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La collaboration entre médecins généralistes et spécialistes au service du patient


Santé conjuguée n° 55 - janvier 2011

Il n’y a ni hiérarchie ni concurrence entre médecins généralistes et médecins spécialistes, il y a seulement des approches complémentaires des problèmes de santé, approches qui doivent se mettre au service du patient. C’est pourquoi il est primordial que ces professionnels développent les collaborations entre eux.

Le généraliste, par sa fonction de synthèse et d’intégration est amené à se coordonner avec un grand nombre de spécialistes. Chaque généraliste a son carnet d’adresses. Des contacts noués au l de sa pratique, avec lesquels il y a « même longueur d’onde » sur la manière de prendre les patients en charge. De préférence des spécialistes qui donnent des informations, des nouvelles du patient, le renvoient pour un accompagnement conjoint, sont disponibles pour un conseil par téléphone. Lorsque le patient s’adresse directement à la médecine spécialisée, la prise de contact dépendra du spécialiste en question, de ce qu’il juge utile, de la place qu’il accorde au généraliste… Les hôpitaux aussi tentent des initiatives de relation avec les généralistes, notamment sous forme de formations continues, d’information ciblée. Notre système de soins, par son mode de nancement, par l’absence d’échelonnement (même incitatif) et de partage clair des tâches, n’encourage pas la collaboration, mais plutôt la concurrence entre acteurs. De la coordination à la collaboration Partant du principe qu’une bonne coordination améliore la qualité des soins prodigués au patient et les rend plus ef cients, comment permettre des méthodes de collaboration plani ées, intégrées dans la pratique quotidienne, adaptées à chaque patient individuel, et qui ne dépendent pas uniquement de l’initiative et de la bonne volonté de chaque acteur ? Les systèmes intégrés de soins à domicile (SISD), les trajets de soins pour les diabétiques et les insuf sants rénaux, les réseaux multidisciplinaires locaux, certains projets pilotes notamment en santé mentale sont autant de tentatives pour soutenir une meilleure coordination entre acteurs de soins, et notamment entre généralistes et spécialistes. Ces initiatives ont le mérite de replacer le généraliste comme acteur incontournable dans l’accompagnement au long cours des patients. Leur réussite est variable, leur évaluation sera nécessaire. La coordination des activités est un pas en avant, mais dont l’organisation actuelle semble ne pas considérer un élément essentiel : le dialogue entre les acteurs. Plus que de se coordonner, il s’agit de collaborer : travailler ensemble, autour d’un même patient. La différence qualitative entre deux manières de se « coordonner » peut être décrite dans la distinction entre coordination organisationnelle et coordination relationnelle1. La plupart des mesures mises en place en Belgique relèvent de la coordination organisationnelle : des mécanismes formels visent à augmenter la qualité et l’ef cience des interactions entre acteurs. La coordination relationnelle se réfère à l’interaction entre des acteurs censés collaborer. Elle nécessite quatre dimensions de communication : fréquente, opportune, exacte (précise) et visant la résolution de problèmes. Et trois dimensions relationnelles : le partage de connaissances, des buts communs, et le respect mutuel. Cercles, virage… de quelques manières de faire tourner la collaboration Les cercles de médecins généralistes sont un bel exemple de travail en commun entre prestataires (tous généralistes). Ils font émerger des collaborations et des projets nouveaux. Ceux-ci pourraient être le point d’appui de l’organisation d’un dialogue avec les hôpitaux de référence. Certains cercles ont d’ailleurs déjà organisé une délégation auprès de chaque hôpital de leur région. Une opportunité très actuelle est le virage ambulatoire en train de se négocier dans la prise en charge des pathologies chroniques psychiatriques. La Déclaration sur la Santé mentale pour l’Europe2 signée en 2005 par la Belgique prévoit que l’hospitalisation soit plus rare et plus courte, et qu’un nombre plus important de malades soient accompagnés dans leur lieu de vie. Explicitement, la première ligne de soins, généraliste et globale, a toute sa place dans ce processus. Des appels à projets pilotes ont été lancés en septembre 2010 pour soutenir la transformation de lits hospitaliers en prise en charge ambulatoire. Paradoxalement, ce virage a été con é aux hôpitaux… L’expérience des systèmes locaux de santé, SYLOS3, vieille de plusieurs années et toujours active dans certaines régions, propose de mettre en dialogue généralistes, spécialistes et responsables hospitaliers : lors de réunions mensuelles, à partir de cas concrets de parcours de patients communs, soutenus par une grille de questions, les acteurs analysent ensemble les situations critiques et recherchent des solutions en consensus. Des résultats concrets ont été observés : par exemple, une liste commune d’antibiotiques à utiliser tant en médecine générale qu’aux urgences de l’hôpital a été dé nie, en concordance avec les recommandations de bonne pratique. Dans un hôpital, les généralistes ont été systématiquement associés aux décisions prises par les internistes en matière de stratégie thérapeutique ou de placement en institution. Certains besoins de formation des généralistes sont apparus et ont permis d’orienter le travail de certains groupes locaux d’évaluation médicale (GLEMs). Ailleurs, une amélioration de l’organisation du service de radiologie d’un hôpital a permis d’accélérer la transmission des résultats d’examens demandés par les généralistes. Le patient, le cercle de médecins généralistes et l’hôpital A Bruxelles, la Fédération des associations de médecins généralistes de Bruxelles FAMGB, reconnue comme cercle unique couvrant toute la région a développé de longue date un système de « délégués auprès des hôpitaux ». Les associations locales de généralistes (composant la FAMGB) établissent un contact structurel avec l’hôpital local en déléguant un ou plusieurs de leurs membres auprès du conseil médical de l’hôpital pour lui transmettre les remarques des généralistes. Ces remarques touchent des domaines variés, allant des difficultés de trouver une place de stationnement pour les généralistes visitant leur patient hospitalisé jusqu’aux problèmes de mise en attente téléphonique interminable pour joindre un spécialiste. Mais la majorité des thèmes abordés tourne autour de la collaboration dans l’accompagnement du patient et de la communication à son sujet : comment optimaliser l’entrée du patient à l’hôpital et organiser sa sortie dans de bonnes conditions de prise en charge à la maison, que mettre en place pour que le médecin traitant soit tenu au courant en temps réel du déroulement du séjour, comment permettre au généraliste de jouer son rôle dans la communication avec le patient et aussi comme porte-parole des choix, des besoins, ou des critiques du patient – c’est la fonction d’advocacy, la parole du patient étant souvent peu audible dans le cadre hospitalier. Ce système permet de remettre le patient au centre du processus de soins, non seulement comme « objet » de soins mais aussi comme sujet. Ainsi, la mise en place de lieux formels de dialogue entre l’hôpital et le généraliste contribue à l’amélioration de la qualité de la prise en charge des patients. Ces expériences pilotes, développées sous forme de recherche-action ont permis de tirer des leçons qui les rendent reproductibles en d’autres lieux. Elles sont une bonne manière de développer les conditions de la collaboration, à partir d’un contexte et par les acteurs locaux eux-mêmes. De nouveaux SYLOS pourraient se lancer, à l’initiative d’un hôpital et/ou d’un cercle de médecins généralistes. Pourquoi pas avec un hôpital psychiatrique, dans le cadre des projets de virage ambulatoire cités plus haut ? Se respecter mutuellement, reconnaître les compétences de chacun, se partager les tâches et les fonctions, ensemble, par le dialogue, en fonction des besoins locaux. Oser con er son patient à l’autre, spécialiste ou généraliste. Au-delà de quelques bonnes volontés. Encore mieux : en collaboration avec le patient lui-même, son entourage, et les autres acteurs de soins. possible. La communication interactive améliore la qualité des soins Une revue de littérature4 s’est concentrée sur la « communication interactive » entre spécialistes et généralistes, c’est-à-dire soutenue via différents médias : rencontres, consultations conjointes, vidéo- conférences, rendez-vous téléphoniques, échanges de courriels, notes électroniques partagées… Ses résultats sont éloquents : abaissement des taux d’hémoglobine glyquée lorsque l’interaction est organisée entre généralistes et diabétologues ; amélioration des indicateurs sur les échelles de mesure de la dépression, lorsqu’il y a interaction entre généralistes et psychiatres. Des indices montrent que des résultats similaires se retrouveraient dans d’autres domaines. Les résultats obtenus sont parfois supérieurs à ceux de protocoles thérapeutiques basés sur l’intervention médicamenteuse ! Etrangement, la revue de littérature n’a trouvé aucun résultat en oncologie (les soins palliatifs avaient été exclus de la recherche). Pourtant la prévalence du cancer est croissante, et sa prise en charge de plus en plus longue et de plus en plus organisée en dehors de l’hôpital. La coordination pluridisciplinaire oncologique, prévue entre acteurs hospitaliers et avec le généraliste, remboursée depuis de nombreuses années, aurait pu être une belle occasion de créer le dialogue entre acteurs autour d’un patient commun. Elle fonctionne de manière variable en fonction des services hospitaliers. Le plan national Cancer5 lancé en 2008 n’a pas prévu beaucoup de place pour C’est cela dans ses 32 mesures6. Qu’en sera-t-il du plan 2011-2014 ? 1. Longest BB, Young GJ, “Coordination and communication” in: Shortell M, Kaluzny AD, eds. Health Care Management, Organizations Design and Behavior, 4th ed. Albany, NY: DelmarThomson Learning; 1999:21043. 2. OMS. Déclaration sur la santé mentale pour l’Europe, Helsinki, 2005 http://www.euro.who.int/_data/assets/pdf_le/0009/88596/E85446.pdf 3. Unger JP ; « Les systèmes locaux de santé (SYLOS), une démarche de recherche-action pour l’amélioration de la coordination entre hôpital et médecins généralistes », Santé conjuguée n° 30, oct 2004, pp29-32. http://www.maisonmedicale.org/spip.php?action=acceder_document&arg=658&cle=59e81a71bc0a76abf856f18fc065df7e8247b2ba&file=pdf%2FSc30_unger.pdf Voir aussi Santé conjuguée 13, juillet 2000 : Les systèmes locaux de santé, un élément de réponse à la crise du secteur de la santé en Belgique ? – page 49 – Jean- Pierre Unger, Monique Van Dormael, Jacques Unger, Jean Van der Vennet et Michel Roland. Le Sylos-Molière – page 56 – ibidem, Marie-Jeanne Wuidar. 4. Foy R, Hempel S, Rubenstein L, et al., “Meta-analysis: effect of interactive communication between collaborating primary care physicians and specialists”, Ann Intern Med 2010;152:247-58. 5. Plan national Cancer, présentation par Laurette Onkelinx, ministre de la Santé et des Affaires sociales, 10 mars 2008. http://www.ps.be/_iusr/32_actions_f.pdf 6. Heymans I, Mariage O, « Le Plan national Cancer : rebondir vers la transversalité ? », Santé conjuguée n°44, avril 2008, pp 2-6. http://www.maisonmedicale.org/Le-Plan-national-Cancer-rebondir.html

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 55 - janvier 2011

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