Un modèle de participation interne a une incidence sur la participation globale des patients. Exemple à la maison médicale du Laveu, à Liège, raconté par son gestionnaire Sébastien Derouaux.
« Au début, tout le monde décidait de tout. Ce n’était pas facile, notamment en matière de politique salariale. Il y avait du tirage entre le pôle administratif et le pôle médical, le pouvoir n’était pas très bien réparti. Il y avait une pression sur l’autogestion, c’était lourd, jusqu’à une grosse crise d’équipe et des départs massifs. » Le besoin d’organiser une forme de délégation dans la gestion journalière s’est fait sentir, tout en maintenant le modèle autogéré et la motivation des travailleurs. « On a développé un modèle de gestion reposant sur plusieurs domaines, avec des compétences claires et précises pour les différents organes de l’institution. Ce modèle est le fruit de la créativité de l’équipe. » Mais celle-ci s’est également fait accompagner par des consultants en dynamique de groupe. « ‘C’est bien, nous ont-ils dit, vous clarifiez qui fait quoi. C’est une bonne chose par rapport aux enjeux de pouvoir, mais il y a encore des choses difficiles dans votre équipe’… Ils nous trouvaient lents, peu efficaces, bloqués par la dimension émotionnelle. Et c’était vrai. Ils nous ont branchés sur la sociocratie, un mode de gouvernance dont nous avons adopté la dynamique participative et surtout le mode de décision par consentement. » Son principe repose sur la constitution préalable d’un groupe de travail. Lorsqu’une question se pose ou qu’une décision est à prendre, ce groupe est chargé de rédiger une proposition et un argumentaire que chacun peut lire avant qu’ils soient mis sur la table. La solution présentée n’est sans doute pas idéale mais l’argumentaire illustre son cheminement, tout ne doit plus être remis en débat. Par tours de table successifs, chaque participant peut clarifier, réagir et enfin consentir ou s’objecter à la proposition. Il s’agit de l’améliorer à partir des objections raisonnées et raisonnables, liées à un besoin qui ne serait pas encore rencontré. Il faut être capable de construire ensemble des amendements. La proposition est consentie quand il n’y a plus d’objection. « On a gagné en efficacité mais cela demande d’être systématique, on se prépare, on va à l’essentiel. » Les problèmes de gestion étaient peut-être la pointe de l’iceberg, le terrain où exprimer le plus facilement sa colère, son désespoir. « Car une fois ces enjeux apaisés, on a vu qu’il restait une charge psychosociale imposante, les plaintes étaient moins dirigées vers l’autogestion et la dynamique d’équipe mais liées à la spécificité du soin. C’était vraisemblablement déjà difficile à vivre avant car le contexte est ardu depuis longtemps, les soignants sont confrontés à de l’impuissance, à des situations inextricables, à de plus en plus de problèmes de santé mentale, mais quand on y ajoutait l’obligation de s’impliquer dans de l’autogestion, pour beaucoup c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. C’est là qu’on a commencé à travailler sur la coordination de soins. » C’est une spécificité des maisons médicales d’avoir sous le même toit différentes fonctions et différents métiers mais cela ne suffit pas pour travailler ensemble. « À titre d’exemple, on n’a pas attendu de parler de coordination de soins pour travailler la question de la qualité bien entendu mais on l’a davantage systématisée avec des critères et des indicateurs. En quelques mois, notre démarche a été opérationnelle. Cela n’aurait sans doute pas été le cas si on n’avait pas auparavant mis à plat notre manière de fonctionner. » Autre impact : la participation. « On aime bien qu’il existe quelque chose de la représentativité citoyenne autour de notre projet mais, sur des sujets fâcheux, ça pouvait vite monter dans les tours. Maintenant que notre cadre est sécurisé, inviter nos patients à nos réunions est devenu possible, tout comme travailler ensemble, par exemple sur l’eSanté. Ils participeront à notre prochaine AG pour la première fois, alors que c’est prévu dans les statuts depuis 2000… » Les valeurs démocratiques ont toujours été là ; il a juste fallu cadrer des choses pour les vivre sereinement. « Encore un exemple, notre charte était en chantier depuis 2003. Aujourd’hui, elle a été mise au net en quelques heures. Faire collectif, c’est important dans toutes les équipes mais ailleurs beaucoup de difficultés sont tranchées par le chef. Notre spécificité, c’est de faire sans ça. Cela a un prix mais je suis content de pouvoir dire que ça fonctionne. Il y a des compromis mais on peut se regarder dans la glace. »Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 79 - juin 2017
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