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Christie Morreale : « Nous devons optimiser l’offre locorégionale, la proximité et l’efficacité de la première ligne. »

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Santé conjuguée n°89 - décembre 2019

Dans sa déclaration de politique régionale 2019-2024, le Gouvernement wallon indique vouloir définir une vision à long terme de la politique sociale et de santé. Il souhaite, entre autres, répondre au défi qu’est « l’accès à la santé pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire ». Nous avons demandé à Christie Morreale, la nouvelle ministre wallonne de la Santé, ce qu’elle comptait mettre en oeuvre pour y arriver.

La Wallonie est actuellement divisée en une douzaine de zones de première ligne, qui correspondent à des réalités démographiques, géographiques et socioéconomiques. On voit par ailleurs que les sept futurs réseaux hospitaliers proposés ne concordent pas avec ces zones. Comment garantir dès lors la cohérence et la bonne coordination entre l’hôpital et l’ambulatoire ? Les zones de soins se sont construites progressivement sur base de besoins réels. Les futurs réseaux doivent garantir des soins pérennes, accessibles, innovants et de qualité. L’enjeu majeur des prochains mois est double : accompagner le virage ambulatoire hôpital-domicile et renforcer l’articulation entre la première et la seconde ligne. Pour y parvenir, nous devons optimiser l’offre locorégionale, la proximité et l’efficacité de cette première ligne. Il faut aussi garantir une communication optimale entre les partenaires de soins, et aussi bien évidemment avec les patients. L’échéance pour la constitution de ces réseaux hospitaliers est prévue pour la fin décembre. Est-ce réaliste ? Les textes ont été finalisés. L’appel à projets a été envoyé et les dossiers devront être rentrés pour la fin décembre. Nous allons tenir les délais de mise en place. Quels sont les éléments majeurs constitutifs de la politique de santé que vous comptez mener en faveur des Wallons ? Le fil conducteur doit être l’accessibilité des soins pour tous et la lutte contre les inégalités de santé. Mes priorités en matière de santé sont tout d’abord la prévention et la promotion de la santé : si on veut retarder la perte d’autonomie, il faut agir en amont. Selon le rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé, le KCE, sur la performance du système de santé, certains indicateurs sont à améliorer, notamment le taux de dépistage de certains cancers et particulièrement pour les personnes de niveau socioéconomique plus défavorisé. Ensuite, la création du nouveau modèle de protection sociale en Wallonie tout en confortant et en finalisant la sixième réforme de l’État. Il est primordial de renforcer la première ligne d’aide et de soins. Dans ce modèle, la complémentarité inter hospitalière (dans le cadre des réseaux locorégionaux notamment), la pluridisciplinarité, la transdisciplinarité, l’articulation entre première et deuxième lignes, les échanges de données sont des maitres mots. Le patient est au cœur du processus. L’hôpital est un maillon de la chaine. Il s’articule avec les soins primaires en amont et avec les soins de réadaptation en aval (maisons de convalescence, hôtel de soins…). Ma troisième priorité est la santé environnementale. Je suis sensible à la réduction de l’exposition des citoyens aux substances chimiques, en particulier les perturbateurs endocriniens. On découvre en effet tous les jours de nouveaux impacts de l’environnement sur la santé, comme celui des particules fines sur le développement du diabète de type 2. La santé mentale fait également partie de mes préoccupations. L’évaluation de la réforme « psy 107 » est annoncée. Sous-entendu : elle ne répond pas aux besoins qui augmentent dans ce secteur et, surtout, ses acteurs de première ligne ne disposent pas d’assez de moyens. Quelles sont les priorités du Gouvernement wallon en matière de santé mentale ? La mise en place de la réforme des soins de santé mentale pour adultes « psy 107 » va fêter ses dix ans et nous souhaitons analyser, en coopération avec tous les acteurs impliqués, les éventuelles pistes d’amélioration pour garantir une continuité dans la prise en charge des soins des patients en Wallonie. Aujourd’hui, 20 à 25 % de la population souffre de troubles de santé mentale. Le taux de suicide est plus élevé en Wallonie que dans le reste de la Belgique, et aussi par rapport aux autres pays européens. Permettre aux différents publics d’accéder à des soins de santé mentale de qualité est un enjeu majeur pour notre société. L’AVIQ – l’Agence pour une vie de qualité – réalise actuellement un cadastre de l’offre de services en Wallonie afin d’accroitre leur visibilité, mais aussi pointer les territoires où cette offre est insuffisante. L’accessibilité, entre autres pour les populations les plus pauvres, n’est pas toujours aisée non plus en fonction des lieux de résidence. Dès 2020, je souhaite mettre en place des Assises de la première ligne de soins avec les différents acteurs impliqués, parmi lesquels les patients et les associations représentatives. Ce travail dans le secteur de la santé mentale s’effectuera à travers une réflexion globale et transversale. Les politiques des prochaines années doivent être en cohérence avec les besoins de la population. L’organisation des soins, et notamment de santé mentale, devra faire face à de nombreux défis : la poursuite et le développement des réseaux, la réorganisation des bassins hospitaliers, l’évolution et l’intégration des matières reprises lors de la dernière réforme de l’État au niveau des politiques régionales, etc. Le travail en silo parfois observé selon les matières et les méthodes de financement n’est pas toujours efficient… Les professionnels de terrain sont en demande de plus de transversalité dans les politiques en vigueur aux différents niveaux de pouvoir. Il me semble important de pouvoir réaliser un instantané de l’état de la première ligne de soins afin de mettre en œuvre des pistes d’actions concrètes en concertation avec les professionnels, les associations de patients, les différentes fédérations et les administrations concernées pour en dégager une feuille de route et éventuellement des financements nécessaires. En fonction, nous travaillerons les réglementations et les protocoles en vigueur et je serai attentive à l’amélioration du décret des services de santé mentale. Quid des enfants et des adolescents ? Il est essentiel d’accentuer leur prise en charge en soutenant les initiatives existantes ainsi que les nouvelles politiques de santé mentale pour enfants et adolescents qui ont dans leurs missions le développement d’équipes mobiles de soins de crise ou de longue durée, l’échange et la valorisation des expertises entre les professionnels, et ce afin d’éviter les ruptures dans les processus de soins. En effet, la santé mentale n’est pas l’affaire d’un secteur et cela s’observe davantage encore dans le monde de l’enfance et de l’adolescence. Les souffrances psychiques sont de plus en plus précoces et il est nécessaire de réunir l’ensemble des professionnels dans les processus d’observation et de détection des problématiques afin d’accroitre les politiques de prévention. Il en va de l’amélioration de la santé psychique de nos enfants, mais également des familles souvent démunies face à des problématiques de plus en plus complexes. Le Gouvernement entend aussi accorder une place aux usagers. Comment envisagez-vous leur participation aux politiques de santé ? Les usagers doivent être considérés comme des partenaires dans la relation patient-prestataire. Il faut entrer dans une véritable dynamique participative. Le patient devient un acteur de société. De telles initiatives existent déjà. C’est le cas par exemple au Centre hospitalier universitaire de Liège qui a mis en place un comité de patients consultés pour les matières qui les touchent. Un autre exemple intéressant de décisions participatives émane de certains établissements d’accueil et d’hébergement pour aînés qui favorisent ces modèles dans le respect des habitudes de vie des résidents. Un des axes sur lesquels nous pouvons aussi intervenir est celui de la littératie en santé. La littératie en santé est un concept multidimensionnel et assez complexe qui s’intéresse aux capacités des individus à comprendre, évaluer et utiliser les informations utiles pour la prise de décision en matière de soins de santé, de prévention des maladies et de promotion de la santé. Elle est reconnue comme un déterminant important de la santé. Le Gouvernement s’engage à renforcer et encadrer l’offre de première ligne d’aide et de soins en favorisant le développement des pratiques multidisciplinaires de première ligne dans les communes wallonnes ainsi que l’installation des maisons médicales (aussi appelées associations de santé intégrée ou ASI). Comment soutenir concrètement leur création ? Il s’agit de renforcer l’accessibilité géographique et l’accessibilité financière ! J’entends ainsi accentuer l’offre de première ligne – médecins généralistes, maisons médicales, centres de planning familial – et veiller à un renforcement des liens entre ces intervenants et les soins spécialisés, parmi lesquels évidemment les réseaux hospitaliers et les soins de santé mentale. Les maisons médicales sont des modèles qui rencontrent des avantages multiples : ce sont des services de proximité, souvent gratuits pour le patient, qui rassemblent différents spécialistes et proposent plusieurs services. Elles assurent aussi des missions de promotion de la santé, en matière d’alimentation, de sport, d’hygiène de vie et de dépistage, par exemple. Aujourd’hui, nous devons travailler pour implanter des maisons médicales dans les zones où les indicateurs d’inégalité sont très élevés, mais aussi en zones rurales. Pour améliorer l’accès aux soins, je rappelle que je lancerai très prochainement les Assises de la première ligne. À travers ce projet, l’idée est de dessiner ensemble et de construire, avec les acteurs de terrain, l’offre de santé de proximité de demain en Wallonie. Il est aussi question de soutenir le fonctionnement des ASI. Le financement attendu par le terrain de la fonction psychosociale, assistants sociaux ou psychologues, est-il en vue ? Le rapport du KCE sur la question d’une « psychologie de première ligne » préconise un premier niveau large et sans condition d’accès avec une limite à cinq séances. L’objectif est de régler rapidement les situations nécessitant une intervention courte et de détecter précocement les personnes réclamant des soins plus soutenus ou spécialisés. Ces recommandations doivent s’inscrire dans la réflexion large que nous voulons mener en concertation avec le secteur, les maisons médicales et les centres de planning familial, notamment. Le but est de conjuguer les efforts et l’expertise de chacun. En ce qui concerne les assistants sociaux, il est indispensable de les associer dans une prise en charge globalisée du patient. La création des centres de coordination de services à domicile a cette vocation. Il est indispensable de les impliquer également dans cette nouvelle dynamique transversale que je veux instaurer. Le budget des soins de santé proposé par la concertation sociale n’est pas passé au Conseil général de l’INAMI, l’arrêté royal relatif aux maisons médicales au forfait est en stand-by, l’horizon d’une coalition entre Francophones et Flamands ne se dessine pas… Qu’en pensez-vous ? Je partage la déception que suscite la non-approbation du budget au vu des efforts que les différents acteurs de santé ont déployés. On est devant une grande incertitude. Le PS souhaite obtenir des avancées au niveau du financement et de l’équilibre de la Sécurité sociale ainsi que de l’accessibilité des soins pour tous. Nous nous opposons à tout recul dans ce domaine. Cela fait partie de notre ADN.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°89 - décembre 2019

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