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Il est devenu commun de dire que la santé est un état de bien-être… C’est induire en même temps qu’elle est déterminée par un grand nombre de facteurs, parmi lesquels les différences socio-économiques jouent un rôle prépondérant. On se plaît à lister ces « déterminants sociaux » de la santé : le logement, l’alimentation, l’éducation, l’environnement, la mobilité… Mais, on ne cite que très rarement le travail (et le chômage1). Ce déterminant se trouve, sans doute, dans les trois petits points qui suivent l’énumération. Comme un sous-entendu ? Disons franchement : souvent ignoré. Pourtant, depuis des années, les recherches foisonnent qui démontrent à suffisance que le travail et le non-travail influencent grandement la santé. Plusieurs films et reportages l’ont illustré. Mais, bien mieux, il faut côtoyer le monde des travailleuses et des travailleurs de tous âges pour en prendre une connaissance vécue au quotidien. La chasse aux temps morts, la fragilisation des contrats de travail, la multiplication des statuts, la sous-traitance, les intérims, l’intensification de la productivité, les audits, le stress, le burn out, l’allongement des carrières, le management de compétition dans la gestion des ressources humaines, la crainte des restructurations, le harcèlement de tous ordres, les fermetures, les pertes d’emplois et le chômage : toutes situations devenues monnaie courante. Malgré une législation déjà conséquente et qui s’adapte depuis pas mal d’années, malgré la présence de comités de prévention et de protection au travail (dans les entreprises de cinquante travailleurs au moins), malgré l’obligation de s’adjoindre des services internes et externes de prévention dotés de professionnels qualifiés, malgré tout cela, les conditions de travail se détériorent, entrainant des conséquences parfois très graves pour la santé, comme des issues fatales suite à des cancers professionnels ou à des suicides. De leur côté, les médecins témoignent de plus en plus de l’aggravation de cette situation. La société scientifique de médecine générale (SSMG) se préoccupe, elle aussi, de l’inflation des consultations médicales liées aux conditions de travail. Mais les médecins – ce sont eux qui l’expriment – sont peu ou pas informés ni formés aux causes professionnelles de certaines pathologies. Ils ne recourent dès lors qu’à une médication plus ou moins appropriée et à des certificats médicaux d’une durée momentanée avant un retour au travail de leurs patients jusqu’à la prochaine rechute. Il n’est pas excessif de dire qu’il y a un angle mort entre la médecine générale et le monde du travail. C’est un véritable enjeu de santé publique. Les acteurs du monde du travail se préoccupent depuis longtemps de la sécurité et de l’hygiène des travailleurs. Leur action se déroule dans le cadre de la concertation sociale. Un nouveau paradigme y est né ces dernières années, celui du bien-être au travail remplaçant celui de la seule compensation financière à l’égard des accidents de travail et des maladies professionnelles. Des initiatives très intéressantes de délégués syndicaux ont vu le jour, notamment par l’utilisation de la méthode de la recherche-action. Mais les dispositifs mis en place restent confinés au seul terrain des entreprises. La question de la santé publique n’y est pas du tout posée. Bien que ! Le SPF Emploi a mené une étude sur l’information/concertation entre médecins du travail, médecins-conseils des mutuelles et médecins généralistes. Cette recherche a abouti à la mise en route de groupes Trio. Bien que ! Les mesures maladroites et pour des raisons budgétaires de la ministre De Block ont créé un électrochoc en voulant d’office remettre au travail des malades de plus de deux mois. Ces mesures bousculent autant les délégations syndicales que les médecins concernés. Mais si le politique veut vraiment faire œuvre utile en promotion de la santé au travail, il doit s’y prendre autrement. Les médecins généralistes et les autres professionnels de santé manquent de formation. Il serait trop court de les laisser dans cet état de fatalité sans chercher à mettre à leur disposition des outils de diagnostic et thérapeutiques plus efficients. Et au- delà, il serait bien vu d’utiliser leur expertise pour dépasser la démarche individuelle curative et la rendre collective pour faire œuvre de prévention. Les initiatives prises par certaines maisons médicales sont à souligner. La pratique au forfait permet en effet des actions collectives de prévention visant à améliorer les comportements individuels des patients. Mais il faut aussi interpeller le système de santé lui-même. Explication. Une multitude de données statistiques existent auprès des différents organismes et institutions en charge de la surveillance de la santé des travailleurs. Qu’attend-on pour créer des banques de données accessibles aux acteurs de terrain ? Pourquoi ne pas rendre ces banques de données interactives, ce qui pourrait les enrichir ? Elles permettraient aussi d’établir des cadastres de risques jusqu’aux niveaux sous régional, local et par entreprise. Le conseil scientifique de l’Agence fédérale des risques professionnels (FEDRIS) a émis des recommandations dans ce sens. Les employeurs et les organisations syndicales devraient prendre aussi leur part d’initiative et de responsabilité dans cette dynamique aux côtés des professionnels de santé, l’objectif étant de viser les causes et non seulement les symptômes. C’est rêver ? Non. Des initiatives dans ce sens existent. Et des idées fusent : la création par la SSMG d’un carnet de santé faisant mémoire de l’exposition aux facteurs de risque au long de la carrière (l’amiante nous a donné des leçons), un projet de loi qui rendrait obligatoire la transmission des données entre médecins avec l’accord du travailleur et l’insertion des risques professionnels dans son dossier médical, l’utilisation de l’informatique à des fins de santé publique et non de commerce avec l’industrie pharmaceutique…

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°81 - décembre 2017

Les maisons médicales au chevet du travail

Comment les maisons médicales s’approprient-elles les questions de santé et de travail ? Que mettent-elles en œuvre pour prendre en charge les problématiques qui y sont liées ? Les initiatives sont variées, allant de la recherche(…)

- Benoît Gérard

La dégradation des conditions de travail

Sur une longue période, le progrès social s’est fondé sur la recherche de meilleures conditions de travail, inscrites dans une perspective de réduction et de régulation du temps de travail.

- Esteban Martinez

Les acteurs, les scénarios

Médecin généraliste, médecin du travail, médecin-conseil. Accident de travail, maladie professionnelle. Incapacité ou invalidité. Qui fait quoi dans quel cas.

- Pascale Meunier

Les groupes Trio

Des médecins généralistes, des médecins-conseils des mutuelles et des médecins du travail se réunissent régulièrement pour mieux comprendre la législation et mieux fonctionner dans l’intérêt partagé du patient.

- Evelyne Lenoir

Une affaire de prévention

Demandez à un ingénieur, un manager, un ouvrier, un juriste, un indépendant s’il a déjà entendu parler de la législation en matière de bien-être au travail dans son cursus scolaire… La réponse est le plus fréquemment(…)

- Alain Piette

Enquête chez les nettoyeurs

L’Atelier Santé de Charleroi, le C-DAST (Centre de défense et d’action pour la santé des travailleurs) et la centrale générale de la FGTB ont mené une recherche-action pour établir et documenter le lien entre les troubles(…)

- Marinette Mormont

Budget vs social

L’introduction de logiques gestionnaires est l’un des importants changements que connaît le secteur non marchand depuis plusieurs années. Ce phénomène semble s’amplifier et porte atteinte au cœur des métiers du social. Impossible conciliation entre finalité sociale(…)

- Laetitia Mélon

L’action syndicale peut faire la différence

Pourquoi l’action syndicale est-elle si importante et dans quelles conditions peut-elle être efficace ? À l’heure où l’organisation de leur travail tend à leur échapper totalement, il est temps de voir la parole des travailleurs à nouveau(…)

- Laurent Vogel

Google Earth, contrôleur du sol

Dans une des zones les plus industrialisées de France, les médecins généralistes peuvent visualiser via Google Earth l’environnement de travail de leurs patients. La manifestation du lien entre maladie et travail ne constitue toutefois que le(…)

- Denis Grégoire

La chasse aux malades ?

Entré en application le 1er décembre 2016, le nouvel arrêté royal relatif à la réintégration des travailleurs malades de longue durée suscite la polémique. Notamment parce qu’il aurait pour effet pervers une vague de licenciements.

- François Perl, Marinette Mormont, Philippe Vigneron

Rêver sous le capitalisme

Sophie Bruneau, dans son documentaire « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », coréalisé avec Marc-Antoine Roudil en 2006, filmait des patients en arrêt de travail lors de leurs premières consultations en cellules de soutien.(…)

- Juliette Borel

Bell téléphone : un gâteau empoisonné ?

Chez ITT Bell Telephone, à Colfontaine, on fabriquait des postes émetteurs pour les chars Léopard de l’armée belge ainsi que des postes téléphoniques pour la RTT (Régie des télégraphes et des téléphones devenue Belgacom et aujourd’hui(…)

- Willy Ray

Introduction

Il est devenu commun de dire que la santé est un état de bien-être… C’est induire en même temps qu’elle est déterminée par un grand nombre de facteurs, parmi lesquels les différences socio-économiques jouent un rôle(…)

- Léonard Jean-Marie

Les pages ’actualités’ du n°81

Les déclinaisons de l’accueil en social-santé

Le 6 octobre 2017, par hasard ou par miracle, plus de 350 personnes se sont réunies pour penser les déclinaisons de l’accueil dans ce qu’il reste d’État, ou plutôt son pacemaker, ce qu’on appelle le social-santé.(…)

- Isabelle Dechamps, Laurent Bernard, Martin Cauchie

Retour vers le futur

Comment partager un regard sur le passé et mettre en évidence des pistes pour l’avenir ? Huit cent personnes ont répondu à cette question à l’occasion du congrès de la Fédération le 18 novembre et les jours qui(…)

- Eric Cazes

Alda Greoli : « un modèle très intéressant »

La nouvelle ministre wallonne de la Santé répond à nos questions. Quel regard porte-t-elle sur les maisons médicales ? Quels sont les chantiers en cours et à venir dans le secteur de la santé en Région(…)

- Alda Greoli, Christophe Cocu, Frederic Arends

Nouveau service, nouvelle fonction

Le cadre pluriannuel des pharmaciens signé par la ministre de la Santé, l’Association pharmaceutique belge (APB) et l’Office des pharmacies coopératives de Belgique (OPHACO) fixe, entre autres, la mise en œuvre de la fonction de pharmacien(…)

- Pascale Meunier