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La place du psychologue dans les maisons médicales


Santé conjuguée n° 55 - janvier 2011

Toute parole sur la souffrance porte une dimension psychologique et à ce titre, tous ceux qui reçoivent la plainte exercent une « fonction psy ». Quelle est la teneur de cette fonction chez les soignants de première ligne et qu’en est-il alors de la place du « psychologue professionnel », comment déterminer le rôle de chacun et organiser la circulation du patient entre ces instances, en particulier dans le cadre d’une maison médicale, structure vouée à une approche globale ?

Nous utiliserons souvent dans ce texte la formulation abrégée “psy”, de quoi ne pas restreindre les considérations à une seule catégorie professionnelle mais laisser le champ ouvert à une pluralité de catégories. Cet article est issu d’un travail qui a servi de prétexte à l’ouverture d’une discussion sur la place du psychologue en maison médicale dans un groupe de parole (Pa-) destiné avant tout aux médecins (-doc) des maisons médicales liégeoises. Ce groupe de parole a été nommé par eux « Padoc » ce qui a été l’occasion d’un petit jeu signifiant dans l’article. Une préparation à cette réunion s’est faite par le biais d’une rencontre que j’ai effectuée, de ma place de psychologue en maison médicale à Seraing depuis plus de 30 ans, avec un collègue et ami, médecin généraliste, André Meert, lui-même formé et praticien de l’approche psychologique théorisée par l’école systémique.

La fonction psy n’est pas la fonction du psy

Il est peut-être d’abord nécessaire d’insister sur la différence qu’il peut y avoir entre la place du psychologue et la place de la fonction psy en maison médicale. La caractéristique de la fonction psy (comme, à mon avis, de la fonction sociale) est d’être portée par tous les opérateurs de santé en maison médicale, contrairement aux approches spécifiques des autres disciplines : en tant que psychologue, je ne peux par exemple pas pratiquer la plupart des prestations techniques propres aux autres disciplines MKI : médecin, kinésithérapeute, infirmier. Par contre, l’écoute et l’accompagnement psycho-social sont le propre de tous les intervenants. C’est la raison pour laquelle, selon moi, certaines maisons médicales peuvent encore se passer du service d’un « psychologue maison ». Et pourquoi pas… Par contre, il est, me semble-t-il, devenu rapidement évident que le travailleur social est maintenant indispensable aux équipes, de par la complexité des constructions qu’il doit mener à bien avec les patients afin de les aider à résoudre leurs réalités problématiques sur le plan social. Il serait aussi intéressant d’examiner en quoi la fonction psy en maison médicale participe aux notions GICA (soins globaux, intégrés, continus, accessibles) propres aux centres de santé intégrés. En effet, le patient ouvre sa dimension de souffrance psychique et/ou relationnelle chez le soignant qu’il rencontre dans la consultation et dont il reçoit une écoute qui est spécifiée par le cadre GICA des soins de santé primaires. Quels rôles joue cette écoute dans la détermination Globale, Intégrée, Continue, Accessible des soins primaires ? C’est ainsi que lorsque le patient adresse au soignant une parole sur sa souffrance, c’est pour lui une façon d’élaborer un positionnement par rapport à celle-ci : la socialisation de sa souffrance est une façon de la penser et de la panser, mais encore de la faire sienne. C’est la fonction « Pas-doc » de la socialisation de la souffrance, là où parler, c’est partager notre condition de « non- sachant ». Car le soignant est pour le patient un lieu de dépôt mais aussi une adresse de laquelle il attend parfois, pas toujours, une réponse de docteur, c’est-à-dire de « celui qui sait ». Ce « pas toujours » est à souligner car il est parfois extrêmement difficile aux soignants de retenir une réponse, ce qui est parfois extrêmement dommageable à l’appropriation de sa souffrance par le patient. Par ailleurs, pour certains patients plus déstructurés, le soignant, dans sa fonction psychologique, est aussi porteur d’un fragment, d’une parcelle (sûrement pas d’un tout) de la structure qu’il recherche, d’une structure repère, « asile », qui puisse lui apporter un apaisement partiel mais durable. La place du psychologue dans les maisons médicales Selon moi, et on peut en discuter, la première place du psychologue en maison médicale est d’abord de soutenir la fonction psy en ce qu’elle est portée par tous les soignants. Si on compare à ce qui se passe en soins palliatifs dans la collaboration de la première ligne avec l’équipe de soutien en soins palliatifs à domicile, on peut dire que le psychologue occupe une place de soutien de deuxième ligne de la fonction psy en maison médicale (et le travailleur social, deuxième ligne de la fonction sociale), c’est-à-dire une compétence qui soutient et accompagne la compétence de première ligne sans a priori la relayer. Passeur de la plainte à la demande On pourrait peut-être dire qu’une de ses fonctions premières, c’est de soutenir le soignant dans le fait de favoriser une transformation de la plainte du patient en demande. C’est, si on veut, le concept introduit par Lacan de « rectification subjective » qui peut se traduire par « quelle part prends-tu aux maux dont tu te plains ? ». Autre façon de dire la même chose : il s’agit de transformer la souffrance en question. D’où l’importance déjà soulignée de retenir la réponse soignante, car la réponse du soignant peut empêcher la question de la personne et donc l’appropriation subjective de sa souffrance. Trois dispositifs pour cela : • L’intervision en individuel ou en réunion d’équipe ; • La consultation conjointe ; • Les séances d’anamnèse et orientation (cette dernière peut servir à adresser le patient à l’extérieur). Ces trois dispositifs peuvent être indispensables pour la mise au point d’un diagnostic psy. Selon moi, le diagnostic psy ne vise pas à déterminer de quelle maladie souffre le patient mais bien plutôt de tenter d’approcher quelle est la structure de la relation qu’il établit avec les autres et avec le monde. En psychanalyse, on parle de diagnostic de structure : grosso modo, on répartit classiquement les structures de personnalité en trois grandes familles : les névroses, les psychoses et les perversions. Cette détermination d’un diagnostic de structure est parfois indispensable pour aider à élaborer le type d’accompagnement le plus utile pour le patient. L’orientation vers l’extérieur est aussi très utile comme pour les autres disciplines. Orientation vers des soins psy plus spécialisés : psychothérapeutes pour enfants, approche systémique, psychiatrie, parfois même approche cognitivo-comportementale, etc. . Psychothérapeute Et puis, il y a aussi une autre place du psy dans la maison médicale : celle de psychothérapeute. C’est en quelque sorte une fonction psy « spécialisée », celle qui au-delà de l’écoute et de l’accompagnement, vise à une élaboration du symptôme du patient pour qu’il puisse se réconcilier avec lui, l’intérioriser, en percevoir les aspects positifs, et parfois aussi, de surcroît, s’en passer. Comme pour le diagnostic, on peut dire que le sens du symptôme d’un point de vue psy n’est pas tout à fait le même que dans d’autres disciplines. Comme le diagnostic psy ne détermine pas tant une maladie mais une structure de la relation à l’autre, le symptôme est considéré comme, en quelque sorte, la part émergeante de cette structure de relation à l’autre et au monde. Vu l’augmentation de la charge de travail en maison médicale, on peut craindre que les soignants de la première ligne voient leur disponibilité pour la fonction psy- généraliste diminuer et être tentés de s’en référer plus systématiquement à la fonction psychothérapeutique du psy. Et il serait sans doute dommage que l’utilisation d’un psy en intérieur aboutisse à une réduction ou un appauvrissement du déploiement de la fonction psy chez les autres soignants en soins de santé primaires. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la seule raison pour laquelle le psy en interne voit ses activités progressivement augmenter. Quels critères pour le transfert et pour déterminer le terrain respectif Je crois que l’évolution de nos populations en maison médicale, la détérioration croissante du lien social et l’augmentation de la précarité socio-économique aboutissent à l’explosion progressive de la souffrance psychosociale de notre patientèle. La précarisation socio-économique et culturelle me semble influer très fortement sur la précarité des structures de personnalité de nos patients. Nos patients les plus fragiles en termes de structure ont de moins en moins de ressources à leur disposition dans leur environnement immédiat pour leur permettre de garder le cap de leur existence. Sauf si on considère le transfert au psy comme un « on passe la main » de la fonction psy – ce qui est, je le répète, dommage – je pense qu’on peut considérer le transfert comme une ouverture qui est parfois nécessaire dans un partage de la fonction psy entre les soignants. Peut-être que le critère de cette extension pourrait être la nécessité perçue d’un travail d’élaboration du symptôme (là où le symptôme persiste dans sa fonction négative de détérioration de l’environnement de vie du patient du côté névrotique) ou la nécessité d’une complexification de l’accompagnement structurant pour des personnalités plus fragiles (patient limite ou psychotique). Articulation médecin – psychologue – psychiatre Je crois qu’on peut considérer cette articulation à trois parties comme un élément souvent nécessaire dans l’extension de l’accompagnement pour des patients plus fragiles en termes de structure diagnostique. C’est la même chose que pour l’éventuel passage en psychothérapie. Comment concevoir cette ouverture comme une extension du terrain de l’accompagnement psy et non comme une simple délégation qui peut facilement se transformer alors en exclusion progressive et chronique du patient de son milieu de vie ? Les nouveaux dispositifs issus de l’article 107 de la loi sur les hôpitaux devraient sans doute permettre de davantage penser cette articulation des soins de santé mentale en milieu de vie. C’est la raison pour laquelle il me paraît indispensable que les maisons médicales se concertent pour proposer de manière déterminée et spécifique un point de vue cohérent avec la pratique des soins de santé primaires, point de vue à présenter aux structures qui vont développer les projets pilotes sur le terrain et qui se doivent de reconnaître les soins de santé primaires comme pratique essentielle de proximité en milieu de vie.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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