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La médiation, une question de confiance


Santé conjuguée n° 68 - juillet 2014

S’engager dans une médiation, c’est faire évoluer la relation conflictuelle. Et cela est vrai quelle que soit l’issue du processus. Quelques ingrédients de base sont indispensable pour installer la confiance. Dominique Detilloux propose quelques réflexions et outils, qui peuvent servir de balises pour se lancer dans l’aventure.

Lorsqu’un problème surgit et que les personnes en conflit décident de tenter de le régler, on peut considérer qu’il y aura un avant et un après « tractation, négociation, médiation ». La médiation pourra donc constituer un espacetemps particulier au sein duquel chacun pourra expliquer, clarifier, demander, résoudre. Et quelle que soit la qualité de la relation avant la médiation, elle sera différente à l’issue de celle-ci. Dans le pire des cas, elle n’a pas permis de solutionner le problème et au mieux, elle aura apporté une solution au différend. Dans le cadre d’une relation la notion de confiance est un élément essentiel. Iriezvous confier votre voiture à un garagiste dans lequel vous n’avez pas confiance ? Entre un patient, un usager et le ou les professionnels qui l’accompagnent, la notion de confiance est aussi et peut être encore plus au centre des préoccupations.

Quelques ingrédients de base

La médiation est fondée sur un certain nombres de critères comme la libre volonté des parties, la confidentialité de ce qui se dit en médiation. En effet, aucun écrit ne peut sortir de la médiation sans accord des parties. Les parties participant librement à une médiation s’engagent aussi à une certaine confidentialité, mais peut-on empêcher une personne de se confier à un parent, un ami ? La notion à retenir ici est que les confidences ne peuvent être préjudiciables à l’autre partie. Par exemple, ce qui a été dit en médiation ne peut être dévoilé en justice par l’un des avocats au détriment de l’autre partie. Le médiateur est aussi réputé « neutre » par rapport aux parties. À ce terme de neutralité, je préfère celui de multi-partialité qui, à mon sens, reflète mieux le fait que le médiateur va entrer dans la carte du monde de chacune des parties. Ceci implique de comprendre la logique de la personne, de connaître ses valeurs, ses besoins, ses sentiments sans aucun jugement. Dès lors, les deux versions ne peuvent devenir antagonistes. Elles se juxtaposent et ont autant de valeur l’une que l’autre. Pensons au tournage d’un film. Plusieurs caméras entourent la scène. Chaque caméra aura ses images du film, chaque caméra aura vu une réalité et toutes ces réalités seront correctes. C’est l’un des ressorts de la médiation. Le médiateur va prendre en compte de la même manière et avec autant d’attention la réalité de chaque participant et s’attacher à mettre sur la table les ponts, les semblables, les bases de discussion …

Fixer le cadre

Lorsque la médiation s’opère dans une structure où les participants ne sont pas sur le même pied d’égalité ( élève / professeur – parent / enfant – soigné / soignant ), il convient de prendre des précautions particulières en posant le cadre de travail. C’est une des étapes les plus importantes en médiation. Les personnes s’accordent sur ce qui va se passer dans cet « ici et maintenant » de l’intervention. Fixer ce cadre apporte de la cohérence et de la compatibilité entre les objectifs du service, le mandat confié à l’intervenant et les attentes du bénéficiaire. Fixer ce cadre permet de résister aux pressions, tout en les intégrant et le fait de le faire ne donne pas le pouvoir sur le contenu. Si le cadre n’est pas bien fixé, on court le risque qu’il soit fixé par quelqu’un d’autre : usager, référent, coordinateur … Un des objectifs de cette étape est de clarifier le contrat entre le médiateur, l’institution et l’usager. Ce qui permet à ce dernier de se mobiliser, d’établir des objectifs communs et de se structurer dans le temps. C’est aussi à ce moment que peut se nouer la confiance indispensable au bon fonctionnement du processus. Une confiance dans l’intervenant médiateur, dans la capacité de la médiation à résoudre le conflit, dans le fait que chacun possède les ressources nécessaires au bon déroulement du processus, dans le fait que chacun est volontaire et a envie de régler le différend, dans le fait, enfin, que participer à la médiation ne sera préjudiciable à personne. Il est impératif que les personnes puissent verbaliser d’éventuelles restrictions par rapport à cette confiance. C’est au médiateur de vérifier que les deux parties se sentent sur un pied d’égalité avant d’entamer les discussions. C’est aussi le rôle du médiateur de permettre à chacun d’exprimer ses sentiments, ressentiments … et que ces affects soient acceptés ou au minimum entendus par chaque partie. Il sera peut être difficile pour un patient d’avoir confiance dans le fait que sa demande sera traitée sans parti pris. Le professionnel aura peut-être des difficultés à voir remis en question la qualité de son travail, son implication ou sa bonne volonté. Tout cela doit être mis sur la table. C’est alors que la médiation en tant que telle peut commencer. L’arbre à palabres, un espacetemps « pour se dire » Entrer en médiation n’est pas encore entré dans les moeurs dans notre société belge, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons ou dans certaines cultures africaines où le chef de village reçoit sous l’arbre à palabres. Il faut beaucoup de courage et de bonne volonté de la part de chacun pour s’asseoir et discuter avec une personne qui nous en veut ou avec une personne qui nous a « fait tort ». Au départ du processus de médiation, les sentiments sont souvent exacerbés. Les impressions d’injustice, de déception, la colère, les rancoeurs polluent le processus. La notion de temps est un facteur capital. Le temps du deuil, le temps de comprendre les avis de chacun, le temps de s’autoriser à ne pas être tout puissant ou de reconnaître son impuissance et de l’accepter, le temps de se dire, le temps de réfléchir aux solutions ou celui de les tester … Il est convenu dans le chef d’un grand nombre de médiateurs que, tant que les affects n’ont pas été nommés, investigués, soulagés, la phase suivante de médiation qui consiste en la recherche de solutions est vaine. Dans cette ou ces séances de médiation où les sentiments seront travaillés, le médiateur reste garant que le processus se déroule dans le respect mutuel. Si, après avoir rappelé le cadre, les personnes n’arrivent toujours pas à s’adresser l’une à l’autre de manière civile, il peut mettre fin à la médiation. Proposer de remettre la discussion à un prochain rendez-vous ( il est possible de prescrire aux participants un petit travail personnel qui aidera la prise de recul ) ou décider de mettre un terme à une médiation qui peut devenir plus préjudiciable à l’une des parties voire aux deux. Parfois, les personnes ne sont pas prêtes à chercher ensemble une solution. Il existe des outils qui permettent d’aider les personnes à dépasser le moment de crise. Il est possible d’objectiver l’importance que prend le sentiment avec un système d’échelle semblable à celui utilisé pour objectiver la douleur. On peut aussi proposer aux personnes de définir au plus précis le problème qui les amène. Cela « oblige » les personnes à clarifier les choses pour l’autre et donc d’abord pour elles-mêmes. « Je ne me sens pas respecté » n’est pas une notion que l’on peut travailler. Il convient de faire préciser « en quoi » la personne ne se sent pas respectée, dans quel domaine, dans quelles circonstances. Il convient de lui faire verbaliser « ce que cela lui a fait » ensuite de demander à l’autre partie « ce que cela lui fait » d’entendre cela. En conclusion, la médiation peut constituer un espace-temps favorable à la résolution des problèmes qui seraient amenés à y être traités. Le médiateur aura à coeur de poser un cadre sécurisant, de permettre l’expression des affects de chacun et de favoriser l’émergence de solutions constructives qui auront pour but d’éteindre le conflit.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014

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