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Fin de vie et demande d’euthanasie


Santé conjuguée n° 74 - mars 2016

Mon rôle, puis celui des membres de mon équipe, a été progressivement défini après la publication de l’arrêté royal de 1997 structurant la prise en charge des soins palliatifs en Belgique. C’était l’occasion pour la direction des Cliniques universitaires de Bruxelles, Hôpital Erasme, de créer une équipe mobile sans identifier un secteur d’hospitalisation spécifiquement palliatif. Les fonctions assumées par l’équipe naissante ont d’emblée dépassé le domaine des approches de fin de vie pour offrir aux cliniciens des unités aiguës, souvent de jeunes médecins, une aide dans la prise en charge des symptômes, la douleur essentiellement. Assumer cette fonction devait me permettre de décliner au mieux mes projets d’infirmière clinicienne alors récemment diplômée.

En 2002, trois lois majeures ont été promulguées en Belgique. La première concerne les droits des patients, elle permet aux citoyens belges de participer aux décisions relatives à leur santé tant dans leurs aspects diagnostiques que thérapeutiques. Cette loi oblige les médecins, dans la mesure des possibilités, surtout celles de compréhension, d’informer leurs patients du pronostic de leur affection. Si celui-ci ne permet plus d’espérer une guérison mais plutôt d’envisager une évolution péjorative rapide, il est plus facile, lorsqu’il est communiqué, d’orienter et de faire accepter une prise en charge palliative. La mise en pratique de la seconde loi exigeant qu’une telle approche puisse être fournie à chacun si son état le requiert est donc grandement facilitée par ce devoir de transparence. La troisième loi, la plus médiatisée, concerne la dépénalisation de l’euthanasie. Elle offre au patient un cadre précis pour demander à son médecin de la pratiquer. Celui-ci, en fonction de la nature du suivi préalable, de son appréhension de l’état clinique et de la souffrance rapportée, selon sa seule éthique personnelle, acceptera ou non de réaliser l’acte. Il est également sensibilisé à orienter son patient vers un autre praticien en cas de refus. Tout cela est légalement bien clair et établi, mais…, dans les circonstances de tous les jours, les demandes d’euthanasie sont toutes uniques et complexes. Elles nécessitent une approche individualisée. Je suis infirmière, comme les deux collègues qui travaillent avec moi au sein de la « cellule » soins palliatifs-soins continus, je sais que l’euthanasie est évidemment réservée aux médecins. Cependant, de par notre expérience et notre vécu des nombreuses situations dont nous avons été les témoins en 13 ans, nous pouvons expliquer, entourer, soutenir les acteurs, les familles et les équipes de soins. Les situations de fin de vie sont des circonstances exceptionnelles dans certaines disciplines, elles sont souvent redoutées, dans un hôpital universitaire, par les médecins de première ligne, fraichement promus et orientés vers le diagnostic des maladies et leur guérison. Un cours est donné en premier master depuis quelques années aux étudiants en médecine, mais la confrontation avec la réalité demeure un apprentissage brutal. Ce sont pourtant ces jeunes praticiens ou leurs aînés dont la formation antérieure aux lois n’implique pas non plus une maîtrise du rôle qu’ils ont à jouer et des démarches administratives à réaliser obligatoirement. « Cela » fait encore peur à certains de remplir des documents et de les adresser par recommandé. Appel d’une unité de soins : « Un(e) patiente a formulé une demande d’euthanasie ». La première chose à faire avant de le (la) rencontrer est de s’enquérir de la nature des démarches effectuées, de l’existence d’écrits, de leur pertinence. L’équipe infirmière, selon ses propres rapports avec le(la) malade communiquera des informations souvent mêlées d’émotion. A-t-il(elle) été hospitalisé(e) fréquemment ou surgit-il(elle) dans l’univers des soignants après un suivi ambulatoire ? L’admission programmée pour obtenir l’euthanasie est quelquefois difficile à accepter par une équipe infirmière. L’idéal sera de rencontrer le médecin, de recueillir ses attentes, d’obtenir de lui le récit des entretiens qu’il a eu avec son(sa) patient(e) et la nature des informations qu’il lui aura communiquées. Ensuite vient le contact avec le(la) patiente(e). Pour surgir efficacement comme témoin de la dernière étape d’une vie il faut afficher une grande prudence, pratiquer une écoute humble et ne jamais juger ni donner l’impression de le faire. Il y a une demande, pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Quelle est la justification ponctuelle de la demande, est-elle mûrie ou secondaire à un événement récent ? Les alternatives sont-elles connues ? Les soins palliatifs bien entendu mais également la sédation ou une autre approche technique comme la pose de prothèses dans certains cancers des voies digestives ou respiratoires. Des éclaircissements sont habituellement requis. Le médecin traitant aura, pendant de longs mois ou années, piloté un parcours curatif au départ, puis supportif, mais il faut maintenant décliner tous les schémas et possibilités. Qu’en pense l’entourage ? Appuie-t-il la demande ? La démarche a-t-elle dû être souvent repoussée suite à de multiples débats intra-familiaux, générant aujourd’hui un sentiment de victoire au terme d’un long combat pour la personne en fin de vie et de défaite pour un être sentimentalement proche. Faudra-t-il expliquer, rencontrer les enfants, les parents ? Quel est le souhait du(de la) patient(e) en la matière ? Il faut évidemment parler de la mort, détecter les angoisses pour tenter de les apaiser… mais aussi de celles induites par le « mourir ». Ces peurs peuvent être suscitées par des renseignements de type « clichés » fournis par les médias sur la pratique de l’euthanasie. La crainte d’avoir mal, encore plus mal. Il faut rassurer après avoir cerné correctement les questions mais il ne faut pas non plus banaliser car l’être humain que nous avons l’occasion de rencontrer doit garder son libre arbitre. La procédure peut être clairement décrite, cela permettra de détruire les fantasmes en s’appuyant sur la vérité. Le(la) patient(e) a droit à l’information ; soulignons que, depuis 2002, c’est devenu légal. Suite à plusieurs discussions, le retrait d’une demande est toujours possible. Il faut rappeler que celle-ci peut être simplement post-posée. Notre interlocuteur(trice) doit savoir qu’aucune porte n’est définitivement fermée, qu’il(elle) pourra plus tard la reformuler et qu’elle sera toujours identiquement entendue. « Madame, ma décision est prise, il faut agir immédiatement !» Une telle exigence ne doit jamais être rencontrée. Une euthanasie ne se pratique pas dans l’urgence. Le respect doit exister dans les deux sens. L’euthanasie n’est un acte aisé à poser pour aucun médecin. Il faudra de plus organiser la venue de ceux et celles attendus pour assister leur proche, leur ami(e) ; choisir une date, organiser les soins dans l’unité. Recueillir toutes ces informations, rencontrer sereinement un(e) patient(e), organiser l’euthanasie prend du temps et nécessite plusieurs entretiens et démarches. A chaque fois, tout est particulier, sachant que notre souci est également, au sein d’un hôpital laïc et donc pluraliste, de permettre la pratique de tout rite religieux réclamé par le(la) patient(e). Le souvenir que garderont les soignants de l’équipe d’hospitalisation doit également être correctement défini et construit sur des bases exactes. Certains soignants sont opposés à l’euthanasie, ils s’abstiennent d’être présents lors de l’acte et, bien entendu, de pratiquer la toilette mortuaire. Il suffit de correctement planifier certains horaires. La stabilité émotionnelle des équipes est très importante à maintenir, tant pour assurer la prise en charge des patients aigus que ceux arrivés au terme de leur vie. L’approche est interdisciplinaire, chacun jouant son rôle dans le respect des autres. Des groupes de parole ou des réunions d’échanges sont programmés rapidement après les décès. Vu le nombre de patients accueillis dans les unités d’hospitalisation aiguës, les renseignements utiles n’ont souvent été distribués au préalable que de manière fragmentaire. Notre rôle en tant qu’infirmière en soins palliatifs et soins continus face à une demande puis décision d’euthanasie est donc celui de « clarificatrice », puis de facilitatrice, éventuellement de coordinatrice et d’assistante auprès des acteurs de terrain, des familles et des proches avant, pendant et après l’euthanasie. Il importe que la procédure se déroule parfaitement pour n’occasionner aucune souffrance supplémentaire au (à la) patient(e) et ne pas aggraver le vécu du deuil de l’entourage des amis ou accompagnants et rassurer les équipes de soignants.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 74 - mars 2016

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