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La place du généraliste dans la prise en charge du cancer


Santé conjuguée n° 43 - janvier 2008

Intervention à la Chambre des représentants à l’occasion de la présentation du Livre blanc concernant la prise en charge du cancer en Belgique (6 novembre 2007)

Rendu public en 2007, le Livre blanc sur la prise en charge du cancer, rédigé par des experts en cancérologie, expose les modalités d’une prise en charge maximale du cancer. Cette approche, à la fois pertinente et onéreuse, pose plusieurs questions : n’y a-t-il pas lieu d’optimaliser l’approche de la problématique du cancer en l’intégrant dans une perspective large incluant une prise en compte plus soucieuse des déterminants de santé impliqués dans la genèse du cancer ; n’y a-t-il pas lieu, face aux firmes pharmaceutiques et aux producteurs de thérapeutiques, de renforcer le poids des négociateurs publics lors de la discussion des prix de vente des traitements anticancéreux dont les coûts semblent davantage influencés par les prévisions de rentabilité aux actionnaires que par les besoins de la recherche ; n’y a-t-il pas lieu enfin d’apprendre à se servir de l’outil généraliste dont l’intervention en la matière est d’une efficacité évidente, et de réorganiser les soins en donnant à cet outil la place utile. Je salue l’analyse remarquable présentée par nos experts en cancérologie, à laquelle nous nous associons pleinement. Je veux, quant à moi, avec le regard généraliste, insister sur plusieurs points qui me semblent fondamentaux.

Intensifier la prévention

Le Livre blanc présenté ici revendique une prise en charge maximale des cancers, en tentant d’en approcher très précisément les causes et leurs effets, et de définir les budgets nécessaires à leur gestion. Mais pouvons-nous penser que cette prise en charge maximale risquerait, si on n’y prend garde, vu les budgets peu « élastiques », de se faire au détriment d’une politique de santé intégrée, soucieuse de rencontrer de façon très large, plus optimale, les différents déterminants de santé, sociaux, psychologiques, environnementaux, économiques qui influencent la santé de notre population. Je vous donne quelques exemples auxquels nous sommes confrontés en médecine générale. • Le tabac : les récentes statistiques belges confirment le lien entre pauvreté, tabagisme et comportement alimentaire. Malgré l’augmentation de la taxation du tabac, le budget consacré au tabac par ces populations pauvres est le seul budget qui ne diminue pas, alors que d’autres budgets plus utiles pour la santé, comme celui de l’alimentation, sont prioritairement élagués. Quels moyens alors pour réduire leur consommation de tabac ? L’éradication de la pauvreté, la réduction du chômage plutôt que la taxation du tabac ? •L’alimentation : une école en Wallonie a imposé aux enfants, pendant les heures scolaires, une nourriture sélectionnée au sein de l’école : légumes, fruits et eau du robinet en priorité. En cinq ans, tous les enfants se sont retrouvés sous le percentile 90 dans les courbes de poids. Quelle politique à mettre en place pour promouvoir l’alimentation saine ? • Le sport : certaines études scientifiques affirment que la pratique d’un sport régulier diminue de 18% le cancer du sein. Qu’en est-il du sport à l’école et de son financement ? Qu’en est-il de la place du sport en général ? • Cancer du col : sachant que ce cancer est causé par une maladie vénérienne, comment donner aux jeunes les instruments de leur liberté sexuelle ? En effet, nous sommes témoins des difficultés de nos jeunes à vivre leur sexualité, à cause, entre autres, de la « marchandisation » de leur liberté et de l’image sexuelle véhiculée. Quelle est l’organisation structurelle de l’éducation affective et sexuelle dans les écoles (en particulier destinée aux garçons peu atteints par les programmes sanitaires orientés quasi systématiquement vers les filles) ? Quelle est la formation en ce sens des parents, des éducateurs en général ? Par ailleurs, la vaccination contre le human papilloma virus (HPV) lorsqu’elle est réalisée par les médecins généralistes a l’avantage d’offrir un moment d’éducation individualisée. La prévention est bien un défi majeur pour les années à venir… La prévention primaire, celle d’avant toute apparition de maladie, individuelle et collective, doit être la priorité qu’il faut soutenir à tout prix. Il nous faut poser la question d’une orientation politique qui privilégierait le dépistage, la gestion des conséquences des maladies et des effets iatrogènes des démarches médicales (préventions secondaire, tertiaire et quaternaire) et cela au détriment de la prévention primaire. Un exemple : le cancer du poumon, si mal combattu par la médecine, est bien une maladie dont il faut chercher les causes sociales. Nous avons connu le même phénomène avec la tuberculose au XIXème siècle et début du XXème : c’est bien l’amélioration des conditions sociales qui a éradiqué la tuberculose, pas la streptomycine.

Le juste prix ?

Les coûts des traitements à visée oncologique sont réellement exorbitants : une prise en charge annuelle atteint de 30.000 à 60.000 euros… Une question nous taraude : le prix demandé par les firmes pharmaceutiques pour leurs innovations est-il légitime ? Quelle politique peut contraindre les firmes à la transparence dans l’établissement de leurs prix ? Une autre question, fondamentale, est à poser pour chaque cas : quelle qualité de vie allons-nous offrir au patient avec le traitement proposé et pour combien de temps et à quel prix ? Est-ce bien le juste prix, prix humain et financier ? Et la réponse à ce questionnement m’amène au troisième point que je veux aborder.

Reconnaître le rôle joué par le généraliste

Pour optimaliser les réponses aux défis posés par la santé de notre population, les médecins doivent structurer le réseau des soins de santé en promouvant la complémentarité des différentes lignes de soins pour élargir les bases d’une décision thérapeutique qui tienne compte de tous les aspects humains en cause dans ces problématiques complexes. De par leurs spécificités propres, nous pouvons penser que les généralistes sont bien le maillon central, même s’ils n’occupent pas la place principale dans la problématique oncologique. C’est bien à la sortie de l’hôpital que l’on prend la mesure de l’impact de la maladie sur la vie familiale, relationnelle, sociale, professionnelle. Et là, le job des généralistes prend tout son sens, dans un échelonnement des soins (non contraignant) malheureusement encore trop peu accepté par les confrères spécialistes. Les médecins généralistes doivent participer à la décision thérapeutique oncologique et à son suivi. Ils doivent être activement présents quand il faudra accepter conjointement l’inéluctable dénouement et permettre alors de passer, à temps et avec sérénité, des soins curatifs aux soins palliatifs. Ils sont souvent, d’ailleurs, promoteurs dans cette démarche. Il est navrant que le généraliste soit souvent écarté lors de la phase curative. Lorsque le centre hospitalier ne peut plus rien pour le patient et le renvoie alors à son généraliste, le patient vit cela comme un abandon et un échec. A l’inverse, lorsque le suivi thérapeutique est partagé entre la médecine spécialisée et la médecine générale tout au long de la maladie, le retour au domicile est mieux vécu comme une étape de la maladie, même si cette étape est souvent l’ultime. Dans le domaine du dépistage, les généralistes doivent aussi être partie prenante, systématiquement, pour en assurer une gestion optimale et empêcher les actes médicaux superflus et par là-même leurs effets iatrogènes. Il faudra des décisions politiques courageuses pour repositionner réellement les centres de dépistage, de référence et autres « prostamobiles » en deuxième ligne et en collaboration étroite avec les médecins généralistes. Des exemples : combien de frottis de col sont-ils effectués deux fois la même année pour la même patiente, l’un par le généraliste et l’autre par le gynécologue, combien de mesures du Prostate Specific Antigen sont-elles effectuées par un centre de dépistage alors que le généraliste avait, suite à une discussion avec le patient, décidé de ne pas en réaliser, combien de mammotests demandés par le généraliste sont-ils transformés sans raison médicale en mammographies classiques par le radiologue, combien de fois un mammotest est-il déconseillé par le généraliste parce que demandé avant cinquante ans et promu par le gynécologue ou l’inverse… La bonne gestion de la santé a vraiment besoin de cohérence dans les messages donnés par toutes les lignes de soins. Il est également nécessaire de reconnaître et enseigner la complémentarité entre le travail des généralistes et des médecins de médecine préventive : Office de la naissance et de l’enfance, médecine scolaire, médecine du travail… pour augmenter la plus-value de ces moyens de prévention par l’apport généraliste dans la détection et le suivi des problèmes. A travers le prisme de la médecine générale, nous sommes témoins des conséquences médicales et sanitaires de la dégradation sociale, des drames environnementaux, des drames humains que sont les guerres, les immigrations, des choix économiques d’hypercompétitivité et de dérégulation, de la « malbouffe » et de la sédentarité… Nous voulons convaincre les politiques d’utiliser l’outil généraliste pour profiter de son apport majeur dans l’élaboration des politiques de santé. L’outil généraliste, il faut le peaufiner en lui donnant les moyens financiers et structurels et en se souciant de la qualité de vie des prestataires de soins. C’est un droit fondamental pour les patients d’avoir accès à des prestataires équilibrés professionnellement et familialement. Et ceci est particulièrement vrai dans la problématique oncologique où l’accompagnement des patients est éprouvant et demande simultanément compétence et humanisme. Il faut continuer la revalorisation de l’acte intellectuel et ainsi permettre de développer dans les contacts professionnels l’écoute, la communication, le counseling pour atteindre ce que nous souhaitons tous : le consentement éclairé… Particulièrement dans le domaine de la cancérologie. Ceci demande une formation spécifique, singulièrement minimisée dans le cursus universitaire, et du temps dans nos consultations, singulièrement mal honoré par les tarifs de la convention. Propositions : • La mixité du financement, au forfait et à l’acte, doit se renforcer pour éviter la charge financière trop importante que le payement à l’acte seul ferait peser sur le patient. • Il faut réduire la surcharge administrative pour dégager le temps des médecins au service des patients. • Il faut renforcer les soins palliatifs à domicile et pour cela, entre autres, remettre le sujet de la garde en médecine générale en chantier. • Il faut renforcer le financement de la formation universitaire et continue en médecine générale… aujourd’hui trop dépendante des firmes pharmaceutiques par manque de fonds publics (un tiers des besoins des centres universitaires de médecine générale en Francophonie est couvert par les firmes !) En guise de conclusion, je tiens tout particulièrement à cadrer notre travail dans un système, (financé par toutes les sortes de revenus – pas seulement ceux du travail) assurant le maintien de la sécurité sociale solidaire et fédérale pour maintenir l’équité entre tous. Nous appelons de nos voeux l’étendue d’un système équitable à l’Europe en inscrivant sa garantie dans la constitution européenne. Et si aujourd’hui, les pouvoirs publics envisagent des restrictions dans les soins curatifs, ils ne peuvent en prendre la responsabilité qu’en investissant en masse dans la prévention. C’est le défi majeur pour les années à venir. Que sont les progrès les plus spectaculaires en médecine pointue s’ils ne s’allient pas à une démarche volontariste d’amélioration de la qualité de la vie pour le plus grand nombre ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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