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Le travail de diététicienne

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Santé conjuguée n° 36 - avril 2006

Souvent considéré comme le gendarme d’une « loi alimentaire » avec ses interdits et ses obligations, le diététicien est au contraire à l’écoute et au service du patient et de sa santé. Trois témoignages.

Au jour le jour

Virginie Devos Je consulte dans quatre maisons médicales, où je rencontre surtout des personnes, adultes et enfants, obèses ou en surpoids, parfois avec un diabète ou une dyslipidémie (excès de graisses, cholestérol ou autre, dans le sang). Parfois, j’y suis confrontée à un problème de langue. Certaines consultations se déroulent en anglais, et il arrive qu’un membre de la famille serve d’interprète pour le turc et l’arabe. Le premier contact consiste en un bilan alimentaire du patient qui aboutit à une proposition de plan alimentaire adapté à son mode de vie et à ses éventuelles pathologies. J’explique comment varier les repas, je donne des conseils spécifiques aux pathologies, par exemple une liste d’aliments conseillés et déconseillés. Lors des consultations suivantes, je suis l’évolution du poids, je demande au patient comment évoluent ses symptômes et comment il arrive à appliquer mes conseils. J’adapte ceux-ci si cela s’avère nécessaire. La maison médicale de Schaerbeek a créé des groupes pour femmes diabétiques, avec l’aide d’interprètes turcs et marocains. L’équipe qui anime les groupes comporte une kinésithérapeute, une accueillante, un infirmier et une diététicienne. Nous y abordons l’alimentation des diabétiques, le petit déjeuner, les repas chauds, le diabétique en voyage et bientôt nous traiterons des édulcorants, des produits lights, des index glycémiques. Les participantes à ces groupes sont intéressées par les sujets mais aussi contentes de la convivialité apportée par les réunions. A la demande de la maison médicale de Jette, nous organisons des cours de cuisine adaptée au diabète et des activités physiques en groupe (marche). Chaque saison, nous proposons un module de deux rencontres. A la première rencontre, je propose des ingrédients adaptés au budget des participants en insistant sur les fruits et légumes de saison. En petits groupes, ils choisissent une recette classique afin de la refaire facilement chez eux, que j’adapte ensuite avec eux au diabète, en expliquant l’intérêt de ces adaptations. A la seconde rencontre, nous cuisinons et dégustons ensemble une entrée, un plat et un dessert. J’en profite pour donner des conseils spécifiques au diabète et des variantes aux recettes. Dans la maison médicale de Schaerbeek, les médecins se préoccupent de la malnutrition et de la dénutrition des personnes âgées. Un projet devrait démarrer d’ici peu. Nous proposerons aux personnes âgées une consultation diététique gratuite qui pourra se faire à leur domicile. J’y ferai un bilan de l’alimentation du patient, en tenant compte de ses possibilités personnelles (capacité de cuisiner, finances, …) et donnerai quelques conseils. Si nécessaire et si le patient le souhaite, je lui proposerai d’autres consultations.

Pour un bisou

Joëlle Hansoul A la maison médicale à Forest, un volet diététique à été mis en place dans le cadre des consultations infirmières. Nous avons établi un certain nombre de tâches : suivi alimentaire, éducation à l’utilisation de l’appareil de glycémie et du stylo à injection pour les diabétiques, conseils en matière d’hygiène alimentaire. Mon objectif est de créer une relation de confiance. Le patient n’est pas rangé dans une catégorie « diabétique » et soumis à un régime type. Nous travaillons ensemble, selon ses goûts, pour arriver progressivement à une alimentation équilibrée. C’est particulièrement important pour les personnes âgées, qui devraient continuer à bien se nourrir selon leurs préférences en maintenant la qualité de vie. Il faut aussi tenir compte de l’importance des coutumes alimentaires ou des difficultés de langues. Je reçois les patients sur rendez-vous fixé par le médecin à l’issue d’une consultation, mais souvent ils ne se présentent pas. Peut-être faut- il que la démarche émane du patient, aussi ai- je demandé aux médecins de laisser le patient prendre lui-même son rendez-vous. Autre résistance, la peur du régime (« on ne pourra plus rien manger »), souvent renforcée par les réflexions de l’entourage. Certaines personnes n’osent plus rien consommer et du coup se nourrissent très mal. Mais je ne rencontre pas que des obstacles. Un jour, sortant de la consultation, une personne m’a embrassée avec un grand sourire aux lèvres… c’était gagné ! Une diététicienne intégrée en maison médicale Anne Van der Borght A Linkebeek, la diététicienne fait partie de l’équipe de la maison médicale, elle rencontre les patients sur prescription du médecin. Son rôle en première ligne est d’élaborer, avec le patient, un programme alimentaire « sur mesure », adapté à ses besoins, à son rythme, à ses capacités de changements, à son entourage, à ses habitudes, à ses croyances concernant les aliments. Nos objectifs sont d’améliorer l’état de santé, de prévenir les complications, de diminuer les risques d’évolution vers une situation « dramatique » tout en permettant au patient de préserver sa qualité de vie et son plaisir de manger. Nous avons la possibilité de ne pas travailler dans l’urgence, comme c’est le cas en milieu hospitalier. Nous pouvons prendre le temps. Le temps pour que le patient puisse formuler ce qu’il attend de la diététicienne. Le temps pour l’amener à expliquer ce qu’il mange, où, avec qui, quand, combien, pourquoi… En parlant de ses habitudes, il réalise souvent qu’il pourrait faire « autrement », ou « mieux ». Au fil des entretiens, il décide lui-même des changements qu’il peut apporter. La diététicienne est parfois perçue comme une thérapeute qui va instaurer des interdits, supprimer de l’alimentation « tout ce qui est bon » et instaurer un carême permanent. Il est vrai que dire « des bonbons, donc deux fois bon, ce n’est pas bon » n’a pas beaucoup de sens. Peu de gens croient encore à l’enfer ou au purgatoire, aurions-nous pris le relais : « Ah ! vous mangez des frites, vous buvez du vin, vous donnez des biscuits aux enfants, vous fréquentez les fast food, vous ne surveillez pas votre taux de cholestérol… Vous n’irez pas en enfer, pire, vous souffrirez et puis mourrez de maladies cardio-vasculaires, voire de cancers. Et de votre faute ». Ce sont moins les agents de santé que les lobbies super puissants de l’industrie pharmaceutique et de l’agroalimentaire qui nous communiquent ces messages. Leurs techniques de persuasion des ministres, médecins, diététiciens et autres soignants sont particulièrement sournoises et efficaces. Au début de l’année scolaire 2004, plusieurs ministres, interpellés par les nutritionnistes et diététiciens, avaient accepté de faire interdire la distribution (lucrative pour les écoles, les limonadiers et biscuitiers) de boissons sucrées et de sucreries dans les écoles de la Communauté françaises. Fi donc ! le volte-face fut rapide. Il ne fallait pas décider trop vite, ni diaboliser ces produits. Nos ministres décidèrent donc qu’il ne fallait pas décider mais construire un dossier pédagogique à l’attention des enseignants. Quelle cohérence et quelle crédibilité peuvent avoir cette procédure ? « Chers enfants, les colas, limonades, candy-bars, viennoiseries… sont mauvais pour la santé. Vous trouverez les distributeurs à l’entrée de la cour de récréation et du réfectoire ». Le matraquage publicitaire (et son langage culpabilisant, guerrier, dramatisant, flatteur…) ne permet plus de faire le tri entre magie ou diablerie et réalité. Les patients s’imposent souvent des contraintes qui n’ont aucune raison d’être mais qui coûtent bien plus cher qu’une consultation. Il est donc important de susciter les demandes d’informations chez les patients et puis seulement de donner des explications réalistes, étayées par des données indépendantes des firmes, dans un langage accessible, simple mais pas simpliste. .

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 36 - avril 2006

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