Vous venez de le lire, le nouveau Gouvernement a d’importants défis à relever pour maintenir et faire évoluer notre système de santé. Dans le contexte de crise que l’on connaît, il faudra affronter les menaces qui pèsent sur la sécurité sociale, s’attaquer aux inégalités qui se creusent, répondre aux besoins d’une population vieillissante dans un environnement de plus en plus pathogène et redéployer une première ligne de soins dont l’efficience est mise à mal par des mécanismes politiques hérités du passé. Le chantier est immense et pour y arriver, la Fédération des maisons médicales identifie et propose dix priorités au politique.
Base de tout le système, il faut maintenir une sécurité sociale fédérale couvrant l’ensemble de la population belge dans l’objectif de couvrir un maximum de risques (plus la population couverte est grande, plus le système permet de couvrir de risques) et la protéger de toute tentative de privatisation ou de marchandisation. Son financement doit être basé sur tous les types de revenus et pas uniquement sur ceux du travail. Le système doit être attractif pour toutes les classes sociales, y compris les classes moyennes et supérieures afin de garantir l’équité et la solidarité, moyennant une participation de chacun selon ses moyens.
Les inégalités sociales face à la santé ne cessent de croître et la nécessité de s’attaquer aux déterminants de la santé autres que biologiques n’est plus à prouver : citons entre autres la qualité du travail, le logement, l’environnement, l’enseignement, la mobilité. L’Enquête nationale de santé par interview, un rapport de la Fondation Roi Baudouin, ainsi qu’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, en attestent et font des propositions en matière de lutte contre ces inégalités.
Il faudra notamment rendre l’indi-vidualisation des droits sociaux à tous les citoyens (supprimer le statut de cohabitant) et augmenter les minima sociaux pour leur faire rejoindre au moins un montant équivalent au seuil de pauvreté.
Il faut élaborer une « loi santé » [1] qui permette d’évaluer a priori (et non a posteriori) l’impact de toute politique publique sur la santé, et qui organise les possibilités d’interpellation de n’importe quel département par celui qui a la santé dans ses responsabilités. L’évaluation des impacts en santé devra également prendre en compte l’égalité en santé et la lutte contre les inégalités sociales en santé.
Aujourd’hui, la politique de santé est essentiellement aux mains de la santé publique et de l’INAMI (le comité de l’assurance, la « médico-mut »), organes au sein desquels les médecins spécialistes et les mutuelles ont beaucoup de poids. Le politique est donc sans pouvoir réellement déterminant. L’évaluation et la réforme de certains mécanismes décisionnels de politique de santé sont nécessaires afin d’y rééquilibrer les rapports de force entre l’hôpital et l’ambulatoire, entre les généralistes et les spécialistes. Il est impératif, si nous voulons sortir de la logique hospitalocentrée, de rendre au politique un vrai pouvoir d’orientation et de décision, tout en préservant une concertation optimale avec tous les acteurs sur le terrain de la santé.
La situation est préoccupante : on observe d’une part une augmentation de l’espérance de vie, d’autre part l’arrivée de la génération des baby-boomers à l’âge de la retraite. L’important ne sera pas seulement de prolonger leur espérance de vie, mais avant tout d’en augmenter la qualité. Tout en diminuant les coûts, souvent aggravés par des institutionnalisations inutiles ou trop précoces. Une tâche que peut remplir la première ligne de soins qui est compétente pour prendre en charge 80% des problèmes de santé présentés par la population, y compris par les personnes âgées. C’est pourquoi son travail doit faire l’objet de recherches et d’évaluations et bénéficier d’un soutien politique et financier stable lui permettant de déployer son efficacité, y compris dans les soins au domicile des personnes âgées. Corollairement, le système de soins de santé doit être organisé en trois lignes aux tâches bien définies, rationnalisé selon le principe de subsidiarité et donc échelonné. L’application de ces principes impose que tout acte soit réalisé au niveau de soins le plus efficient, c’est-à-dire à compétence et qualité suffisante au moindre coût.
Il n’existe actuellement pas de cadre juridique spécifique aux pratiques de groupe au niveau fédéral. Cela rend impossible l’application de normes de qualité, l’adaptation des différentes mesures visant la première ligne de soins et l’attribution d’un financement spécifique. Les pratiques de groupes multidisciplinaires doivent être reconnues en raison de la plus-value qu’elles apportent à la santé publique. En particulier l’intégration et le financement du secteur psychosocial (à côté des secteurs médicaux, infirmiers et kinésithérapeutiques) est une priorité.
Le calcul du paiement des prestataires qui choisissent de travailler au forfait est actuellement fondé sur une moyenne des prestations des soignants à l’acte avec certaines corrections. Il est indispensable de découpler le calcul du forfait et le travail à l’acte, et donc de réformer ce calcul, car le travail effectué par des équipes multidisciplinaire doit avoir des leviers différents qui permettent une prise en charge adaptée aux besoins des populations desservies. D’autre part, il est illogique que la chute des contacts globaux en première ligne soit répercutée sur le forfait.
Un important virage ambulatoire de la psychiatrie est en cours (projets 107). Les maisons médicales ont une longue expérience en ce domaine et demandent à être associées à ces projets, tant au niveau décisionnel que sur le terrain. Un renforcement du financement de la fonction psycho-sociale au sein des centres de santé intégrée est indispensable.
Dans un contexte de pénurie de généralistes, il est impératif de renforcer l’attractivité de la profession entre autres en revalorisant l’acte intellectuel, en réformant la garde en profondeur. Il faut également évaluer les besoins en médecins et adapter le numerus clausus pour une planification réaliste de l’offre, tant au niveau de la couverture du territoire que des besoins en spécialités.
Dans un contexte de pénurie, il faut revaloriser le métier d’infirmière ambulatoire en développant une spécialité spécifique en soins infirmiers ambulatoire, en reconnaissant et en finançant la formation continue et la mise en place d’une accréditation, en créant un fond de type « Impulseo » pour résoudre les difficultés de recrutement et en revoyant la nomenclature. D’autre part, la formation de base devrait être adaptée aux besoins des acteurs de terrain, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
[1] 1. Loi-santé : voir Santé conjuguée numéro 52
n° 58 - octobre 2011
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...