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Le réseau, ou la mobilisation de membres autour d’objectifs communs


Santé conjuguée n° 57 - juillet 2011

Depuis des décennies, des entreprises et associations de l’économie sociale se rassemblent et se solidarisent pour être plus fortes et mieux se développer. En Belgique francophone, c’est en 1981 que SAW-B – Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises – voit le jour. Aujourd’hui, elle compte plus de 120 membres. Des structures parfois très diversifiées, en termes de taille ou de secteurs d’activité mais toutes avec un objectif commun : replacer l’homme – et non le capital et le profit – au centre de l’activité économique. En cela, elles proposent une réelle alternative à l’économie capitaliste. Mais les questions que pose la mise en réseau ne manquent pas…

SAW-B fédère et rassemble ces acteurs de l’économie sociale, ce qui répond à de réels enjeux pour le secteur. D’une part, cette fédération est nécessaire pour avoir un poids politique à un niveau local, national et international. Parler d’une seule voix, porter des mandats communs, se faire entendre collectivement auprès des politiques ou d’autres mouvements sociaux est aujourd’hui plus qu’essentiel. D’autre part, se fédérer est une étape obligatoire pour permettre la croissance du secteur par le développement conjoint de compétences, la construction de synergies, le partage d’expériences. Mais le processus de mise en réseau de l’économie sociale est confronté à de nombreux enjeux tels que la mobilisation des membres ou l’équilibre entre le service direct aux membres et les missions extérieures (communication, représentation, etc.). Comment dépasser les préoccupations quotidiennes et construire une vision partagée par des acteurs diversifiés ? Quels mécanismes de participation mettre en place pour que chacun y trouve sa place ? Comment rester connecté autant avec les objectifs de l’économie sociale qu’avec le terrain ? Un autre enjeu de taille est celui des liens entre les membres. La mise en réseau, c’est en effet dépasser les logiques de concurrence et créer des relations de coopération entre acteurs du secteur. Ce qui n’est pas toujours aussi simple dans la pratique. Mobiliser les membres « Un réseau dépend des contributions de ses membres – s’il n’y a pas de contributions, il n’y a pas par conséquent de constitution de réseau, quelle que soit la façon dont les structures et les approches ont été élaborées »1. Pourtant, la mobilisation des membres constitue une difficulté permanente pour de nombreux réseaux comme SAW-B. Si l’intérêt et la participation sont au rendez-vous lors de la création du réseau ou lors de l’affiliation d’un nouveau membre, ils peuvent parfois s’estomper rapidement. Trouver des réponses à ces difficultés reste un défi quotidien mais crucial pour que notre secteur puisse se fédérer et tracer politiquement sa voie pour un changement vers une économie plus humaine et une société plus juste. Une première difficulté que connaît une structure comme SAW-B tient au degré d’hétérogénéité des membres. Ceux-ci sont en effet à la fois des fédérations d’entreprises d’économie sociale (telle que la Fédération des maisons médicales), des acteurs de terrains et des particuliers ou simples citoyens qui souhaitent soutenir le projet. Si cette diversité peut être une réelle source de dynamisme et de richesses (en termes d’échange d’expériences et de bonnes pratiques, de confrontation de conceptions, de poids institutionnel pour le réseau), elle peut aussi apparaître dans certains cas comme un frein. L’enjeu consiste donc à trouver constamment un équilibre entre homogénéité et hétérogénéité pour un fonctionnement optimal du réseau. On constate que, pour de nombreux réseaux, la tension est forte entre une volonté de rester homogène et donc « petit », et un désir de croissance. La difficulté consiste le plus souvent à trouver ou à maintenir un enjeu suffisamment rassembleur pour élargir le réseau. Concilier une variété d’objectifs A la difficulté de concilier une variété de membres s’ajoute celle de concilier une variété d’objectifs. En effet, les réseaux comme SAW-B poursuivent des finalités orientées vers les membres (accompagner le développement d’entreprises, développer des services qui répondent aux besoins des membres, etc.) mais remplissent également une série de fonctions orientées vers l’extérieur. L’une d’entre elle consiste à représenter le secteur auprès du monde politique puisque l’objectif de changement de la société que poursuit l’économie sociale ne peut se faire qu’en lien avec l’Etat et avec d’autres acteurs de la société. Une autre fonction consiste à promouvoir l’économie sociale au niveau de la société, en travaillant à sa connaissance et reconnaissance. Mais comment concilier ces différentes finalités et, en particulier, trouver un équilibre entre les fonctions internes et externes ? Les contacts réguliers qu’entretient par exemple SAW-B avec ses membres à travers les deux assemblées générales annuelles mais également les réunions avec les fédérations membres, les rencontres diverses lui permettent de faire face à ce défi bien qu’il reste présent au quotidien. Mobiliser les membres et leurs ressources Tout réseau a besoin de financement adéquat pour remplir ses missions. Si certains bénéficient de financements publics plus ou moins importants, quid de leur autonomie de gestion et de la garantie du subventionnement si le régime politique change ? Un réseau qui repose sur ses propres ressources, grâce notamment aux cotisations de ses membres, gagne en autonomie, en stabilité et en force. Mais cela pose également des questions. En effet, de manière générale, la capacité des membres à contribuer diffère grandement. Leur apport doit-il alors être égalitaire ou selon les capacités de chacun ? Il est surprenant de voir que, même dans l’économie sociale, la solidarité entre membres, via une cotisation liée au chiffre d’affaire, est loin d’être évidente pour tous. Mais les ressources d’un réseau ne sont pas seulement financières. Elles sont également humaines. Or, comment continuer à mobiliser les expertises existantes chez les membres à partir du moment où un réseau trouve son financement ailleurs que dans les cotisations et engage du personnel ? Comment éviter, face à des capacités de participation différentes, que les réseaux ne « sur-sollicitent » les membres les plus « faciles » à mobiliser (plus actifs, plus proches…), au détriment de membres plus discrets mais non moins porteurs de potentiel ? Nier ces enjeux amène à se retrouver rapidement face à des mécontentements. Une piste est évidemment d’en débattre ouvertement avec les membres.

Participation des membres

Cependant, toute mobilisation requiert, comme condition préalable, que les membres du réseau comprennent pourquoi ils y « mettent leurs billes ». Cela exige une compréhension des finalités du réseau et de ce qu’ils peuvent en attendre mais aussi de les associer au processus de définition des objectifs. Il s’agit donc de construire une « vision partagée » et de la remettre régulièrement en débat (car en trente ans, les choses évoluent). Tout en restant attentif à ne pas passer d’une logique de réseau de solidarité et d’échange entre membres avec une dimension politique à une logique de réseau de services. Or, le risque est grand aujourd’hui car les préoccupations quotidiennes des acteurs de terrain sont tellement importantes qu’elles ne leur laissent que peu de temps pour des réflexions plus « politiques ». Il devient alors difficile de mobiliser les acteurs face à des enjeux qui leur paraissent parfois trop éloignés. Cela passe sans doute par un mode de gestion du réseau qui accorde un pouvoir décisionnel aux membres. Car si les membres ne disposent pas d’un réel pouvoir de décision, on risque la perte d’intérêt et la démobilisation. Cela n’est toutefois pas simple. Car décider nécessite également de s’informer pour pouvoir prendre la bonne décision. Ici encore, le temps manque cruellement à beaucoup de membres de SAW-B pour pouvoir être réellement acteur lors des assemblées générales et autres moments de concertation. Une complémentarité réseaux – membres Le réseau est utile – et mobilisateur – pour les membres dans la mesure où il réalise des actions qu’ils ne peuvent pas mener à leur propre échelle. Le champ d’action d’un réseau doit dès lors être complémentaire à celui de ses membres – qui peuvent eux-mêmes être des réseaux. Le principe de subsidiarité que SAW-B applique et mentionne d’ailleurs dans sa charte, suggère que l’action revienne à la plus petite entité capable de la mener. SAW-B n’entreprend donc des actions que si celles-ci ne peuvent être réalisées par ses membres. Ce principe permet également de pouvoir transférer certains projets mûris aux membres, tout en restant en appui.

Le contact avec les membres

Il est enfin crucial, pour maintenir un degré de mobilisation, d’entretenir un contact régulier avec les membres et d’organiser l’échange et les rencontres entre membres. La communication nourrit le sentiment d’appartenance à son réseau et, de manière plus large, au mouvement de l’économie sociale. L’échange régulier d’information est également indispensable à toute forme de participation. De la dynamique de communication dépend la dynamique générale du réseau. Plus fondamentalement, un réseau déconnecté de ses membres perd sa raison d’être. Un défi consiste à entretenir ce lien de manière mesurée. En effet, face à trop de sollicitations, certains membres pourront manifester un trop plein ou se sentir submergés par des demandes qui sembleront incessantes au regard de leurs priorités quotidiennes. A l’inverse, sans contacts réguliers, sans rencontres ou espace d’échanges, certains risqueront de se désengager. Cette communication peut passer par des newsletters, des mails, des rencontres, etc. Elle doit à tout prix rester dynamique et dépasser la simple communication d’informations.

La coopération : une illusion ?

Enfin, un dernier enjeu auquel est confrontée SAW-B, comme réseau d’alternatives économiques, est celui des liens entre ses membres. Car force est de constater que les membres peuvent agir parfois dans une logique de concurrence plutôt que de coopération. Il serait d’ailleurs illusoire de penser le contraire dès lors que les entreprises développent la même activité, convoitent les mêmes marchés ou les mêmes subsides, etc. Quels mécanismes mettre en place pour éviter cette concurrence et améliorer ces relations ? SAW-B a, par exemple, travaillé avec ses membres une charte qui vise à faire appliquer un principe de coopération à la fois entre les membres et entre la fédération et ceux-ci. Cette charte définit différentes modalités de fonctionnement et des engagements qui incombent à chacune des parties prenantes. Mais, au-delà d’une charte, c’est aussi de manière très concrète que la coopération doit se vivre. A cet effet, SAW-B a, par exemple, proposé à ses membres actifs sur différentes missions de se réunir trimestriellement pour échanger au sujet des projets menés par les uns et les autres afin d’encourager la coopération, d’éviter les vaines concurrences et veiller à l’application du principe de subsidiarité. Parce que, in fine, c’est dans la rencontre et le travail en commun que s’établissent les conditions d’une coopération effective.

En guise de conclusion

Comme tout réseau, SAW-B est confrontée aux multiples enjeux que nous venons d’évoquer. Les traiter nécessite une attention et un travail quotidiens qui peuvent, s’ils sont bien menés, renforcer la fédération dans ses objectifs et missions. Mais ce sont avant tout les membres qui forment la SAW-B… Sans eux, leur motivation à faire réseau et leurs contributions, elle ne peut se développer ni même subsister.

Documents joints

  1. Irene Tâuber, Almut Hahn, Claudia Heid, “Support to networking in Africa and Latin America : The role of AGRECOL” In (Eds.) : Alders, Haverkort, van Veldhuizen, 1993 ; cité dans « Optimizing efforts : A practical guide to NGO networking », Office to Combat Desertification and Drought (UNSO), Programme des Nations-Unies pour le développement 2000.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 57 - juillet 2011

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