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Kinés francophones : une représentation partagée


Santé conjuguée n°82 - mars 2018

Deux organisations se disputent la représentation des kinésithérapeutes francophones. Toutes deux sont présentes au Conseil fédéral de la kinésithérapie du SPF Santé publique, ainsi que dans bon nombre d’organes régionaux ou provinciaux. Mais côté Inami, seule AXXON est reconnue comme représentative.

Le Conseil fédéral de la kinésithérapie (CFK) est né en 2014 à la suite de la sixième réforme de l’État, succédant à son prédécesseur, le Conseil national de la kinésithérapie, dont la création remonte à une dizaine d’années. Son objectif : représenter la profession auprès de la ministre de la Santé en rendant des avis. Ces derniers portent sur les pratiques/techniques des kinésithérapeutes, sur les qualifications professionnelles des kinésithérapeutes, mais aussi sur leur statut (la question de la prescription médicale, par exemple, aujourd’hui passage obligatoire pour qu’un patient puisse accéder à des séances de kinésithérapie). « La réalisation du cadre général de la kinésithérapie (à savoir la définition de la profession), ainsi que la reconnaissance de six qualifications professionnelles particulières ont été les réalisations majeures du Conseil jusqu’ici », commente Yves Henrotin, vice-président du Conseil, praticien et professeur à l’Université de Liège. Le CFK, consultatif, est majoritairement composé de kinésithérapeutes de terrain, mais aussi d’enseignants, de médecins généralistes et spécialisés notamment en médecine physique. Y siègent aussi deux associations de kinésithérapeutes : AXXON Physical Therapy in Belgium et l’Union des kinésithérapeutes de Belgique (UKB).

Deux organisations, mais une à l’Inami

Jusque dans les années 2000, une multitude d’associations représentent la profession. De plus en plus, la nécessité de se regrouper se manifeste et diverses fusions s’opèrent pour aboutir, en 2005-2006, au rassemblement des diverses structures en deux grandes associations : l’Association des kinésithérapeutes de Belgique (AKB)/Algemene kinesitherapeutenvereniging van België, à laquelle appartient l’Association des kinésithérapeutes Hainaut-Namur (AKHN, francophone), qui deviendra l’Union des kinésithérapeutes francophones et germanophones de Belgique (UKFGB puis l’UKB depuis 2015) ; et le Cartel des kinésithérapeutes/Kinesitherapeutenkartel. En 2009, ces deux organisations fusionnent pour devenir AXXON Physical Therapy in Belgium, mais l’UKFGB (UKB aujourd’hui) décide de demeurer indépendante, ne souhaitant pas « se dissoudre dans un environnement essentiellement néerlandophone ». Les deux organisations sont aujourd’hui représentées dans bon nombre d’institutions comme le Conseil fédéral de la kinésithérapie, le consortium e-santé, les conseils médicaux provinciaux ou encore la Plateforme wallonne des prestataires de soins. Mais seule AXXON représente la profession à l’Inami, où elle négocie les honoraires des kinésithérapeutes dans la Commission de conventions (compétente pour négocier les tarifs avec les mutualités et les différents groupes de dispensateurs de soins), et défend les kinésithérapeutes au sein de différentes commissions (exemples : la commission des profils, qui évalue l’activité des dispensateurs de soins ; le conseil technique, qui formule notamment des propositions de modifications de la nomenclature des prestations de santé). « La défense professionnelle au niveau de l’Inami est, au départ, réservée à la coupole nationale », explique Fabienne Van Dooren, directrice générale de l’aile francophone d’AXXON. Avec la sixième réforme de l’État, ce sont les deux ailes francophone (AXXON, Qualité en Kinésithérapie) et néerlandophone (Axxon, Kwaliteit in kinesitherapie) de la coupole nationale qui défendent la profession au niveau régional (AVIQ en Région wallonne, Iriscare à Bruxelles). « Le fait que nous soyons une association nationale a quand même marqué le monde des prestataires de soins à l’heure où certains essayent de scinder le pays. Et si les dernières négociations à l’Inami n’ont pas été faciles, c’est plus efficace d’être une seule association face aux organismes assureurs », défend-elle. De son côté, l’UKB regrette ne pas être de la partie. Pourquoi l’association est-elle hors-jeu ? Tous les quatre ans, des élections déterminent les organisations professionnelles de kinésithérapeutes représentées au sein de certains organes de l’Inami. Celles-ci, qui devaient se dérouler en 2016, n’ont pas eu lieu. « En effet, seule une organisation professionnelle (Axxon, Physical Therapy in Belgium) a été reconnue représentative », peut-on lire sur le site de l’Inami. Selon Saïd Mazid, vice-président de l’UKB, les associations devaient représenter au moins 1 000 membres pour pouvoir participer aux élections. Or sur les 40 549 kinésithérapeutes au niveau national reconnus par la Santé publique (environ 20 000 d’entre eux ayant un profil Inami), AXXON représente environ 5 000 membres dont 1 200 du côté francophone, selon Fabienne Van Dooren. Ce dernier chiffre est remis en question par l’UKB, qui a interpellé l’Inami et la ministre Maggie De Block afin d’obtenir les chiffres officiels des membres d’AXXON selon une ventilation francophones/néerlandophones. Une demande qui n’a pas été satisfaite. L’UKB, quant à elle, compte quelque 900 membres, principalement francophones, selon Saïd Mazid. « Évidemment c’est plus facile pour l’Inami d’avoir un seul interlocuteur, les décisions sont moins discutées et la reconnaissance d’AXXON à l’Inami implique une subsidiation pour AXXON », regrette ce dernier.

Visions divergentes…

Au-delà de cette guéguerre de chiffres, quelles questions de fond animent les associations qui représentent les kinésithérapeutes ? Du côté du Conseil fédéral de la kinésithérapie, Yves Henrotin épingle trois enjeux majeurs à venir pour la profession. Premier d’entre eux, la possibilité d’accéder à la kinésithérapie sans passer par la prescription médicale d’un médecin généraliste dans le cas de certaines pathologies dites « mineures ». L’objectif étant autant d’améliorer l’autonomie des kinésithérapeutes que de désengorger les consultations en médecine générale et spécialisée, et de résoudre ainsi des problèmes d’offre médicale. « Il faut faire passer dans les discussions l’intérêt du patient d’abord : être soigné vite plutôt que faire la file dans une consultation spécialisée », avance-t-il. L’association AXXON abonde dans ce sens : « Axxon choisit résolument ‘l’accès direct du patient à la kinésithérapie’ : une revalorisation du kinésithérapeute dans les soins de santé. Le soin optimal d’un patient n’est a priori pas lié à une prescription médicale. » Un accès direct, oui, mais dans certaines situations et avec des conditions précises. Pour l’association, prévention, examens locomoteurs, atténuation de la douleur aiguë, conseils de mouvements… sont toute une série d’aptitudes qui ne devraient pas nécessiter de prescription médicale, tout en « faisant naître une nouvelle forme de communication entre le médecin et le kinésithérapeute ». Pour l’UKB, l’accès direct à la kinésithérapie n’est pas une priorité. L’association souhaite mettre davantage l’accent sur l’interdisciplinarité, « notamment en gardant le médecin généraliste au centre de l’échiquier ». L’UKB souligne néanmoins que cette organisation des soins nécessite une amélioration des connaissances des médecins généralistes par rapport aux compétences des kinésithérapeutes. Second enjeu, pour Yves Henrotin : la création d’un organe de déontologie pour la profession. Celui-ci aurait pour objet de se prononcer sur les règles en matière de pratiques, de publicité ou encore de bonnes relations avec les patients. « Cela pourrait nous aider pour pas mal de choses, notamment la possibilité de sanctionner plus facilement certaines dérives », confirme Saïd Mazid (UKB), qui souligne néanmoins que, si une réflexion est effectivement en cours, « ils sont en train de pousser vers un ordre inclus au sein du SPF Santé. Nous, on reste avec cette idée d’un ordre indépendant ». Troisième défi, selon le vice-président du CFK : l’évolution de l’enseignement en Belgique francophone. Il s’explique : « En Communauté française, l’enseignement est toujours de quatre ans, contrairement aux obligations imposées par l’Europe depuis les accords de Bologne. Dans les universités flamandes, on propose déjà un master complémentaire pour se former notamment aux compétences particulières définies par le CFK. » Yves Henrotin plaide donc pour un enseignement intégré et coordonné entre hautes écoles et universités comme c’est le cas en Communauté flamande. Une revendication sur laquelle le CFK n’a que peu de prise puisqu’elle relève des ministres communautaires de l’enseignement supérieur et non du ministre de la Santé auquel le Conseil rend ses avis. AXXON, de son côté, soutient le développement des qualifications particulières. « L’uniformisation et l’adaptation des formations dans les deux parties du pays sont cruciales pour assurer la présence internationale de la kinésithérapie belge », assure l’organisation. Côté UKB, on préconise une formation en cinq ans, mais qui demeure omnipraticienne et globale (et non, comme en Flandre, une formation qui tend à spécialiser les étudiants en fin de cursus). « Dans la prise en charge des personnes, on a besoin de plusieurs cordes à son arc », explique Saïd Mazid. Les maladies chroniques, par exemple, imposent la maîtrise de plusieurs compétences dans différents sous-domaines de la kinésithérapie. « Si une prise en charge est trop spécialisée, il faudra sans cesse renvoyer le patient vers d’autres prestataires spécialisés. Quid, dans ce contexte, de la gestion des priorités en matière de soins et d’une action préventive globale ? » L’organisation s’est d’ailleurs opposée aux qualifications professionnelles particulières (QPP) il y a deux ans. « Nous sommes contre cette volonté de cloisonner la profession. Nous voulons revaloriser le travail de première ligne, avec des kinés omnipraticiens qui réorientent vers une kinésithérapie plus spécialisée en cas de besoin, soit dans 5% des cas environ. » Autre cheval de bataille de l’UKB : le soutien au développement d’associations locales impliquées dans des politiques de proximité (exemple : projets pilotes mis sur pied pour tester des mécanismes de coordination entre différents prestataires de soins de première ligne ; mais aussi pour accéder aux accréditations Pro-Q-Kine, asbl indépendante chargée par l’Inami de développer, gérer et implémenter le système de promotion de la qualité en kinésithérapie en Belgique). L’objectif : favoriser la multidisciplinarité au niveau local. Enfin, l’UKB met un point d’honneur à lutter contre le phénomène des faux indépendants, particulièrement en milieu hospitalier. « Nous avons fait une tentative d’approche de la CNE pour coordonner nos efforts afin que les faux indépendants soient requalifiés en salariés. Mais cela reste une question compliquée, car les prestataires ont peur de perdre leur emploi. »

… et espaces de collaboration

Au-delà des divergences de vues, les deux associations représentant les kinésithérapeutes sont désireuses de rétablir, entre elles, de bonnes relations. Elles collaborent notamment dans le cadre du développement de l’e-santé en Wallonie. Objectif : développer des formations en la matière pour les professionnels de terrain. « La profession y gagnera si on travaille ensemble. Aujourd’hui il faut laisser tomber les intérêts personnels au profit de la profession… », assure Fabienne Van Dooren. « On a enterré la hache de guerre, car se déchirer dessert la profession », confirme Saïd Mazid. Et le point ultime de convergence est probablement la nécessité de revaloriser la profession. « On se situe dans le contexte d’un budget fermé. Or on a besoin de plus de moyens. Il y a aussi un travail à faire vers le grand public et le monde médical pour faire mieux connaître notre profession qui a fort évolué ces quinze dernières années. C’est un grand défi de remettre la kinésithérapie à la place qu’elle mérite dans le monde des soins de santé. Et si on réussit à mieux faire reconnaître nos compétences, le financier suivra… », espère Fabienne Van Dooren. « Le Conseil fédéral de la kinésithérapie est demandeur d’être plus souvent consulté, car notre profession a besoin d’évoluer », conclut quant à lui Yves Henrotin, vice-président du CFK.

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°82 - mars 2018

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