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Exclusion des soins = absence d’émergence ?

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Santé conjuguée n° 66 - octobre 2013

Tous les jours, Médecins du Monde fait face à ce paradoxe : les personnes les plus vulnérables ont de plus en plus de mal à avoir accès aux soins. Alors qu’on se questionne sur les facteurs d’émergence des maisons médicales, Stéphane Heymans et Michel Roland nous proposent de prendre le problème à l’envers. Pourquoi y a-t-il encore des exclus des soins ? Peut-on dire qu’il y a, en quelque sorte, absence d’émergence de projets qui permettent de les inclure dans le système des soins de santé ?

Médecins du Monde : raccrocher au système de soins Médecins du Monde travaille sur une toute petite frange de la population, extrêmement vulnérable : personnes en séjour irrégulier, sans-abri, habitants d’occupations précaires… Au-delà des soins et des médicaments dispensés au cours de ses consultations, Médecins du Monde poursuit deux objectifs : raccrocher des populations extrêmement marginalisées aux soins, notamment par une mise en confiance, en amenant le professionnel de santé dans les lieux de vie des groupes extrêmement vulnérables : squats, rue, centres d’hébergement d’urgence… ré-orienter et ouvrir des droits pour les personnes et les référer vers le système classique de soin (y compris la santé mentale). Malgré la sécurité sociale, malgré les ressources dont dispose notre société, la « bonne santé » est loin d’être une réalité égale pour tous. Les facteurs d’exclusions sont multiples et variés : exclusion administrative, exclusion due à des facteurs « culturels » ou encore à des troubles de comportement… Souvent la population en situation précaire cumule les vulnérabilités, et donc les facteurs d’exclusion. Lorsque Médecins du Monde effectue son travail de référence et de « ré-intégration » médicale, elle le fait souvent via les maisons médicales qui sont probablement les lieux les mieux adaptés pour une prise en charge sur le long terme. L’avantage primordial est tout d’abord la prise en charge « multi-disciplinaire » médicale / sociale (et parfois psychologique) qui peut répondre à la multi-vulnérabilité de cette population. Cette approche globale permet d’éviter la multiplication des prestataires en fonction de la demande ainsi que de favoriser une logique de réseau dans un même lieu géographique. La présence d’un assistant social peut aussi donner lieu à un travail plus en profondeur avec des institutions telles que les CPAS, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) et d’autres associations. D’autres structures du réseau associatif (services de santé mentale, planning familiaux, services de prise en charge d’usagers de produits, etc.) peuvent également proposer des réponses à ces populations. Des réponses souvent plus spécifiques mais qui s’intègrent dans une logique globale. Il reste que la segmentation des services, réalité exacerbée en Belgique, est une véritable barrière à l’accès aux soins.

Accessibilité : les limites des maisons médicales

Même si l’on ne peut généraliser, car les pratiques sont multiples et variées, on constate que le modèle « maison médicale » atteint certaines limites en ce qui concerne l’intégration de ces populations. Ces limites ne sont évidemment pas établies de manière consciente par les structures, mais elles se manifestent de temps à autres dans le travail de référence de Médecins du Monde. Tout d’abord, le système de forfait exclut une partie de la population, comme les personnes en séjour irrégulier, les demandeurs d’asile, etc. L’intégration de ce type de publics exige la création d’un système de double comptabilité : à l’acte pour les personnes en séjour irrégulier, etc., et au forfait pour les autres patients. Ce qui engendre un poids administratif qui pèse sur la structure et qui est donc un facteur d’exclusion. Le concept de territorialité est aussi peu réaliste pour une population en précarité de logement qui change de lieux de vie tous les deux ou trois mois en fonction du tissu de solidarité qu’il a pu se construire. La plus grande difficulté pour la prise en charge de ce public concerne évidemment la continuité des soins. Cette population exclue des soins demande souvent une attention particulière, des compétences particulières et parfois des dispositifs particuliers (présence d’interprètes, système d’accompagnateurs…) afin de parvenir à une adhérence au service. Les structures doivent s’adapter, être souples… Une mauvaise expérience peut faire échouer une mise en confiance et renforcer l’exclusion. L’inclusion dans un système trop généraliste peut dès lors être un frein pour l’accès aux soins, en tout cas durant les premiers contacts. En conclusion, et cela est vrai pour toutes les structures de première ligne, une fois les services pleins et les inscriptions clôturées, la structure met son énergie à prester son service pour ses patients et à développer son activité préventive. Elle prend rarement le temps de réfléchir aux personnes qu’elle ne voit pas, aux invisibles.

Pour des maisons médicales mobiles en pré-première ligne

L’exclusion des soins n’est apparente que si on s’en préoccupe. Une réponse ne peut y être donnée que si on s’y attaque avec une volonté institutionnelle. Cette visibilité permettra aussi de construire un témoignage et un plaidoyer politique en vue d’obtenir des réponses appropriées. N’est-il pas temps de rajouter des permanences d’accès aux soins au sein de certaines maisons médicales afin de travailler sur des groupes exclus des soins ? Voire de créer en parallèle un service de santé très accessible, mobile et outillé qui permettrait un accrochage au système de santé belge ? La solution pour faciliter l’inclusion dans la première ligne pourrait venir de la création de maisons médicales spécialisées dans l’exclusion des soins dans les grands centres urbains. Celles-ci feraient office de pré-première ligne (en relation directe avec le réseau « classique » des maisons médicales). Ces structures seraient souples, outillées et mobiles, mais ne garantiraient pas spécifiquement la territorialité ni la continuité en leur sein. Premiers points de contact avec un professionnel de santé, elles réorienteraient les patients (re)mis en confiance et en ordre de couverture vers le système de première ligne.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 66 - octobre 2013

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