constructeurs automobiles parle d’emploi, vous vous dites que c’est étonnant. D’habitude ce sont plutôt les syndicats : le chiffre qui pilote les entreprises est bien la maximisation du profit… Mais défendre l’emploi, ça sonne mieux que défendre le profit. Ça fait plus « inclusif », mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Lorsque l’on veut renforcer la législation environnementale, ces entreprises vont vous dire qu’au nom de l’emploi vous ne pouvez pas le faire. En d’autres termes : « Nous savons que nos activités sont nuisibles, à la santé en l’occurrence, mais que voulez-vous, c’est bon pour l’emploi. On ne fait pas d’ome- lette sans casser des œufs ». On sait bien que l’on casse des œufs – en français : des vies humaines – mais le profit est à la clé donc on va tout de même le faire… C’est ça la politique aujourd’hui majoritaire dans nos pays et par conséquent au niveau européen : la défense de la mondialisation néolibérale, qui fait de la planète et de ses habitants autant de ressources au service du profit de quelques-uns. Aujourd’hui, le fait que nous discutions de commercialisation de la santé montre que, dans la logique du système dans lequel nous vivons, c’est la vie elle-même qui est subordonnée à la logique du profit. Et parler de logique c’est encore joli… Pour avoir travaillé plus de vingt ans dans le secteur privé et dans une multinationale, je peux le dire : ce n’est pas la logique de profit, c’est la dictature du profit à court terme qui doit imposer sa loi à tout le reste. Je dirais même que le système vise à faire du fric non seulement en cassant les œufs pour faire l’omelette, mais aussi en faisant mine de les réparer. Après tout, soigner les cancers est aussi une opportunité de faire des affaires. Donc on ne va pas faire de prévention : cassons des œufs. Les mots aussi ont leur importance, le vocabulaire économique s’imprime partout… Même dans le secteur non marchand ! J’étais un jour surpris que ses représentants l’appellent maintenant « secteur à profit social ». On se dit a priori que cela a une imprégnation plus positive, mais l’argumentaire est économique : regardez combien d’emplois on crée, regardez notre contribution au produit intérieur brut… Mais ce n’est pas le sujet ! Le vrai sujet c’est : regardez notre contribution à la santé de nos concitoyens, regardez notre contribution au bien-être de nos concitoyens. Même dans le secteur non marchand, les représentants sont des représentants du monde patronal et le fait de créer de l’emploi et/ou de produire du PIB est un substitut au bien-être. Ils ont accepté la logique qui veut que plus de PIB ce soit plus de bien-être, alors que vivre en bonne santé, comme on dit, ça n’a pas de prix. « Ça n’a pas de prix » : nous utilisons cette expression pour quelque chose qui pour nous a une valeur incommensurable. Pour les économistes qui aujourd’hui sont les conseillers éminents des décideurs politiques, dire que quelque chose n’a pas de prix signifie que ça n’a pas de valeur. Ça, c’est la logique à laquelle nous sommes confrontés. On parle bien ici d’un changement de paradigme. Nous sommes souvent sur un pied défensif, mais je pense que nous devons passer à l’offensive. « Le néolibéralisme est un fascisme »1, le terme utilisé par Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats, m’avait choqué initialement, mais c’est vrai, c’est un totalitarisme. Il fait de la vie humaine une simple ressource, consommable. Il dénie ainsi à une partie significative de nos concitoyens la possibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine. Et ça, c’est inacceptable. Il n’y a pas d’alternative ? Bien sûr que si. L’enjeu fondamental est d’inverser la logique : de remettre l’économie au service de la vie et pas l’inverse. Aujourd’hui, si l’on veut défendre la vie humaine sur cette planète, il est urgentissime de réduire notre empreinte écologique et de le faire en réduisant les inégalités, pas en les augmentant et en améliorant la santé de nos concitoyens. Et c’est sous ces contraintes-là que l’on peut faire du profit. Autrement dit, l’économie doit être remise à sa place : un sous-système de nos sociétés humaines qui est subordonné à la vie. La santé fait partie des ingrédients indispensables à ce à quoi nous aspirons comme êtres humains, à vivre et bien vivre. Elle ne peut donc être une variable d’ajustement, mais bien un objectif fondamental. Cela suppose donc en premier lieu de s’abstenir de toute action qui détériore la santé publique et ensuite d’assurer un véritable service universel de santé, qui échappe à la logique du profit.

Documents joints

  1. Carte blanche parue dans Le Soir, 3 mars 2016.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°87 - juin 2019

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