Aller au contenu

La coordination de soins est une dynamique complexe et/ou réjouissante, selon l’angle par lequel on l’aborde.

Réduction de la durée des séjours à l’hôpital, complexification des situations sociosanitaires, malades chroniques, etc., les reports massifs de soins sur la première ligne – sans financement additionnel – rendent plus difficile le travail des professionnels qui la composent. Le manque de moyens alloués pousse les acteurs de terrain à la créativité et aux économies d’échelle en se regroupant, en se concertant, en se coordonnant de diverses manières : autour d’une problématique particulière ou pour construire une approche complémentaire, sur un territoire logique, au sein des équipes pour améliorer les prises en charge. Une coordination de soins nécessite cependant quelques prérequis : se connaitre, savoir collaborer, se détacher de la routine quotidienne pour réfléchir en commun. Son but est d’optimaliser l’offre et de la rendre la plus cohérente possible, de rationaliser et utiliser le potentiel existant, de se soutenir entre professionnels, de soutenir également la qualité, la sécurité et la continuité des soins, de donner de la visibilité aux différentes ressources, mais aussi de se renforcer. Une coordination doit aussi être capable de s’adapter aux problématiques et au profil des bénéficiaires. La pluridisciplinarité permet de faire face à leurs spécificités croissantes, car aucun intervenant n’est aujourd’hui capable de répondre seul à un ensemble de besoins liés à des situations où s’entremêlent questions de santé physique ou mentale et difficultés socioéconomiques. Ce métier – ou cette fonction – cache encore plusieurs enjeux récurrents. Au travers des multiples contributions à cette étude, nous en avons pointé trois : le pouvoir, l’économie et la technologie.

L’enjeu du pouvoir

Créer une coordination de soins signifie-t-il ajouter un niveau hiérarchique à une équipe ou à différents niveaux de territoires ? Si non, peut-on voir cette fonction davantage comme celle d’un facilitateur de lien ? Si oui, ne met-elle pas à mal la philosophie autogestionnaire ? Le fait qu’un leader tranche certains points peut parfois apaiser tout le monde… La hiérarchie rend plus visibles les rapports entre les individus, tandis que dans une dynamique totalement horizontale ceux-ci risquent d’être plus informels, quelquefois plus pernicieux. Une société, un centre de soins intégré, une organisation humaine… sont traversés par des rapports de pouvoir. L’enjeu pour ceux qui les subissent consiste à s’en émanciper. Qu’il soit vu comme facilitateur de liens sociaux ou comme responsable encadrant une équipe de soins, le coordinateur doit poursuivre l’objectif d’émanciper les professionnels autant que les patients des rapports de domination. Il est donc traversé par une vigilance à l’équité et l’égalité dans la dynamique soignante. Plus concrètement, à l’échelle des territoires, on voit que des médecins s’organisent entre eux et avec l’ensemble d’un territoire, à Charleroi par exemple, comme le relate Claude Decuyper. À Bruxelles, des professionnels de la santé ont développé une intelligence de coordination en créant Brusano, une seule et même structure qui bénéficiera à tous les habitants de la capitale. Sans oublier le plan de cohésion sociale de la Ville de Namur, décrit par Aurore Deneffe, qui développe des actions en lien direct avec le droit à la santé. À l’échelle plus globale du système de santé, mieux se coordonner entre les acteurs qui en font partie consiste également à penser les rapports de pouvoir qui le traversent. La création des maisons médicales à la fin des années 70 s’est opérée dans un contexte de conflits entre médecine libérale et médecine sociale. Si ces tensions idéologiques traversent toujours les relations entre professionnels de santé, on peut se réjouir de l’apparition d’espaces de convergence dans la réflexion politique qui se développe entre les différentes professions de santé. En témoigne l’initiative de la Plateforme de première ligne wallonne, analysée par Olivier Mariage.

L’enjeu économique

La Sécurité sociale, qui avait pourtant survécu dans les années 80-90 à l’entrée dans l’ère néolibérale, est aujourd’hui en proie à une forme de marchandisation. Pour preuve la loi de financement de la Sécurité sociale introduite sous la dernière législature qui la transforme en variable d’ajustement budgétaire sur base des besoins du marché économique et non sur base des besoins de santé publique des citoyens. On le voit encore dans la manière dont la ministre de la Santé sortante pioche dans l’argent public – et donc collectif – pour servir le Big Pharma. D’un point de vue macro, la marchandisation des soins de santé (et de toutes les activités et ressources qui permettent une vie digne) va à l’encontre du dispositif de cohésion sociale que promeut la coordination du système de santé telle que l’entend la Fédération des maisons médicales. Ce processus de marchandisation participe à renforcer la concurrence entre les acteurs du système et à établir une médecine à deux vitesses, distinguant les publics capables de se payer des soins de plus en plus chers de ceux qui les reportent (ou y renoncent) pour des raisons financières. Jean-Michel Longneaux l’observe dans son article : dans le chef des responsables politiques, la coordination de soins poursuit une visée de rentabilité. Or, sa mise en œuvre nécessite du temps et des moyens humains. Dans un contexte de surcharge de travail des professionnels de santé (à l’hôpital, dans les maisons de repos, dans les soins à domicile…), tout laisse à penser que ces nouveaux coordinateurs de soins risquent de ne pas être dans de bonnes conditions pour exercer leur métier. Pour la Fédération des maisons médicales, il est évident que la philosophie de coordination de soins ne pourra s’appliquer que dans un contexte de « resocialisation » de l’économie de marché. Cela nécessite un changement de paradigme : la santé des citoyens ne peut être considérée par nos responsables politiques comme un outil financier de rentabilité, elle est un droit fondamental. Quand une fonction collective comme la santé est considérée comme un droit fondamental, cela signifie que l’argent des citoyens (leurs impôts, leurs cotisations sociales, leurs revenus) est alloué à leur santé et non perdu dans le marasme de la finance (faut-il rappeler que les grandes entreprises pharmaceutiques sont cotées en bourse ?). Mieux coordonner le système de santé consiste à l’organiser de manière intégrée : une prise en charge sociosanitaire globale et préventive en première ligne impacte positivement la réduction des coûts en seconde ligne.

La technicisation de la santé

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne cessent de se développer, pour le meilleur comme pour le pire. Benjamin Fauquert explique avec précision comment des outils tels que le dossier médical informatisé et la plateforme e-health permettront d’assurer une meilleure communication des informations médicales entre les professionnels de santé et un suivi thérapeutique transdisciplinaire de meilleure qualité à travers le temps. De son côté, Jean-Michel Longneaux observe comment la technologisation des techniques de soins renforce la surspécialisation des professionnels de santé avec le risque de perdre la vision globale et d’ensemble. La coordination de soins devient alors cruciale. Enfin, l’informatisation permet la récolte de données statistiques de santé publique, sociologiques ou encore économiques. Aujourd’hui, le chiffre est devenu incontournable en politique. La Fédération des maisons médicales sensibilise les professionnels de terrain à l’importance de l’encodage des données statistiques et anonymes de leurs patients, pour faire évoluer la science et la société. Toutefois, il ne faudrait pas que cette évolution se fasse au détriment de l’humanisation de la relation thérapeutique.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°89 - décembre 2019

Coordination de soins et enjeux de société

La coordination de soins est une dynamique complexe et/ou réjouissante, selon l’angle par lequel on l’aborde. Réduction de la durée des séjours à l’hôpital, complexification des situations sociosanitaires, malades chroniques, etc., les reports massifs de soins(…)

- Fanny Dubois

Coordonner ? Bien sûr. Mais comment ?

Il n’est plus à démontrer que les soins doivent être coordonnés, que ce soit à l’échelle d’une maison médicale ou d’un service ou encore entre services au sein d’un même hôpital, quand ce n’est pas entre(…)

- Jean-Michel Longneaux

Perspectives politiques en Wallonie

La déclaration de politique régionale du nouveau Gouvernement wallon est porteuse d’espoir pour l’avenir de notre système de santé. On y lit, entre autres, qu’« une organisation territoriale de l’offre d’aide et de soins sera définie(…)

- Dr Olivier Mariage

Informatique, information, communication et coordination

Dossier informatisé, e-health box, hubs, serveurs de résultats… Quels sont les enjeux de ces outils de l’e-santé sur la coordination ? Le prisme de l’informatique montre les différents niveaux de communication nécessaires pour parvenir à une(…)

- Dr Benjamin Fauquert

Une fonction tout en nuances

Cohérence, mais aussi collaboration interne et externe avec de nombreuses structures, mutualisation des services, rassemblement des forces, complexifi cation des situations à domicile, précarisation et vieillissement de la population, raccourcissement de la durée des hospitalisations, pénurie(…)

- Pascale Meunier

La stratégie de coordination des SyLoS

La notion de système local de santé – ou SyLoS – mis en place notamment à Malmedy trouve sa source dans des expériences de coordination menées en République du Congo et en Amérique du Sud.

- Van der Vennet Jean

Ouvrir plusieurs portes en même temps

Avec son plan de cohésion sociale et l’ensemble des actions de son service de cohésion sociale, la Ville de Namur vise l’amélioration de la santé de ses habitants, en particulier les plus fragilisés.

- Aurore Deneffe

Référent de proximité

La fonction de référent de proximité vise à faire de chaque professionnel un levier potentiel pour mettre en lien un patient avec les ressources locales dont ce dernier a besoin, selon une approche centrée sur ses(…)

- Gaétane Thirion, Maguelone Vignes, Mirjam Amar

Construire ensemble la première ligne de demain

Que font les services intégrés de soins à domicile, la plateforme de soins palliatifs, le réseau multidisciplinaire local ? Leurs domaines d’intervention restent flous ? Vous ignorez si vous êtes concernés par leurs services ? Afin(…)

- Aline Godart, Maguelone Vignes, Valentine Musette

À l’échelle d’une zone de soins

Depuis plus de trente ans, les acteurs de soins carolo se soucient de la cohérence de l’organisation des soins de santé ambulatoire de leur région.

- Claude Decuyper

Une fonction charnière de l’accompagnement à domicile

La Fédération des centres de services à domicile (FCSD) du réseau Solidaris regroupe huit centrales de services à domicile (CSD) et sept services associés. Elle opère sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles avec environ 3(…)

- Pauline Monnier, Sophie Pirlot

Pourquoi faut-il se parler autant ?

D’où vient cette fureur de la collaboration ? Et quelle est encore la place des prestataires et des patients dans ces systèmes complexes ? Est-ce qu’on manque la cible ?

- Hélène Dispas

Introduction

Le système des soins de santé belge est traversé par une série d’acteurs qui ont eux-mêmes plus ou moins de pouvoir en fonction de différentes variables (la couleur politique des ministres de la Santé, la période(…)

- Fanny Dubois

Un couteau suisse

La coordination de soins en maison médicale, c’est un métier, une fonction, parfois un mandat. Qu’est-ce que cela implique ? C’est ce qu’explique Joanne Herman. Elle occupe ce poste depuis cinq ans à la maison médicale(…)

- Ingrid Muller

Aux noms de la coordination de soins

Les travaux concernant la coordination des soins sont nombreux. Pour ne citer que le moteur de recherche PubMed, on passe de quelques dizaines de travaux par an jusqu’en 1990 pour arriver, rien qu’en 2018, à près(…)

- Christiane Duchesnes, Jean-Luc Belche, Laetitia Buret

Les pages ’actualités’ du n°89

Momentum

Le 23 novembre, l’assemblée générale de la Fédération des maisons médicales a voté à une très large majorité les nouveaux critères pour en être membre. C’est l’aboutissement d’un long processus démocratique impliquant de nombreuses maisons médicales(…)

- Fanny Dubois

Une boussole vers l’émancipation ?

Entre le flux d’informations catastrophiques, les manifestations qui semblent sans effet et l’accumulation des constats sur l’accroissement des inégalités, nous pourrions tous hésiter entre l’angoisse, le pessimisme ou les initiatives de résilience limitée proposées par les(…)

- Dorothée Bouillon

Le cri d’espoir des médecins bruxellois

En 2018, la Fédération des associations de médecins généralistes de Bruxelles (FAMGB) avait tiré la sonnette d’alarme dans un Livre noir comprenant douze revendications pour davantage de soutien des médecins généralistes dans le domaine des soins(…)

- Christophe Barbut, Gwendoline Hoven

Christie Morreale : « Nous devons optimiser l’offre locorégionale, la proximité et l’efficacité de la première ligne. »

Dans sa déclaration de politique régionale 2019-2024, le Gouvernement wallon indique vouloir définir une vision à long terme de la politique sociale et de santé. Il souhaite, entre autres, répondre au défi qu’est « l’accès à(…)

- Christie Morreale, Pascale Meunier

« Théâtre en santé », un atelier pour se découvrir et se révéler

Un atelier théâtre en maison médicale ? Eh oui, il trouve sa place dans nos activités de promotion santé et de santé communautaire. La santé avec un grand S, le bienêtre, le bien-vivre avec les autres,(…)

- Julie Walravens, Séverine Declercq

Rester soudés

Le modèle des maisons médicales est une alternative cohérente et juste à un système de soins encore fortement hiérarchisé, inégalitaire, qui se marchandise un peu plus à chaque législature. C’est aussi un mouvement complexe.

- Fanny Dubois