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Quel est le bon moment pour faire avancer un projet politique ? À quel niveau de pouvoir ? Plus particulièrement en ce qui nous concerne, quelles sont les opportunités pour faire évoluer le modèle des maisons médicales vers des structures plus complètes encore en tenant compte de tout ce qui existe dans l’ambulatoire ?

Régional, communautaire, fédéral : la santé est extraordinairement éparpillée entre l’ensemble des niveaux de pouvoir, ce qui rend les approches globales très compliquées. Dans une atmosphère d’austérité, chacun se retranche derrière ses compétences. Exemples ? Un dialogue impossible entre les régions et le fédéral sur la situation du moratoire dans le secteur des pratiques forfaitaires, ou les précautions oratoires dans tous les avis émis par le Conseil supérieur des médecins spécialistes et des médecins généralistes du SPF Santé publique. Dès qu’il s’agit de suggérer une concertation entre niveaux de pouvoir, la note est renvoyée dans les cordes par le cabinet. Si les Flamands et les Wallons, spécialistes et généralistes, académiques et syndicats médicaux remettent un avis pour lequel ils se sont accordés, impossible de le traduire en décision politique puisqu’on ne peut accepter une idée tellement fédératrice… Dans cette logique, on voit clairement une scission entre ce qui dépendra des soins d’un côté (le fédéral) et de l’aide aux personnes de l’autre1 (les régions). Ce sont pourtant les deux faces d’une même pièce : l’approche en santé. Or le tropisme actuel montre que l’on pousse tout ce qui dépend de l’aide vers la périphérie du système, donc vers d’autres niveaux de pouvoir, voire vers les familles ou vers les patients eux-mêmes. Même si nous croyons profondément, au sein du mouvement des maisons médicales, à la visée émancipatrice, nous craignons que la raison politique principale qui instaure cette responsabilité financière soit de forcer l’austérité vers les plus précaires (aider son conjoint sans rémunération prévue et en diminuant son temps de travail) pendant que le système de marché prend le dessus et condamne les soins à la privatisation, générant le marché une précarité tant financière que psychologique.

Faire et défaire

Patiemment, la logique libérale épuise l’outil mis en place, esquive les acteurs. Elle tacle, brise, brime, méprise tant les professionnels des différents secteurs des soins et de la santé que nos mutuelles, qui sont les deux grands pôles de concertation dans notre système de santé. Le cabinet de la ministre de la Santé s’applique à une reprise en main de la décision politique traditionnellement réglée en grande partie par le système paritaire traditionnel. En effet, à différents endroits de la législature, on voit des textes de loi qui accordent de plus en plus de pouvoir à des acteurs privés, comme dans le secteur pharmaceutique. La tendance lourde est de mettre à mal les syndicats interprofessionnels, notamment. C’est oublier les luttes qui ont permis de construire ce système de concertation entre les différentes parties prenantes de la société. Sur le plan de la démocratie, si la concertation est détricotée, la société civile perd son pouvoir d’influence au détriment des lobbies au service d’enjeux financiers.

Et les transferts de compétences ?

La quasi-totalité des compétences qui devaient être transférées vers les entités fédérées l’ont été. Il reste néanmoins encore énormément de travail pour intégrer toutes ces nouvelles matières dans les administrations, entre autres l’organisation de la première ligne de soins qui revient aux régions. La Wallonie s’en sort moins mal ; elle a réussi à préserver une bonne part de la concertation préexistante, même si les mutuelles ont été renforcées par rapport aux autres interlocuteurs. Cependant, l’administration reste en difficulté face au poids des compétences et elle n’a pas anticipé l’ampleur de la tâche pour les faire fonctionner. Au niveau bruxellois, entre Cocof, Cocom et Cocon, la complication institutionnelle reste la même. Et en Flandre, mutuelles et associations professionnelles sont quasi hors-jeu, à leur grand dam, le politique ayant repris la main sur les décisions concernant les compétences qui lui sont transférées. Un beaucoup plus grand rôle est laissé à l’administration, sans nécessairement de commissions de concertation. Cette réforme n’est sans doute pas la dernière et il est temps que mutuelles, prestataires francophones et politiques réfléchissent ensemble à la suite du programme pour ne plus nous retrouver devant le fait accompli d’une volonté néerlandophone, comme c’est trop souvent le cas. Imaginer notre coup d’après, c’est peut-être imaginer des centres de santé globaux… On voit déjà plusieurs types d’initiatives en Wallonie et à Bruxelles.

Trop proches pour ne pas s’entendre

C’est à la même époque qu’on a vu émerger les centres de santé mentale (1963), les maisons médicales (1972) et les centres de planning familial (1975). Petit à petit, le monde de l’ambulatoire s’est étoffé de centres spécialisés. On parle de l’ambulatoire comme de la ligne de soins 1,5. Elle se situe entre la première ligne et l’hôpital, avec un champ d’action déterminé (contrairement aux maisons médicales, généralistes et qui favorisent la prise en charge globale, la considérant comme un gage de qualité). Mais une frange de la population très désocialisée/désinsérée ne fréquente ni les maisons médicales ni les services de santé mentale. Malgré une attention de tous ces acteurs de soins pour améliorer l’accès aux soins (diminution des tickets modérateurs jusqu’à leur suppression dans les pratiques au forfait, équipe de plus en plus pluridisciplinaire pour répondre à un panel très large de plaintes tant en santé que sociales), il existe encore un fossé important en partie pris en charge par des associations telles que Médecins du monde, Médecins sans frontière. Les premières maisons médicales se sont construites au départ d’une remise en question des pratiques de terrain et on en voit de plus en plus, ainsi que des centres de planning familial, de santé mentale et des consultations ONE, essayer de s’associer sous diverses formes et de trouver des façons de fonctionner malgré des missions parfois difficiles à concilier, de lutter contre les aberrations, contre les règles de fonctionnement créées par différentes instances. Pas simple en effet de faire se rapprocher des critères d’agrément réfléchis segment par segment, différents d’une région à l’autre (décret associations de santé intégrée en Wallonie et maisons médicales à Bruxelles, par exemple) ou du niveau fédéral (règles de subventionnement de l’Inami pour les pratiques forfaitaires).

Changement de paradigme

À l’origine de notre mouvement, il fallait un changement de paradigme entre les lignes de soins, réfléchir au départ de la première plutôt que par réflexe hospitalo-centré classique. Il faut à présent changer de paradigme quant à l’organisation même du monde ambulatoire, arriver à une approche beaucoup plus complète, tant sur les missions que sur les normes d’organisation et de financement. Que le financement vienne de différents niveaux de pouvoir n’est pas un problème en soi. Il faut en revanche améliorer la concertation entre ces niveaux de pouvoir, et que le plus grand nombre s’accorde sur ce que doit être une première ligne de soins : forte, organisée, prête à relever les défis de demain dans un contexte de plus en plus complexe à gérer en matière de santé. Vu l’explosion du nombre de maladies chroniques et des prises en charge à domicile dans le cadre des alternatives à l’hospitalisation, vu le vieillissement de la population, nos modèles doivent s’améliorer. Pas besoin d’audit pour le prouver. Et si, en plus, on rappelle que les soins stricto sensu ne représentent que 15% à 20% de la santé d’un individu, tous les ingrédients semblent rassemblés pour muer vers de réelles approches multidisciplinaires. Il reste encore à trouver le bon moment…

Documents joints

  1. Ceci a été clairement exposé par le cabinet De Block le 5 octobre 2017 à propos de la réforme de l’AR78.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°85 - décembre 2018

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