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L’énergie, vecteur d’accompagnement social


Santé conjuguée n° 73 - décembre 2015

Fondamental pour la santé physique et mental, l’accès à l’énergie s’est vu entravé par la libéralisation des marchés en 2007. La Fédération des services sociaux a vite perçu la nécessité d’accompagner les familles précarisées ainsi que les travailleurs sociaux face à l’éventail des difficultés rencontrées en matière d’énergie et d’eau ; depuis 2009, des « accompagnateurs énergie » posent les jalons d’un nouveau métier d’accompagnement des ménages en précarité énergétique, à leur domicile et en étroite collaboration avec les services les plus proches de ces ménages.

Des ménages en quête d’énergie

Si l’accompagnement des ménages confrontés à la précarité énergétique est utile et nécessaire, c’est d’abord parce que l’énergie est nécessaire. Le logement froid, sombre et humide se fait l’hôte privilégié de maladies respiratoires ou cardiovasculaires, incite à la dépression, aux sentiments de honte, d’isolement, de solitude, d’infériorité ou d’abandon. « On n’a pas envie de se lever le matin… Il fait trop froid. Mon fils se plaint tout le temps. On devient dépressifs parce qu’on doit toujours laisser les rideaux fermés. On ne peut pas recevoir des gens… On a honte devant des gens. » En 2013, selon Eurostat, 6% des ménages belges – dont 18% de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté – étaient incapables de chauffer leur logement à un niveau suffisant pour des raisons économiques. Cela ne représente pourtant que la partie émergée de l’iceberg : dans l’intimité du domicile, les passoires énergétiques, les châssis pourris et non étanches, les systèmes de chauffage obsolètes sont monnaie courante. Mais en pratique, ce sont les menaces financières et administratives qui inciteront généralement les plus démunis à sortir de l’ombre en quête de solutions. Et là commence souvent un interminable parcours fait d’errance administrative et de report de responsabilité. Car il faut pousser de multiples portes pour aider à sortir du froid ceux qui s’y trouvent cloîtrés. À commencer souvent par celle des intéressés qui ne parviennent ni à expliquer leur problème, ni à faire entendre leur voix. Fournisseurs, gestionnaires de réseaux, démarcheurs à domicile, sociétés de relevés, bailleurs, chacun dispose de son propre domaine de responsabilité, de ses procédures, de ses formulaires, de son numéro de téléphone. Chacun agit isolément, dispense sans coordination des informations de qualité variable, protège ses intérêts propres. Et au beau milieu de cet archipel d’acteurs et de compétences, un océan de problèmes irrésolus. Les choses se corsent encore pour les consommateurs vulnérables et les mauvais-payeurs, dont la bonne foi est si simple à mettre en doute. Par défaut, on finit souvent par reporter sur eux la responsabilité de leur situation : « Si votre facture est si élevée, c’est que vous consommez. Si votre logement est humide, c’est que vous n’aérez pas assez. » N’est-ce pas simple l’énergie, après tout ? C’est aussi cela qui caractérise la précarité énergétique : une intrication aussi obscure que complexe de difficultés administratives, techniques, financières et parfois juridiques. Un problème flou, inexplicable et néanmoins insupportable.

Mettre de l’énergie dans le social

Voilà donc planté le décor de l’accompagnement énergétique : un bien de première nécessité dont la privation altère la santé physique et mentale, un ensemble de problèmes intriqués de natures tellement différentes que – parmi les travailleurs sociaux comme parmi les ménages – l’on peine à en faire la synthèse, un nombre invraisemblable d’acteurs et d’actants de la problématique et, finalement, une demande imprécise sur laquelle on pourrait aisément jeter le discrédit. Dans ce contexte, l’utilité première de l’accompagnateur énergie est sans aucun doute d’offrir une écoute non-jugeante et apporter du crédit à celui qui se heurte quotidiennement à l’incrédulité. Mais ce qu’offre l’accompagnateur énergie, c’est aussi une capacité de compréhension qui lui permet de transformer la demande en problème concret, objectivable. Il lui faut investiguer, poser les bonnes questions pour s’efforcer de comprendre ce qui coince. Souvent, l’observation directe de la situation au domicile (compteurs, installations, etc.) s’avérera nécessaire. L’accompagnateur énergie s’appuie aussi sur une solide expérience des questions énergétiques, malgré laquelle il continue à se définir comme un généraliste confronté à la fois à des problèmes à la fois techniques, juridiques, mais aussi relationnels ou de santé. Une fois la demande transformée en problème, le travail des accompagnateurs énergie consiste à déterminer les leviers d’action et à expliquer à la personne quelles sont les marges de manœuvre. En exposant le champ des possibles, l’accompagnateur énergie permet aux personnes de retrouver l’énergie nécessaire pour se mettre en mouvement et reprendre progressivement la maîtrise de leur situation. Le métier devient plus pédagogique. L’accompagnateur énergie aidera par exemple la personne à décoder ses factures, lui rappellera ses droits de locataire et de consommateur, conseillera d’effectuer telle ou telle démarche auprès de son propriétaire, d’un fournisseur d’énergie, d’un CPAS, expliquera comment réduire les consommations. Reste alors à actionner les leviers identifiés. Or, il est rare que les solutions ne dépendent que de la personne elle-même. Une part considérable du travail de l’accompagnateur énergie est donc consacrée à convaincre les différents acteurs qu’ils ont effectivement un rôle à jouer dans le dénouement du problème. Il faut que la demande de la personne devienne audible, concrète et légitime. L’accompagnateur énergie se fait ainsi diplomate, chargé de promouvoir la cause du ménage auprès d’un fournisseur, d’un bailleur ou d’une société de relevé. Cela suppose évidemment que l’accompagnateur d’énergie (AE) connaisse « la langue » et les préoccupations de son interlocuteur. Ainsi est-il souvent appelé à jouer un rôle de médiateur, privilégiant le compromis. Pourtant, en accord avec la personne, iI lui faudra aussi pouvoir prendre le risque d’un conflit.

Alimenter la flamme du travail social

Par sa fonction, l’accompagnateur énergie est exposé aux épreuves de professionnalité caractéristiques du travail social. Les « prescriptions contradictoires »1 devaient entre autres se révéler inéluctables entre le souhait de singulariser les pratiques et les contraintes de standardisation : d’une part remplir des cases, encoder des factures, classifier les usagers, suivre les consommations, sachant que c’est sur tout cela que seront évalués les résultats ; et d’autre part répondre de manière globale et complète à des demandes toujours plus singulières. Une autre forme de tension devait également se faire jour entre les visées environnementales du pouvoir subsidiant et les motivations sociales des travailleurs. À cet égard, ainsi que le rappelle Bertrand Ravon, l’épreuve ne résulte pas tant des contradictions – auxquelles les travailleurs sociaux sont par ailleurs habitués – que d’un manque de reconnaissance de l’inventivité dont ils font preuve pour combler le décalage entre le travail prescrit et le travail réel. Aussi était-il nécessaire d’éviter une coordination trop gestionnaire ou « technicienne » à laquelle la technicité des questions énergétiques pouvait inciter. Le projet épargne par contre à l’AL la contradiction habituelle entre le temps prescrit et le temps réel : les objectifs fixés (50 bénéficiaires/an/ travailleur) permettent un travail de long terme dûment justifié par l’ambition de combiner réponse à l’urgence et émancipation ; les visites à domicile – nécessairement chronophages – sont la règle plutôt que l’exception ; le temps consacré à chaque intervention n’est pas plafonné. De même, l’accompagnateur énergie subit moins que d’autres travailleurs le paradoxe selon lequel il est sommé de donner de l’aide, avec des moyens toujours plus limités : l’expertise de l’équipe confère au travailleur une crédibilité auprès des différents acteurs, le temps disponible est suffisant et l’arsenal législatif bruxellois est relativement protecteur pour les consommateurs d’énergie.

Accompagner sans contrôler

S’il est un terme auquel nos « accompagnateurs énergie » tiennent par-dessus tout, c’est bien celui d’accompagnateur. « Pas comme l’accompagnateur de train, qui n’est en définitive qu’un contrôleur », s’empressent-ils de rajouter. Il ne s’agit pas tant de contrôler les consommations ou de forcer les pauvres à adopter les comportements ad hoc. Pourquoi faudrait-il d’ailleurs réguler les comportements, à l’heure où l’on dérégule les marchés ? Le cœur du travail consiste à « se mettre à côté » des personnes, à les aider à voir quelles sont leurs marges de manœuvre, à les soutenir dans les différentes démarches qui leur permettent progressivement de retrouver une meilleure maîtrise de leur situation lorsqu’elles se sentent totalement démunies et ballotées. 

Plus d’infos

Pour télécharger gratuitement la brochure Mettre de l’énergie dans le social : http://lc.cx/ZHPc (lien raccourci) Plus d’infos : www.fdss.be Le Centre d’appui SocialEnergie traite essentiellement les matières bruxelloises et, dans une moindre mesure, fédérales. Pour les matières wallonnes : Le Réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie – RWADE rue de Gembloux 47 – 5002 Saint-Servais (Namur) Tel. : 081/73.40.86 – Fax : 081/74.28.33 thibaud.dementen@rwade.be La Commission wallonne pour l’énergie – CWAPE www.cwape.be

Documents joints

  1. B. Ravon, G. Decrop, J. Ion, C. Laval, and P. Vidal-Naquet, « Le malaise des travailleurs sociaux : usure professionnelle ou déni de reconnaissance ? », La Lettre de l’ONPES, 2008.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 73 - décembre 2015

Les pages ’actualités’ du n° 73

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