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L’architecture, levier pour la santé ?


Santé conjuguée n° 73 - décembre 2015

L’architecture est soumise à des normes de plus en plus nombreuses et variées. Qu’est-ce que cela dit de notre manière de concevoir nos lieux de vie ? Normalisation de l’hygiénisme ? Médicalisation de l’architecture ? Quels en seraient les risques ? Comment les dépasser ?

Du refuge à la « machine à habiter »

Le rôle premier d’un bâtiment, habitat ou autre, est de créer un environnement confortable pour l’homme. La maison le protège du vent, de la pluie, du soleil,… Bref, de tout ce qui pourrait mettre en péril le bien-être de son occupant. D’un simple refuge, la construction s’est peu à peu complexifiée, répondant aux besoins de son époque et aux critères de confort de plus en plus élevés. Les normes d’hygiénisme et, plus récemment, les contraintes énergétiques ont radicalement changé l’acte de bâtir. Codifié et contrôlé, celui-ci est désormais soumis à des règlements de plus en plus nombreux, spécialisés et précis. Urbanisme, salubrité, dimensionnement structurel, performances environnementales, entre autres, forment le contexte de travail des architectes contemporains. Comment appréhender nos lieux de vie dans ce contexte ? Comment continuer à concevoir des bâtiments à visage humain lorsque, sous le poids des contraintes, la réponse à chacune de celles-ci amène à la construction de « machines à habiter » ?

Créer un lieu

La complexité actuelle de la construction peut cependant être accueillie positivement par les architectes : plus que jamais, leur discipline a lieu d’être ! En effet, l’architecture, naturellement à la croisée de la technique, de l’esthétique et du sens, est en mesure d’apporter une solution unique et satisfaisante pour tout et pour tous. L’architecte construit, oui, mais pas seulement : il crée des lieux, habités par l’homme, dans toute sa dimension. Le choix des proportions, des matériaux, des couleurs créent des ressentis, met l’homme en condition pour des comportements spécifiques : le recueillement dans les lieux de culte, le respect dans les bâtiments institutionnels, l’échange dans les lieux de travail, la frénésie dans les galeries commerçantes… L’architecte, s’il répond de façon technique à toute une série de demandes d’ordre technique, est aussi capable de les dépasser pour toucher la sphère du psychologique. Cependant, face au contexte normalisé et chiffré auquel est durement soumise sa discipline, l’architecte doit aujourd’hui redoubler de créativité et d’ingéniosité. Il convient de satisfaire chaque norme, une à une, dans une solution qui tient compte de l’ensemble des problèmes et des interactions entre ceux-ci. Pour faire sens, cela suppose aussi une considération pour ce qui n’est pas normé et qui a trait au sensible, au psychologique, à ce qui fait l’homme, bien au-delà des règles.

L’architecture comme vecteur de bien-être

L’architecture, pensée dans sa globalité, est donc en mesure de participer au bien-être de l’homme, et donc de sa santé. Dépasser les normes scientifiques au profit du confort physique et psychologique est une chose, mais l’idée que l’espace architecturé puisse influencer nos habitudes de vie est à creuser. En dehors de toute considération médicale, les architectes et les urbanistes pourraient, dans une certaine mesure, être perçus comme des acteurs de la santé. Puisque l’architecture et les aménagements conditionnent nos comportements, ceux-ci peuvent être pensés pour remplir leur rôle premier, mais aussi pour briser l’isolement des personnes ou lutter contre le surpoids de la population, par exemple. L’élargissement et l’aménagement adéquat des espaces de circulation dans un immeuble à appartements pourraient être propice à la rencontre et l’échange, avec des répercussions sur la santé psychologique de personnes fragilisées. L’embellissement et la praticabilité des espaces urbains inciteraient la population à les emprunter à pied ou à vélo, influençant positivement la condition physique de tout un chacun. Les exemples ne manquent pas pour voir plus loin qu’une architecture qui solutionne des problèmes, mais plutôt considérer le travail de l’architecte comme une possibilité supplémentaire sur laquelle se pencher pour prendre soin de nous et préserver notre santé.  Sylvie Reversez propose un premier élargissement de la vision du rôle de l’architecte et de l’impact de l’architecture. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le rôle des soignants et les effets du soin. Les uns comme l’autre doivent avoir assez de compétence, d’aisance technique, de connaissances : -pour prendre de la distance avec leur expertise ; -pour ne pas regarder les seuls aspects techniques, les seules normes prescrites, le seul résultat recherché et prévu ; -pour prendre en compte la complexité de la situation ; -pour interroger le sens de leur intervention, et leur propre place, la position dans laquelle ils se pensent. Pour le premier comme pour les seconds, le sens ne peut s’interroger du seul point de vue du professionnel, il doit être mis en discussion, et pas seulement avec le patient des uns ou le client des autres. L’acte de l’architecte et celui des soignants a une dimension politique qui résonne dans la cité. Ces actes ne sont jamais anodins, et sont rarement indiqués de manière univoque. Il y a une responsabilité à prendre, de faire ou dire telle chose ou telle autre, ou rien. Ainsi, si l’architecture influence, à l’évidence, la santé, elle ne peut, en aucun cas, s’enfermer dans des objectifs de santé. On remarquera, au passage, que le modèle de référence des professions de médecin et d’architecte, chez nous, est celui des professions libérales, alors qu’on retrouve l’un et l’autre de ces métiers au service des pouvoirs publics, et dans des rôles de conseil auprès des structures des pouvoirs publics. Le Centre canadien d’architecture a consacré une publication à l’enjeu de la démédicalisation de l’architecture. En voici quelques extraits. « En acceptant ce rôle thérapeutique, l’architecture et le design urbain deviennent en fait partie intégrante du paradigme de responsabilisation individuelle produit par les politiques de santé publique [-] » « Les praticiens de ces disciplines [architecture et urbanisme] préfèrent ignorer, par exemple, la façon dont les processus environnementaux impliquent souvent des processus économiques et surtout, dont les notions de corps, de santé et de maladie sont le produit de processus historiques, politiques, économiques et culturels. » « Le processus de démédicalisation appliqué à l’architecture permettrait à cette discipline d’échapper à l’ambiguïté et au moralisme qui caractérisent le concept contemporain de santé, et de ramener les problèmes et leurs solutions non pas à l’échelle de l’engagement individuel, mais à celle plus adéquate de l’environnement social. De cette façon, l’architecture pourrait récupérer sa capacité critique envers les politiques publiques de santé, accepter de prendre part au débat actuel sur la question et renoncer à offrir une solution soi-disant rationnelle et scientifique à une conception toute médicale de la santé. » « Pour une démédicalisation de l’architecture » de Giovanna Borasi et Mirko Zardini, in En imparfaite santé, La médicalisation de l’architecture. Centre canadien d’architecture Lars Müller Publishers, février 2012.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 73 - décembre 2015

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