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Double diagnostic et comment travailler l’« Après », maintenant


Santé conjuguée n° 59 - janvier 2012

Beaucoup de patients portent un « double diagnostic » de maladie mentale + assuétude. Ces patients complexes compliquent l’accompagnement en institution et rendent très difficile le travail préparant à « l’après hospitalisation ».

Depuis sa fondation en 1852, le centre hospitalier Jean Titeca accueille des personnes sous deux statuts différents : volontaire et, de façon majoritaire, médico-légal. Le plus grand nombre des hospitalisations a lieu dans le cadre de la loi de protection de la personne des malades mentaux (loi du 26 juin 1990). Sont également hospitalisées des personnes sous statut de défense sociale et des mineurs, à la demande du juge de la Jeunesse, mineurs parfois également hospitalisés dans le cadre de la loi de 1990. A peu près 80% des personnes hospitalisées au centre hospitalier Jean Titeca le sont sous mesure de protection. Les patients sont hospitalisés dans différentes unités qui ont chacune leur projet thérapeutique propre. Au sein de ces unités, la prise en charge clinique individualisée et le projet de vie personnalisé du patient sont intensivement travaillés. Le travail pluridisciplinaire doit s’adapter à la prise en charge de patients aux diagnostics complexes (psychoses, troubles bipolaires…), associés dans de nombreux cas à des assuétudes. Une problématique prégnante : le double diagnostic La population rencontrée au centre hospitalier Jean Titeca nous interdit de faire l’économie du débat sur les doubles diagnostics : assuétude et maladie mentale (dans notre centre, plus particulièrement la psychose). Le double diagnostic pose un grand nombre de questions qui restent en suspens : y a-til une maladie mentale préexistante ayant comme conséquence la consommation ? Y a-t-il une consommation primaire entraînant des conséquences psychiatriques ? Est-ce un double diagnostic primaire ? Y a-t-il en amont une étiologie commune ? Ou… ? Il semble dès lors important de se questionner sur le rapport entre les deux concepts, de s’interroger sur l’articulation, la spécificité de la prise en charge de la psychose et de la « consommation » au sein d’une même institution. Nous tentons d’appréhender la question de l’assuétude du côté de la clinique et donc du cas par cas. La préoccupation clinique est là quand la drogue devient un problème, une souffrance, un symptôme. Il s’agit alors de tenter de repérer la fonction de la drogue dans l’économie psychique du patient, ce qui pourra ’à l’occasion’ lui permettre d’élaborer une autre solution que le recours au produit. Les fonctions que peut remplir la drogue sont nombreuses. Il y a la drogue comme forme de traitement, un traitement par rapport à l’angoisse. La drogue qui calme les voix, les délires, qui lutte contre le vide, contre les passages à l’acte. La drogue qui crée du social entre les patients. La drogue qui permet de supporter l’autre dans une hospitalisation sous contrainte dans des conditions de vie parfois très difficiles. Pour tout compliquer, une part importante de notre pratique doit se réaliser dans le cadre d’une injonction légale et donc d’une contrainte de soins. Cette variable doit être prise en compte dans la réflexion autour de la question du traitement des patients présentant un double diagnostic. La prise de conscience de l’augmentation de ces problématiques complexes fait germer en nous la volonté de mieux comprendre et donc de mieux traiter ce que sont les assuétudes et leur rôle pour nos patients.

Maintenant et après

L’unité hospitalière dans laquelle nous travaillons est une unité dite « ouverte », de « resocialisation », qui accueille 48 patients, hommes et femmes, âgés de 18 à plus de 70 ans. Les patients hospitalisés, la plupart sous contrainte de loi, viennent y travailler l’ « Après », l’après hospitalisation, l’après crise. Pour la plupart d’entre eux, ils arrivent dans cette unité de soins après un passage en unité d’admission, mais certains viennent de structures extérieures ou de chez eux. L’accueil du patient dans l’unité se fait dans le maintenant. Et maintenant que vais-je faire ? Que vais-je créer ? Que vais-je mettre en place pour « Après » ? Comment vais-je envisager l’après dans ce parcours où la psychose côtoie l’assuétude, où la consommation de toxiques est très présente au sein même de l’unité, dans le jardin de l’hôpital, de l’extérieur à l’intérieur. Où la consommation interroge le soignant sur sa pratique, sur la référence à la loi, sur la fonction de la drogue à l’hôpital, sur ce qu’elle vient traiter. Sur la pratique avec « des sujets qui se soignent autant qu’ils se nuisent » (D.Robin). Dans la pratique, la mise en place de projets de vie des patients se fait surtout au moyen de candidatures dans des lieux de vie thérapeutiques. Lieux de vie qui ont également leurs règles propres par rapport à la consommation. Projets qui s’arrêtent parfois quand le toxique est trop présent. Projets qui aboutissent et projets qui s’annulent quand l’« Après » renvoie à l’impossibilité des soins, à la transgression des règles institutionnelles, à la non adhésion au projet thérapeutique. Projets rendus impossibles dans le maintenant de la consommation à l’intérieur de l’institution. La notion de double diagnostic rend difficile la gestion des projets des patients. En dehors des structures hospitalières, peu d’institutions prennent en charge ces patients et on se retrouve vite devant un manque de dispositifs. Alors pour mettre en place ces projets de vie, pour faire en sorte que le patient prenne en charge son projet de vie, nous tentons, autour d’observations de la vie quotidienne, de réintroduire du social, de l’« autre », de travailler une certaine prise de conscience sur les éventuelles conséquences de la consommation, conséquences financières, relationnelles, psychologiques. Travail également autour du rapport à la loi, la loi interne de l’hôpital, l’inscription dans le social, dans le projet où la loi sera également présente. Travail sans le maintenant de la resocialisation en même temps que travail de la consommation pour l’Après. Avec toute l’ambivalence que cela suppose… Travail difficile. Il y a des candidatures où il y a lieu de « séparer » le double diagnostic, de faire en éludant un peu pour aboutir à la sortie d’un patient de l’institution. Parce que nos patients restent parfois longtemps hospitalisés faute de places offertes dans le réseau. Il y a également dans notre pratique tout un travail avec le réseau, autour d’échanges sur nos pratiques. Il y a des ponts, des conventions créées avec des institutions traitant du double diagnostic. Tout un travail de collaboration entre l’hôpital et la communauté thérapeutique permettant également la circulation des patients que nous rencontrons. Il y a le travail de supervision des équipes qui rencontrent ces problématiques de consommation au sein même d’unités de soins, qui confrontent le soignant à ses propres croyances et représentations, à ses représentations du soin, de la transgression, de la maladie. Il est parfois fait appel à des équipes extérieures, des professionnels autour de cette problématique du double diagnostic, tant le travail est parfois difficile pour les soignants. Une manière de travailler, de partager, de soutenir l’autre dans le travail… Travail du maintenant pour l’« Après ».

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 59 - janvier 2012

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