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« On pourrait dépoussiérer tout de suite les contenus, avant de réformer »


Santé conjuguée n° 64 - avril 2013

Marika Denil jette sur la formation en soins infirmiers un regard lucide, fait de contre-pieds aux discours dominants sur cette réforme attendue. Son témoignage dessine l’image d’une formation qui serait comme schizophrénique, intégrant parfaitement certaines évolutions – comme les pathologies liées au vieillissement – et faisant mine de ne pas en intégrer d’autres – comme les spécificités du statut et des fonctions de sage-femme ou d’aide-soignante. Une formation encore drapée d’oripeaux d’une autre époque qui gagnerait déjà beaucoup à se rafraîchir, avant d’envisager de se restructurer, estimet- elle en substance.

Santé conjuguée – L’idée d’unifier les cursus de formation en soins infirmiers vous semblet- elle bonne ? Marika Denil – J’ai un avis mitigé à ce sujet. Je me demande même si c’est suffisant d’avoir deux diplômes différents, d’autant qu’on leur a fait perdre leur essence. Au départ, c’est une discipline assez pratique, que l’on tente d’intellectualiser. A bon escient, dans l’absolu, mais il me semble qu’un seul cursus d’études supérieures en soins infirmiers fermerait l’accès à la profession à des personnes qui feraient de très bon infirmiers sans avoir pour autant la fibre « conceptuelle ». SC – Pour vous, quelles sont aujourd’hui les principales fonctions du métier d’infirmier ? MD – D’abord il y a le « nursing » : prendre soin, observer le patient tout en ayant des outils de diagnostic. C’est très important à mes yeux bien que ce soit l’aspect le moins recherché par les étudiants. Ensuite, il y a les dimensions de sensibilisation et d’éducation à la santé, qui sont liées à la proximité avec le patient. Enfin, les techniques, nombreuses et variables en fonction du secteur dans lequel l’infirmière travaille. A ce propos, il est étonnant de voir les médecins, en médecine générale, être habilités à prescrire des pansements alors que les infirmiers en ont une connaissance approfondie, tant des produits que des techniques. SC – Comment sont abordées les questions relatives aux rapports entre médecins et infirmiers dans la formation ? MD – Ça n’est pas abordé officiellement, ce qui contribue à entretenir une sorte de rancoeur vis-àvis du monde médical. C’est un grand problème. Pour moi, il faudrait des temps de formation communs aux deux métiers. Lors de mes stages, j’ai observé que les soins se passent d’autant mieux qu’il existe une communication entre médecins et infirmiers. Personnellement, c’est parce que j’ai déjà une expérience en maison médicale que je considère d’emblée le médecin comme un égal, un partenaire de travail. SC – Le rapport entre théorie et pratique vous semble-t-il équilibré dans votre cursus ? MD – Dans mon expérience, oui. La durée de stage par an augmente en même temps que l’apprentissage des techniques. On a donc le temps de les pratiquer sur le terrain. Par contre, dans d’autres établissements de formation, les grilles horaires sont bien plus chargées tant en stages qu’en cours. Il n’y a pas d’harmonisation générale du ratio cours théoriques / stages. Ni d’harmonisation de l’éventail des types de stages à effectuer. Dans mon école, le projet privilégie l’opportunité de toucher un peu à toutes les situations. Des cours sur des aspects médicaux sont donnés par des médecins. Sur l’ensemble du cursus, on donne beaucoup d’importance à la théorie et à la capacité de réflexion face aux problèmes et situations que nous rencontrons dans la pratique. Dans d’autres écoles, on ne comprend pas que nous ayons à effectuer un travail de fin d’étude aussi poussé de ce point de vue-là. SC – Vous destinez-vous à une spécialisation ? MD – Non, je n’entamerai pas de quatrième année maintenant. La pression psychologique est trop forte. Au début de la formation, nous avons plus de 30 examens à passer. En deuxième année, nous avons 15 semaines de stage sur l’année. Nous sommes évalués en permanence par les équipes qui nous accueillent ainsi que par un professeur qui nous suit. Il y a souvent plusieurs stagiaires en même temps dans un même service : la qualité du relationnel avec le personnel soignant conditionne énormément notre intégration, le fait de recevoir plus ou moins de soins à réaliser. Si nous ne sommes pas au top en permanence, on risque de rater un stage. Cette année, en troisième nous n’avons également que huit semaines de cours. Bref, la pression est assez conséquente et j’ai envie de retourner sur le terrain. SC – Les enseignants et le personnel auprès de qui vous faites vos stages sont-ils conscients de cette pression ; est-elle prise en considération, réfléchie ou est-ce une fatalité ? MD – Les enseignants sont conscients de cette pression. Mais il y a une grille horaire avec un nombre d’heures attribuées et une matière à voir qu’ils considèrent essentielle pour notre bagage, les cours vont donc parfois très vite et le contenu à étudier est conséquent. La médecine évolue constamment, chaque nouvelle couche de savoir est additionnée aux précédentes, sans compter les cours consacrés aux aspects juridiques, administratifs, etc. La formation s’alourdit. Le personnel auprès duquel on fait nos stages ne semble pas toujours conscient de cette pression. C’est comme s’ils oubliaient les années où ils étaient étudiants. Cela se remarque surtout chez de jeunes infirmiers, sortis il y a peu. Il y a comme un phénomène de « bizutage », on sent l’esprit « j’ai morflé quand j’étais jeune, tu vas morfler aussi ! ». Parfois, ça empêche toute remise en question. Je me demande si ça ne contribue pas aussi à la pénurie… SC – La formation aborde-t-elle les compétences liées aux collaborations interdisciplinaires ? MD – Lors de la formation, on ne nous apprend pas à collaborer avec d’autres professionnels. Nous ne savons pas ce que font les kinésithérapeutes, les logopèdes, etc. De la même façon que le médecin n’apprend pas les compétences de l’infirmier dans son cursus, nous ne sommes pas du tout sensibilisés au métier d’aide-soignant. De plus, la formation, axée sur l’hôpital, aborde peu toutes les alternatives des nouveaux soins pouvant être dispensés à domicile, des soins palliatifs, des maisons médicales,… On est cantonné au secteur hospitalier, voire celui des maisons de retraite. Nous avons par exemple une journée professionnelle au mois de février où nous ne rencontrerons que des représentants d’hôpitaux. Notre formation devrait considérer l’ensemble des débouchés possibles, ça éviterait le découragement de certains, en deuxième année, face aux conditions de travail en institution hospitalière. Une façon peut-être aussi de lutter contre la pénurie ? SC – L’évolution des demandes des patients est-elle prise en compte ? MD – Ça, on nous en parle beaucoup. C’est d’autant plus important que les pathologies liées au vieillissement notamment ne concernent pas que des patients en maison de repos. Sur ces sujets, nous sommes aussi sensibilisés aux enjeux liés à l’entourage des patients : comment travailler avec la famille, appréhender le besoin de « souffler » d’un conjoint, d’un parent,… SC – La perspective d’une réforme de la formation n’est-elle pas une opportunité de faire évoluer les contenus ? MD – On pourrait déjà faire beaucoup dans le contexte actuel. Par exemple, durant notre formation, le suivi de grossesse a été abordé dans pas moins de 5 cours différents. Alors que les infirmiers n’effectuent pas de suivi de grossesse, que c’est l’apanage des sagesfemmes. Je pense que c’est lié à une conception antédiluvienne de l’infirmière-future-mère… ! Par ailleurs, on développe des spécialités en quatrième année qui tendent à devenir indispensables pour travailler dans certains secteurs, mais la formation générale durant les trois années qui précèdent continue d’être émaillée de cours abordant ces spécialités ! Je pense que, dans un premier temps, on pourrait faire le ménage dans les matières enseignées avant d’envisager une formation de base en quatre ans. Chaque fois qu’une découverte médicale est insérée dans la formation d’infirmier, ce serait l’occasion de passer en revue l’existant et de supprimer ce qui est désuet. On ferait déjà un grand pas.

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Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 64 - avril 2013

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