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De l’aide alimentaire à la santé… Tout un réseau !

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Santé conjuguée n° 75 - juin 2016

Depuis 2013, des maisons médicales et des organisations d’aide alimentaire se sont alliées pour travailler ensemble sur le droit et l’accès à une alimentation de qualité pour tous dans le cadre de l’aide alimentaire. Serge Perreau (coordinateur de l’intergroupe des maisons médicales bruxelloises) et Brigitte Grisar (psychologue, responsable de projets aide alimentaire Fédération des services sociaux) sont des acteurs incontournables de ce partenariat. Paul Hermant les a rencontrés.

Brigitte Grisar, vous vous souvenez de la première fois où vous avez été malade ? BG. J’avais neuf ans, j’avais une jaunisse. C’est la seule et unique fois où j’ai été malade, d’ailleurs. J’étais restée alitée une éternité. Mes amies d’école ne pouvaient pas rentrer dans la maison et mes yeux étaient effrayants. J’en garde un souvenir mitigé… Et vous, Serge Perreau, vous vous rappelez de votre première émotion culinaire ? SP. La première fois que je pars en vacances avec mes parents, c’est à Arcachon où ils s’étaient rencontrés. J’ai 8 ans et je découvre les huitres. Et j’adore. A vrai dire, je n’avais pas très bien compris que je mangeais des animaux vivants. Une expérience presque ultime et la naissance d’un conflit durable… Car voilà bien quelque chose d’intellectuellement inacceptable pour un enfant de cet âge de manger des choses vivantes qui lui paraissent pourtant tellement délicieuses et appétissantes… Cela m’a amené à beaucoup m’intéresser plus tard à la nourriture, à ce qui crée l’appétence, à ce qui fait le goût… Et à me dire que l’on pouvait à la fois être attaché à la cuisine roborative de sa mère et se laisser tenter par des découvertes culinaires plus audacieuses… Ce n’est pas pour rien que je vous demande d’évoquer votre rencontre avec la maladie et la cuisine : voilà que bien des années plus tard, vous vous trouvez liés par la santé et l’alimentation… C’est la Fédération des services sociaux qui a pris l’initiative de cette rencontre avec la Fédération des maisons médicales en 2013. Je me trompe ? BG. C’est bien ça ! De nombreuses questions relevant de la santé se posaient en relation avec l’aide alimentaire : est-ce que les produits proposés sont adaptés ? Comment répondre aux personnes qui ont des besoins spécifiques comme les personnes diabétiques par exemple ? Quelle offre en aide alimentaire est disponible pour les nourrissons ? etc. La Fédération des services sociaux avait envie d’élargir son horizon et de se confronter à des pratiques et à des expériences n’appartenant pas stricto sensu au secteur social. Les maisons médicales figuraient un partenaire possible, d’autant qu’il existait des affinités personnelles et philosophiques. Mais elles représentaient aussi une altérité moins confortable que les partenariats plus classiques réalisés avec d’autres acteurs sociaux : cette opportunité était donc aussi un challenge. SP. De notre côté, nous vivions la situation d’une fédération en pleine croissance – avec une petite cinquantaine de maisons médicales rien qu’à Bruxelles – qui connaissait ce que subissent d’ordinaire les entreprises ou les associations en expansion, à savoir l’éloignement progressif des réalités du terrain. Nous en étions très conscients et y avions répondu en mettant sur pied un intergroupe, une sorte d’organe travaillant sur les territoires, c’est-à-dire sur les proximités. Et puis, il y a eu cette première réunion à l’Entr’Aide des Marolles où, pour la première fois, les gens des maisons médicales ont vu les visages des gens du secteur de l’aide alimentaire. Des voisins, que nous n’avions pourtant jamais pensé rencontrer. Nous avons alors réalisé que la composition d’un colis alimentaire faisait aussi partie de la santé. Alors très vite, nous avons commencé à élaborer une liste de collaborations possibles. Comment la question de l’alimentation était-elle abordée dans les maisons médicales avant la création de ce réseau ? SP. Avec leur approche globale et interdisciplinaire et grâce à une vision de la santé qui n’envisage pas que le curatif, les maisons médicales sont naturellement très attentives aux questions touchant à la prévention. Et dès lors que des pathologies particulières surviennent, les équipes sont à même de faire l’analyse des déterminants sociaux en tentant, par exemple, de lire ce qui se produit dans leur propre environnement, dans le quartier, dans le territoire, dans la manière dont vivent les gens du voisinage. Et l’on sait que s’intéresser aux causes impacte directement la façon dont on traite les conséquences : la santé générale s’améliore si l’on prend en compte l’ensemble des déterminants. La seule limite est celle des moyens que l’on peut mettre en œuvre pour y parvenir et c’est la raison pour laquelle le travail en réseau avec d’autres acteurs est essentiel. Quelle était l’expertise en matière d’alimentation et de santé, à la Fédération des services sociaux ? BG. S’il est évident que chacun peut établir intellectuellement un lien entre l’alimentation et la santé, ce l’est déjà beaucoup moins d’un point de vue concret. Les résultats d’enquêtes que nous avons menées nous ont permis de constater que dans le secteur de l’aide alimentaire l’urgence sociale prime souvent sur toute autre considération. Un colis alimentaire, c’est de l’aide directe qui n’autorise pas de médiation : ça prendrait trop de temps, il s’agit de répondre vite à une demande et à un besoin. Les épiceries ou les restaurants sociaux ont plus d’outils et de moyens pour mettre en place une approche plus intégrée de l’alimentation comme facteur de bien-être. On passe progressivement de ’se nourrir’ à ‘manger’ ? BG. Ça bouge, en tout cas ! Le simple fait d’avoir travaillé sur la composition des colis alimentaires européens, qui étaient composés de choses assez peu équilibrées, était déjà très indicatif. (Ndlr. Voir article Manger, et manger sain!) Dans les maisons médicales, vous rencontrez des pathologies clairement liées à une carence alimentaire ? SP. Pas spécifiquement à la carence, mais aussi à la qualité. Le diabète, par exemple, est l’une de ces pathologies en pleine croissance, clairement favorisée par les choix de vie des personnes, dont l’alimentation est l’une des premières composantes… Comment ça se passe concrètement, la collaboration entre vous ? BG. Tout cela s’organise autour d’un comité d’accompagnement qui oriente et évalue les actions et se réunit quatre fois par an. Mais au quotidien, nous travaillons à un niveau beaucoup plus local. Nous pensions pouvoir travailler sur des zones territoriales assez larges mais nous avons vite compris qu’il fallait nous recentrer sur un niveau strictement communal, presque de quartier, pour permettre aux associations d’être en confiance et de coopérer au mieux. Et ces projets qui naissent localement, il s’agit bien sûr de les accompagner mais aussi de les faire connaitre en dehors de leur territoire. La maison médicale du Maelbeek, par exemple, a organisé des animations sur les contenus des boîtes à tartines qui se sont révélées fort efficaces. Elle en a alors répandu la suggestion et la pratique dans d’autres quartiers et communes de Bruxelles. Hier, cette idée serait probablement restée cantonnée au Maelbeek… Comment ces animations ou ces projets sont-ils reçus par les publics ? SP. En posant cette question, on pose évidemment celle de la participation. Elle n’est pas simple à mettre en place ou à penser et je dois confesser que nous avons encore, dans le secteur des maisons médicales, à nous améliorer. Je dis souvent qu’il s’agit là finalement d’une simple question de préposition : comment passer de la préposition « pour » à la préposition « avec ». Il faut donc soutenir les pratiques plus horizontales et inviter à mettre les savoirs en commun. Mais il faut reconnaître que, même en l’état, cette proposition « venue d’en haut » rencontre de l’intérêt et remporte du succès. BG. Dans l’aide alimentaire aussi ça marche. Je confirme ! Mais c’est en soi tout un enjeu de parler d’alimentation avec des personnes fragilisées car c’est un domaine où les jugements de valeur, les normes ou les culpabilisations peuvent être encombrants. L’alimentation ne peut pas être une source de disqualification de plus pour les bénéficiaires… Mais quelle est finalement cette alimentation équilibrée que vous appelez de vos vœux ? BG. En matière d’aide alimentaire, il faut voir d’où l’on vient et ne pas faire l’erreur de vouloir aller trop vite. Proposer de la qualité et de la variété dans l’assiette est déjà un grand pas. Un peu plus de produits frais et de fruits et légumes, c’est déjà pas mal. Je parlais récemment avec des bénéficiaires d’un centre de service social qui se sont investis dans un groupement d’achat collectif en faisant précisément l’analyse du manque de qualité et de la cherté des fruits et légumes trouvables dans les grandes surfaces réputées pas chères. Depuis, leurs habitudes de consommation ont bougé. Ils ne font plus leurs courses comme avant. Ils ont désormais accès à une information qu’ils utilisent efficacement. Ils ne consomment pas pour autant obligatoirement du bio. Le bio n’est pas l’horizon de cette démarche. SP. Pour moi, manger est un acte politique. On peut être tenté d’édicter des normes idéales du « bien manger », mais c’est un faux problème et une mauvaise solution. Ces normes que l’on met en avant diminuent la capacité d’opérer ses propres choix et donc de s’approprier la part politique de l’alimentation. Travailler sur l’alimentation équilibrée, c’est aussi donner les moyens de comprendre les enjeux. Ce n’est pas répandre de supposées « bonnes pratiques ». Mais c’est permettre de se rendre compte des implications de l’alimentation dans nos comportements sociaux, dans nos relations sociales, dans notre environnement… BG. Oui, et c’est quelque chose que l’on partage tous. Tous, nous mangeons et tous nous avons des difficultés à changer nos habitudes. Est-ce que l’on va aller dire aux plus précarisés qu’ils auraient un devoir de changement alimentaire supérieur au nôtre au prétexte qu’ils sont précisément précarisés ? L’alimentation équilibrée est une proposition, pas une injonction. Quelles sont les choses qu’il vous faut encore réfléchir pour compléter votre action ? SP. Nous devons réfléchir à la production. Il nous faudrait mieux réfléchir aux relations à établir avec les producteurs, même si la Fédération des services sociaux a lancé déjà des initiatives en ce sens. Mais parmi les partenariats nécessaires au développement local, on voit bien qu’il nous manque le secteur privé. Il faut trouver les moyens de mettre les privés de notre côté. Et leur montrer l’intérêt qu’ils ont à développer cette alimentation saine et équilibrée… Une brouette au service de l’alimentation solidaire ! Par Brigitte Grisar, psychologue Depuis le 29 mars 2016, une brouette verte sillonne les rues de Schaerbeek (quartier Dailly) pour livrer des denrées alimentaires au centre de distribution de colis Entraide Saint Albert-Sainte Alice de la Société de Saint-Vincent de Paul et ce, au départ de la maison médicale le Noyer. Cette initiative, appelée « Alimentation solidaire » est née de deux constats : plusieurs patients de la maison médicale bénéficient d’une aide alimentaire et l’Entraide Saint Albert – Sainte Alice a un besoin régulier de nourriture supplémentaire. Alors la maison médicale a lancé son thème de travail pour 2016 : l’accès à une alimentation saine pour tous ! A travers cette thématique, elle propose des activités participatives portant sur l’aide alimentaire, la consommation durable et la lutte contre le gaspillage alimentaire comme des ciné-débats, des visites-découvertes, des séances d’information et une collecte d’aliments. Concrètement, la collecte d’aliments est réalisée auprès des patients de la maison médicale. Ceux-ci peuvent déposer leurs dons dans une brouette, installée dans le hall d’entrée de la maison médicale. Ensuite, l’équipe de la maison médicale achemine ces aliments vers le centre de distribution de colis alimentaires et ce, à raison de deux à trois fois par semaine. Tout don est le bienvenu mais par souci d’hygiène et d’amélioration de la qualité des colis, la maison médicale recommande plus particulièrement des aliments tels que les fruits et légumes de saison, facilement stockables et frais, le poisson en conserve, les produits non transformés et des produits d’épicerie comme le thé, le café, l’huile, etc. Contact et information : Véronique Chalon, anthropologue, accueillante, chargée de projet à la maison médicale du Noyer. De Forest à Saint-Gilles, ces petits plats qui font du lien par Catherine Closson, politologue Depuis l’automne 2014, chaque dernier jeudi du mois, un groupe de Forestois et Saint-Gillois mitonne trois bons petits plats dans la cuisine du café social l’Aire de Rien, puis se régale autour d’une jolie table pour 1 euro symbolique. Ces ateliers cuisine sont nés d’une journée de rencontre entre professionnels de l’aide alimentaire et des maisons médicales organisée par la Concertation Aide alimentaire. L’initiative est aujourd’hui portée par le CASAF, le service social généraliste des Petits Riens et quatre maisons médicales voisines qui mutualisent ainsi leurs moyens et leurs publics. L’objectif est de renforcer le savoir-faire culinaire des participants, en leur faisant découvrir des trucs et astuces pour manger sain à petit prix. Le groupe, hétéroclite et multiculturel, est composé de bénéficiaires du service social et de patients des maisons médicales qui viennent avec leur référent. Si les participants sont si fidèles – « ils ne manqueraient pour rien au monde l’atelier » -, c’est probablement parce qu’ils décident eux-mêmes du thème et des recettes. Pendant le repas, les encadrantes rappellent les fruits et légumes de saison et, sur cette base, le groupe décide collectivement de ce qu’il préparera et savourera le mois suivant. Depuis peu, la présence d’une diététicienne bénévole a également renouvelé l’intérêt des cuisiniers amateurs. In fine, s’il semble que les recettes sont peu reproduites à domicile, le projet a fait émerger deux points forts incontestables : d’une part, la découverte des autres services et d’autre part, l’ambiance conviviale et le lien social qui s’est créé entre les participants. Tandis que certains ont échangé adresses et numéros de téléphone, d’autres ont pris rendez-vous au service social et participent aux activités culturelles organisées par celui-ci. Partenaires : CASAF, Maisons médicales Asaso, 1190, La Perche et Santé plurielle. Contact : Alexandra De Grave – CASAF Les Petits Riens – alexandradegrave@petitsriens.be

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 75 - juin 2016

Prologue

Il y a quelques années encore, dans l’imaginaire de la plupart des citoyens occidentaux, l’aide alimentaire se déployait surtout dans des pays lointains au bénéfice de populations touchées par des guerres ou des catastrophes naturelles. Elle(…)

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- Hugues-Olivier Hubert, Justine Vleminckx