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L’organisation de la première ligne de soins, les patients en savent quelque chose. Impliqués dans des associations qui les représentent dans les maisons médicales, ils sont régulièrement des interlocuteurs des pouvoirs publics. Ce qui forge chez eux une idée assez précise des enjeux d’une réorganisation des centres de santé pour leur quartier, leur ville et plus largement la société.

Christine Pochon représente l’Impatient, l’association de patients de la maison médicale La passerelle, à Liège, l’une des rares à être constituées en asbl. Elle fait partie de la LUSS (Ligue des usagers des services de santé), où elle est chargée de tout ce qui relève de la première ligne et des maisons médicales. À ce titre, elle est également membre du sous-groupe promotion et prévention à l’AVIQ et à la Cocof. « Je suis bénévole, insiste-t-elle. Je mets toujours un point d’honneur à rester une patiente parmi d’autres. Je suis là pour 3 millions de patients wallons. » Jean-Marie Lansberg était membre du conseil d’administration de la maison médicale du Berleur (devenue la maison médicale Aquarelle), dont il a assisté à la création dans les années 70. Il est aujourd’hui inscrit à la maison médicale de Trooz, où il est membre du comité de patients. « Ma priorité, dit-il, c’est l’information, celle qui donne accès et permet une certaine formation. » Ancien syndicaliste, il est préoccupé que les gens puissent réagir. « Non pas en leur disant ce qu’ils doivent faire, précise-t-il, mais en leur expliquant ce qui se passe. » Quand on parle de globalité, Christine Pochon évoque une prise en charge transversale, impliquant plusieurs prestataires dans des métiers médicaux, paramédicaux, psy. Jean-Marie Lansberg illustre : « Quand quelqu’un a des problèmes de dos par exemple, le médecin ne va pas nécessairement lui donner tout de suite des antiinflammatoires, car il a à ses côtés un kiné avec qui dialoguer et s’interroger sur la meilleure approche à avoir. » L’avantage d’une approche globale ? « Elle permet d’accroitre la capacité d’un meilleur diagnostic et d’une meilleure attitude vis-à-vis du patient », poursuit-il. Et une conséquence : « La globalité en santé conduit aussi à une vision politique des choses. L’enjeu médical ne peut pas être isolé du reste ». Si leur expertise s’appuie sur leur expérience des maisons médicales, elle ne s’y limite pas. Pour Christine Pochon, l’approche globale renvoie aux déterminants de la santé. « L’OMS en a listé une dizaine : l’emploi, l’environnement, l’éducation, le logement, les revenus, la Sécu… Des éléments extérieurs qui ont une influence sur la santé des gens. Quand j’anime des réunions avec des patients, ce qui revient le plus souvent c’est ce qui relève du lien social et de l’isolement. On est de plus en plus connecté, mais on est de plus en plus seul. » Outre la maison médicale, quels autres éléments identifiez-vous dans le système de soins en première ligne ? Christine Pochon : À la Passerelle, on collabore avec les associations du quartier, chacune répercute ce qu’elle fait. Beaucoup de choses sont en relation avec les problématiques de logement. On fonctionne comme une coordination sociale à laquelle participe aussi le CPAS. On collabore avec la maison Arc-en-ciel, bien qu’extérieure au quartier, pour tout ce qui a trait à l’identité sexuelle, ou encore avec Similes, autour des troubles psychiques, et l’asbl Revers pour l’intégration sociale. Jean-Marie Lansberg : À Trooz, le bâtiment est déjà en soi une relation avec d’autres : il héberge l’ONE, la Croix-Rouge, le Chas (une boutique associative de vêtements de seconde main et un atelier de couture), la Conférence Saint-Vincent de Paul (aide aux familles démunies), l’AIGS (structure organisatrice d’une douzaine de services de santé mentale). Dehors, le potager collectif Les p’tites graines est accessible à tout le monde. C.P. : Nous avons également lancé des initiatives en réponse à des besoins. Le Chal’Heureux est un café social ouvert à tous. Ce sont des bénévoles de l’Impatient qui l’animent. Avec le temps – une vingtaine d’années ! – c’est devenu une asbl autonome, avec ses subsides propres. Tout comme la halte-accueil pour les enfants de trois mois à deux ans et demi, qui était au départ réservée aux patientes de la maison médicale. Elle est aujourd’hui institutionnalisée et reçoit des points APE. Au-delà de la prise en charge de la santé des gens quand ils sont malades, on mène avec les autres associations une action au niveau social, psychosocial, culturel, et à des niveaux plus thématiques comme la sexualité et la parentalité. En quoi ces collaborations permettent-elles de prendre en charge de manière globale les besoins de santé de la population ? C.P. : Par exemple le groupe logement. Nos bénévoles rendent visite aux gens qui le demandent, pour un souci de consommation électrique, de prise défectueuse… Dans le respect du secret professionnel partagé et avec leur assentiment, ils vont en parler à l’assistant social qui en touchera un mot au médecin qui comprendra alors les raisons de certains problèmes de santé liés à l’état du logement. Un peu comme une infirmière à domicile qui découvre un habitat insalubre. On comprend beaucoup de choses en se rendant chez les gens. Collaborer avec d’autres associations nous aide dans ce sens-là. Et dans l’autre, le médecin qui constate que son patient est fort isolé lui conseillera d’aller faire un petit tour au Chal’Heureux. Un généraliste indépendant n’est pas toujours au courant qu’un tel service existe. J.-M.L. : Les patients qui fréquentent les associations de la maison découvrent qu’il y a une maison médicale. Et les patients de la maison médicale découvrent d’autres services. Ça peut leur être utile. Quelles seraient les limites d’un modèle de centre plus global ? J.-M.L. : Un problème que je découvre, c’est le turnover des travailleurs en maison médicale. Pourquoi des médecins quittent-ils la structure pour s’installer seuls alors qu’ils ont connu la globalité et les capacités de travailler en équipe dans l’intérêt des patients ? Parce que la rentabilité est meilleure ? Ça, c’est mon analyse et pour moi, pour les patients, c’est préoccupant. L’accueil aussi est primordial. S’il y a du turn- over, les conditions d’une relation dans la durée ne sont pas garanties, les gens peuvent se sentir moins en confiance et son accessibilité au service en est réduite. On perd une partie de la plus-value qu’on est venu chercher. C’est pareil si le local d’accueil est mal organisé. Un service qui rassemble plusieurs métiers et avec une bonne communication entre les différents acteurs du système demande une bonne organisation et une rigueur qui permet de garantir la confiance dans le système. Pour une approche globale de la santé, on doit mettre des gens et des métiers différents autour de la table, capables d’articuler leurs actions. Qui pourrait-on encore inclure ? C.P. : Ce qui revient régulièrement, c’est une sage-femme en accompagnement à domicile ou à la maison médicale. C’est une histoire de confiance, rester dans son environnement, et de milieu culturel : des futures mères iront plus facilement vers une sage-femme à la maison médicale que chez un gynécologue qu’elles ne voient pas souvent, ou dans un hôpital. C’est une question de proximité et aussi de moyens financiers. J.-M.L. : Je pense à l’approche des problèmes psychologiques. Ou à des situations qui peuvent toucher tout le monde, comme les accidents vasculaires cérébraux. La logopédie pourrait avoir sa place en maison médicale. Que gagnerait-on à intégrer dans un centre de santé très global les différents services qui existent déjà autour de la maison médicale ? C.P. : Tout dépend de la maison médicale et de son quartier, de sa sociologie. En tant que patient, la première chose que je demande au médecin, c’est de me soigner. Il peut aussi m’aider à résoudre mes difficultés sociales et autres ou bien m’orienter, j’en serai très satisfaite. Les maisons médicales ne peuvent pas tout faire. Elles font déjà beaucoup, les finances doivent suivre et chacune a ses projets, ses priorités. C’est cela qu’il faut encourager, et aussi la responsabilisation du patient. J.-M.L. : Les gens doivent prendre en charge leur santé, c’est vrai. Mais il faut garder à l’esprit qu’ils n’ont peut-être pas tous la capacité de le faire et rester disponible pour ceux-là. Le médecin et l’équipe peuvent facilement détecter les personnes qui s’enlisent dans des problèmes financiers. Évidemment leur objectif premier n’est pas de régler les problèmes sociaux, mais les problèmes sociaux la maison médicale les reçoit aussi. Et il n’y a pas d’assistant social dans chacune d’elles, c’est peut-être une chose à laquelle penser. Sur quels types de décision les patients devraient-ils être concertés ? C.P. : Il faudrait que tout le monde soit convaincu que le patient a sa place. Ça devrait faire partie de la réorganisation ! À la LUSS, on considère que le patient a une place à prendre. Plus concrètement, je dirais les patients peuvent s’inquiéter du budget, émettre des avis sur les gros travaux par exemple, interroger la maison médicale par rapport à l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Même si l’équipe y a pensé, il est parfois utile de rappeler certaines réalités des patients. Pouvoir échanger avec les soignants sur des sujets comme l’euthanasie, les soins palliatifs, la vaccination ou le dépistage. Sur la question du moratoire, le patient avait également des choses à dire et je pense qu’il a le droit de s’exprimer. À la Passerelle, nous avons quatre assemblées générales par an, et quatre représentants de l’Impatient y ont le droit de vote. Mais je n’imagine pas une représentation au conseil d’administration. J’estime que les patients ne doivent pas être mêlés à des questions de gestion du personnel. J.-M.L. : Dans ma maison médicale, il y a deux assemblées générales par an où, en tant que seul représentant du comité de patients, je n’ai pas le droit de vote. Les décisions sont travaillées par le conseil d’administration. J’estime pour ma part que les patients y ont également leur place, pas pour jouer les rapports de force, mais parce que leur expérience, leurs relais différents de ceux de l’équipe peuvent être utiles. Nous avons un regard critique sur l’organisation du service, qui est utile à sa qualité. Et en tant que personne, on est une ressource qui peut aussi servir à la réalisation du projet. Quel rôle pour la Fédération ? Celui de l’harmonisation ? C.P. : Harmoniser les bases telles que les objectifs, la qualité des soins, la collaboration avec le patient… oui. Mais chaque maison médicale est une situation particulière. L’idéal serait que toutes puissent intégrer d’autres métiers que ceux présents actuellement tout en gardant en tête la première ligne. Donc pas d’ophtalmologues ni de cardiologues, mais des dentistes par exemple, ce qui se fait déjà d’ailleurs. Et en matière de santé mentale, devenir un tremplin, que l’équipe soit capable d’une bonne orientation, qu’elle ait des partenaires. J.-M.L. : Un élément fondateur et qui maintient une certaine unité dans la diversité, c’est la Fédération. Elle se doit d’être encore plus proactive en soutenant, en organisant des assemblées où chacun exprime son point de vue, en donnant la parole aux praticiens, mais aussi en déterminant une orientation applicable à tous.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°85 - décembre 2018

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