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Les actions menées actuellement pour favoriser la participation des patients rencontrent des freins sur le terrain et pourraient s’enrichir d’actions à visée des professionnels et des institutions, dans une vision de transformation globale.

Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés [1] ». La participation dans le domaine de la santé est un droit et elle a démontré son efficacité dans l’amélioration de la santé en général et dans la réduction des inégalités sociales en santé [2]. C’est un processus fondamental de la promotion de la santé [3] et du développement du pouvoir d’agir (empowerment). Les personnes seules ou en collectif s’y engagent en vue d’influer sur des choix significatifs relatifs à leurs conditions de vie [4]. Dans ce contexte, la portée du soin peut se déplacer d’une « action à visée thérapeutique » vers une « action à portée émancipatrice » [5].

Pour dresser un état des lieux de la participation et envisager d’éventuelles actions de soutien, une recherche qualitative a été menée à la Fédération des maisons médicales en 2020 grâce au soutien de la Fondation Roi Baudouin. Des questionnaires ont été complétés par 34 maisons médicales, deux focus groups ont été organisés auprès de professionnels et d’une association d’usagers et des entretiens ont été réalisés avec dix professionnels et neuf usagers de différentes maisons médicales. Nous avons déjà eu l’occasion de présenter nos résultats concernant l’implication des usagers dans les instances de décision des maisons médicales [6]. Voici l’analyse concernant la participation dans les soins curatifs.

Le point de vue des professionnels concernant la participation des patients dans leurs propres soins

La participation des patients est une volonté affirmée des professionnels et est soutenue par de nombreux leviers (entretien motivationnel, reformulation, information, approche globale, centrée, éducation thérapeutique, approche interdisciplinaire, littératie en santé). Mais elle rencontre de nombreuses limites provenant de manques chez les patients, chez les soignants et des freins organisationnels et légaux.

En effet, les professionnels identifient de nombreux freins individuels des usagers. Ce sont essentiellement des freins liés à des capacités, des connaissances, rendant les interactions et les compréhensions difficiles. Nous y retrouvons la barrière de langage (« Avec les gens qui ne parlent pas le français, on essaie de simplifier, mais c’est difficile d’arriver à un partenariat, même avec l’envie, les motivations, les valeurs »), des compétences cognitives limitées, un manque de connaissances fiables en santé. Les soignants identifient également les impacts d’un manque de motivation chez certains patients, d’une résistance au changement. Et enfin, les représentations qu’ont des patients que le soignant peut tout régler (« Comme si on était chez un garagiste »).

Les professionnels identifient également des facteurs individuels les concernant personnellement : des compétences relationnelles et communicationnelles (« On ne nous apprend pas à entrer en relation alors que c’est le plus important, c’est le chemin qu’on fait ensemble avec le patient »), les habitudes et rapports de pouvoir qui existent, ainsi que la difficulté de réellement comprendre l’impact de la maladie chez un patient.

Les professionnels sont en outre confrontés à des contraintes organisationnelles telles que le temps (« Avoir un vrai consentement ça demande beaucoup de temps et d’énergie, d’autant plus si la personne ne parle pas le français ») et des contraintes telles que la responsabilité médicale (« Nous sommes matraqués pendant nos études avec la responsabilité médicale et je suis parfois en difficulté quand le patient souhaite un traitement qui n’est pas “conventionnel” »). Donc, malgré les nombreux leviers connus des professionnels, les possibilités de participation sont limitées. Des actions à visée des professionnels pour renforcer leurs compétences, explorer leurs questionnements éthiques, mais également prendre conscience des rapports de pouvoir, transformer et innover dans leurs institutions sont à considérer. Les processus à visée de transformation des usagers deviennent complémentaires à des processus de transformation des professionnels, comme individus et membres d’institutions de soins.

Transformation sociale

La visée et les pratiques d’empowerment ou pouvoir d’agir sont diverses. Il peut être un outil de transformation et de justice sociale et d’émancipation, en conscientisant les acteurs et transférant le pouvoir vers les populations. Un deuxième modèle insiste plus sur la notion d’autonomisation centrée sur l’agency, autrement dit la capacité des individus à faire des choix éclairés. Enfin, un dernier modèle, néolibéral, implique une capacité de conduire rationnellement son existence, de faire des choix, sans poser outre mesure la question de la justice sociale et de l’émancipation, chacun devant « se prendre en main ». Dans notre étude, le concept d’empowerment est compris dans sa portée de transformation sociale et en lien avec la promotion de la santé.

Le point de vue des usagers

Les usagers en situation de maladie chronique doivent apprendre une nouvelle façon d’être (transformer son identité [7]) et de vivre. Cette transformation se fait dans le cadre d’une relation avec eux-mêmes, avec les professionnels de la santé, leur entourage, dans le cadre d’un système sociosanitaire.

Avant de parler de choix éclairés, de codécision, d’implication… les usagers sont dans le besoin de se sentir respectés en tant que personnes (« Ce dont j’ai besoin en tant que patiente, c’est d’être entendue, respectée et jamais jugée, qu’il y ait une attitude bienveillante et tolérante »), dans leurs choix et dans leurs droits.

Les usagers souhaitent avoir l’opportunité de pouvoir participer ou non. En effet, les usagers rencontrés ont vécu des situations de « perte de pouvoir d’agir », confrontés à du paternalisme, des injonctions, un manque de reconnaissance de leurs droits (« J’étais en conflit avec des professionnels et je ne savais pas quels étaient mes droits »), de leurs vécus, amenant des situations inconfortables, voire dangereuses (« Le médecin ne m’avait pas expliqué que je risquais de perdre la vie.

Je suis arrivée aux urgences des heures plus tard, j’aurais pu mourir… »). Cette opportunité se construit dans une relation de confiance, grâce à un professionnel ouvert, donnant des informations compréhensibles et adaptées.

Pour pouvoir être partenaires, pouvoir codécider, s’autonomiser, les usagers identifient de nécessaires compétences dites psychosociales : se connaitre eux-mêmes (« Comprendre ses symptômes »), s’exprimer de la bonne manière (« Pouvoir mettre des mots sur ses maux »), savoir se faire entendre et pouvoir « affronter » les soignants (« Pouvoir leur dire non, je ne suis pas d’accord »). Encore faut-il qu’ils y voient du sens, en lien avec leurs objectifs de vie (« C’est quand on m’a demandé ce que je voulais faire dans la vie que j’ai commencé à me soigner »).

Enfin, certains usagers soulèvent l’importance du collectif (« J’ai mieux compris ma maladie dans un groupe, on s’échangeait des trucs et astuces »), des facteurs sociétaux et de leur nécessaire prise de conscience pour avancer dans un processus d’empowerment (« On est dans une société qui pousse à la consommation et qui rend malade »).

La participation des usagers reste un challenge au quotidien. Ils sont confrontés à un travail nécessaire de transformation individuelle, mais également à des nécessités de faire ce travail en relation avec des professionnels, dans un système de soins complexe et une société chargée d’influence. Des actions concernant les professionnels, un renforcement des actions collectives et communautaires et des actions visant les institutions sont à considérer.

De fréquentes limites

La participation à un niveau de codécision, de partenariat, existe, mais se confronte à des limites fréquentes rendant difficile l’opérationnalisation de ces pratiques. Pour gagner en autonomisation, les usagers doivent d’abord être en mesure de sortir de situations de « perte de pouvoir », puis de rentrer dans un processus pour apprendre à vivre différemment avec une maladie chronique. Cela nécessite de prendre en compte une émancipation globale de la personne (prise de confiance en soi, prise de conscience critique des facteurs non médicaux, amélioration de compétences psychosociales [8]), pour lui permettre de prendre du pouvoir sur sa vie, vis-à-vis des soignants, mais également à un niveau plus systémique. De plus, les actions nécessitent l’implication d’autres acteurs. La participation-empowerment repose en effet sur trois piliers : les individus, les communautés et les institutions, qui doivent s’articuler entre eux.

Forts de ces réflexions, nous proposons d’axer un travail de soutien des actions déjà mises en œuvre par les professionnels par des démarches pragmatiques (agir au-delà d’un débat sur les valeurs communes), en capacitation (transformation des ressources en compétences), au niveau institutionnel. Ces démarches auraient pour but de lever le poids d’une surresponsabilisation individuelle des usagers et professionnels à la gestion des maladies chroniques, d’innover, de soutenir le partage de pouvoir et l’apprentissage mutuel, la reconnaissance des différents savoirs, et d’affirmer le positionnement des maisons médicales comme acteurs sociétaux de transformation du système de santé. Un soutien des actions institutionnelles donc, relevant de quatre dimensions [9] et évitant autant que possible les pièges tels qu’une participation-alibi :
- Une dimension stratégique à définir en équipe : est-ce dans nos missions d’affirmer la participation- comme stratégie prioritaire ? Quels moyens temporels et financiers souhaitons-nous lui donner ? Et quel objectif concret, en lien avec notre réalité, permettrait de soutenir cette mission ? Par exemple, des maisons médicales ont fait de la littératie en santé une mission prioritaire. D’autres se sont concentrées sur la santé communautaire. D’autres encore ont souhaité constituer une association de patients ou travailler autour d’une maladie chronique en particulier.
- Une dimension technique permet de considérer les outils, les compétences, l’information et la communication nécessaires, mais également d’évaluer et diffuser le processus et les résultats. Un point fondamental est de pouvoir soutenir dans l’institution une formation accessible (aux professionnels ou aux usagers) et organisée sur la thématique choisie. Mais également de rendre accessibles les différentes informations (dossier partagé…), les décisions, le planning. Des maisons médicales ont soutenu la formation collective sur la littératie en santé, ou formé et accompagné des usagers à coconstruire des interventions sur une maladie chronique.
- La dimension structurelle permet de choisir une manière de s’organiser, d’impliquer des usagers dans des groupes de travail, des réflexions et la manière de reconnaitre le travail effectué. Des maisons médicales ont décidé de former des groupes mixtes patients-travailleurs, d’inclure et reconnaitre le travail de patients partenaires dans des groupes (prévention, animation…).
- La dimension culturelle permet de construire une compréhension commune des concepts, un cadre permettant de légitimer la parole des usagers, d’avoir un discours commun pour encourager les usagers à dire, à participer. Ce travail permet également d’entendre les craintes des professionnels, de travailler des dilemmes pouvant apparaitre entre valeurs et contraintes et de mettre en lumière les actions encourageantes, les apprentissages mutuels.

La participation dans les soins chroniques est une réalité nécessaire, permettant aux individus de mieux « se prendre en main », mais elle bénéficiera de s’accompagner d’une participation-émancipation, permettant une réelle prise de pouvoir d’un individu sur sa transformation. Une participation-émancipation qui devient alors également un objectif prioritaire de la relation soignant-soigné, d’un travail collectif et institutionnel, permettant une compréhension commune des besoins, de co-construction et mise en œuvre de solutions créatives et particulières à chaque contexte.

 

[1Déclaration d’Alma Ata sur les soins de santé primaire, 1978.

[2Ch. Ferron, « L’empowerment et la participation, ça marche ! », Santé publique n° 406, 2010

[3La charte d’Ottawa (1986) affirme que la promotion de la santé passe par la participation effective et concrète de la communauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l’élaboration et à la mise en œuvre des stratégies de planification en vue d’atteindre une meilleure santé.

[4A.-E. Calvès, « Empowerment, généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers Monde 2009/4 n° 200,

[5G. Aiguier, A. Loute, « L’intervention éthique en santé : un apprentissage collectif », Nouvelles pratiques sociales, vol. 28, n° 2, 2016.

[6. J. Herman, « Le patient, partenaire de ses soins et du système de santé », Santé conjuguée n° 88, septembre 2019.

[7I. Aujoulat, L’empowerment des patients atteints de maladie chronique, thèse de doctorat en santé publique UCLouvain, janvier 2007.

[8J. Guilhaumou, « Autour du concept d’agentivité », Rives méditerranéennes, n°41, 2012.

[9SM Shortell, CI Bennett, G. Byck, “Assessing the impact of continuous qualité improvement on clinical practice : what it will take to accelerate progress”, Milbank Quarterly, vol.6, n° 4, 1998.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°97 - décembre 2021

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