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Ce qui caractérise et définit le travail d’accueil en maison médicale


Santé conjuguée n°84 - septembre 2018

Entre février et mai 2017, le Groupe Accueil de la Fédération des maisons médicales a interrogé les accueillantes sur leur réalité de terrain, leur vison du métier et ce qui le dynamise. 206 personnes issues de nonante maisons médicales ont participé à cette étude quantitative à laquelle se greffe une dimension co-construite et partagée de l’analyse et du sens donné aux interprétations des résultats.

Au moment de la recherche, nous dénombrions 107 maisons médicales et le secteur accueil représentait 460 contrats1. Nous avons à plusieurs reprises fait part de nos résultats aux participantes en prenant soin par la même occasion de récolter à nouveau leur avis sur les tendances dominantes, ce qui nous a permis de mieux comprendre ce qui en ressortait, au plus proche et dans les mots de celles qui occupent cette fonction. J’ai par ailleurs été personnellement amené à devenir accueillant le temps de quelques remplacements, lors d’observations participantes ou tout simplement lorsque, pour l’usager, ma présence se confondait avec celle de l’accueillante en poste. Les propos des accueillantes ont été enregistrés, retranscrits et conceptualisés en savoirs. Des retours successifs leur ont aussi donné l’opportunité d’étayer leurs considérations, d’aller plus loin dans leur propre élaboration, de donner un sens toujours plus construit et critique à leur pratique et à ce qui la définit. Nous avons été exposés à une surabondance de données polymorphes impossibles à traiter ici dans leur entièreté. En voici donc les principales.

Normes floues et activités hybrides

Plus de la moitié des répondantes exercent un deuxième métier, reconnu, dans leur maison médicale : action en santé communautaire (17,1%), secrétariat (12,8%), gestion (11,8%), assistante sociale (6,4%), soins infirmiers (4,8%), coordination ou animation (3,7%), comptable (2,7%), psychologue (1,1%), médecin (0,5%), coordination de soin (0,5%). Les contrats ne nous renseignent pas avec fiabilité sur la réalité du travail exécuté par ces employées, qui insistent d’ailleurs sur l’hybridité de leurs fonctions. Certaines combinent l’accueil avec d’autres activités : action en santé communautaire (49%), prévention (27%), facturation (24%), animation (18%), comptabilité (12,5%), nettoyage (10%) ou épidémiologie (2,5%). L’accueil en maison médicale, et plus largement en social-santé de l’ambulatoire, dépasse souvent l’imaginaire, relativement minimaliste, que nous pouvons en avoir. Selon le cadastre de la Fédération des maisons médicales, 47% des accueillantes disposent d’un certificat d’études secondaires supérieures (CESS) ou d’un niveau inférieur, et 53% sont diplômées de l’enseignement supérieur. Notre échantillon correspond à ce ratio. Nous avons recensé cinquante-deux diplômes différents, les plus fréquents étant : assistant social, sciences humaines et sociales, psychologie, éducateur et infirmier. Autant de titres et de niveaux de formation qui constituent la richesse et la variabilité des profils, et qui déterminent aussi les manières singulières d’exercer le métier d’accueillante en maison médicale. Les répondantes travaillent seules à l’accueil (28%), seules ou à deux en fonction des disponibilités (42,5%), seules ou à deux ou à trois en fonction des disponibilités (11%), à deux/à deux ou à trois en fonction des disponibilités (3%). 15,5% se disent dans un modèle autre. Les barèmes de rémunération variaient de 1.12 à 1.80, mais il s’agit le plus souvent (45%) du barème 1.55 recommandé par la Fédération des maisons médicales. À cette diversité formelle s’ajoute une diversité conceptuelle de ce qui caractérise le métier dans sa dimension relationnelle avec l’usager, avec le secteur accueil et avec le reste de l’équipe. Des accueillantes voient dans le contact avec le public une source de tension tandis que d’autres en font une ressource pour valoriser leur travail. En dépit des discours bienveillants du secteur, le travail relationnel ne bénéficie que d’une faible reconnaissance professionnelle, ce qui nourrit une ambivalence dans les rapports que l’accueillante entretient avec les usagers. Cette dimension relationnelle engage indéniablement la part la plus audacieuse des savoirs et savoir-faire de l’accueil. L’absence de normes professionnelles concernant cette dimension fait de l’accueil une potentielle source de pression et d’inconfort ou l’objet de conflits au sein des équipes. La proximité relationnelle des accueillantes avec les usagers se fait souvent aux dépens d’une plus grande disponibilité pour le reste de l’équipe. 45% des accueillantes se disent en désaccord avec leur équipe sur ce qui définit leur métier, la cause première étant cette dimension relationnelle du métier. Or, le soutien collectif, souvent générateur de balises, face à la pression et à la violence possiblement présentes dans ce lieu de première rencontre, permet à l’accueillante d’assumer sa fonction essentielle d’ouverture du lien avec plus d’assurance, de cohérence, et de ne pas se bunkériser derrière son comptoir lors de situations complexes à gérer.

Formation et culture professionnelle

La formation détermine un rapport au monde et façonne les imaginaires communs de corps de métier jusqu’à en faire des coopérations plus ou moins fortes, légitimes ou reconnues, façonnant ainsi une culture professionnelle cohérente. 18% des accueillantes estiment avoir été formées à l’accueil avant leur entrée en fonction, et 57% après. Ces chiffres sont d’autant plus réjouissants qu’ils donnent lieu à une certaine culture technique propre, dans ce qui définit et met en mots leurs pratiques, même si celles-ci font débat. Pour la majorité d’entre elles, il s’agit de la formation organisée par le GAF2. Lors des Assises de l’accueil organisées en 2014 par le GAF, une définition de la fonction d’accueil en maison médicale a été votée. Il semblait nécessaire de la soumettre à nouveau aux accueillantes. Cette description de fonction a été décortiquée en treize points. Dans quelle mesure s’y retrouvaient-elles (ou non) trois années plus tard ? -Décoder la demande, la traiter et y répondre dans la mesure du possible, la réorienter le cas échéant : 98%. -Informer les usagers sur les différents services de la maison médicale : 95%. -Contribuer au bon fonctionnement et à l’organisation générale de la maison médicale : 92%. -Instaurer un lien de qualité entre l’usager et le monde des soins de santé primaires et ses protagonistes : 89%. -Contribuer à « prendre soin » de l’usager, à sa prise en charge et à son accompagnement : 88%. -Faciliter et organiser l’accès à la maison médicale : 80%. -Être une fonction potentiellement complémentaire à la relation soignant-soigné : 76%. -Transmettre des valeurs, celles de votre maison médicale et/ou de la -Fédération des maisons médicales : 74%. -Faciliter et organiser l’accès à la maison médicale : 72,5%. -Contribuer à la gestion et la résolution de conflits entre usagers et soignants : 57%. -Informer les usagers sur leur droit : 55%. -Contribuer à la mission d’observatoire de la santé des maisons médicales : 54,5%. -Être une fonction de santé à part entière : 47%. À l’exception de la fonction de santé (à mettre en balance avec celle du « prendre soin de » qui atteint 88% de réponses positives), la majorité des répondantes se retrouve largement dans la plupart des éléments de cette définition. Les accueillantes ont également eu la possibilité de s’exprimer librement, par écrit, sur ce qui définit la fonction. Plusieurs termes sont récurrents : écoute (41), relation (25), confiance (23), accompagner (21), aide (19), polyvalence (18), administratif (16). La fonction ne manque pas de langage commun, même si nous estimons qu’elle pourrait davantage s’étayer dans les concepts du care3 et de la relation d’aide.

Entre expertise et non-expertise

Certaines accueillantes assimilent davantage leur fonction à une dimension administrative, contribuant clairement au « prendre soin de », mais pas en tant que fonction de santé à part entière. Pour d’autres, l’accueil ne relève pas d’une fonction de santé (au sens d’une forme d’expertise en santé) mais plutôt de ce que l’on pourrait assimiler à de la relation d’aide. La relation d’aide doit être considérée à la lumière de l’étymologie du terme « aide » (adjutare et juvare), qui suppose l’acte d’épauler, de collaborer ou d’assister quelqu’un en difficulté. C’est renforcer l’autonomie de la personne sans s’interdire de l’accompagner. « L’accueil, c’est un espace de rencontre entre deux personnes au sein d’une structure, chacune libre, responsable, qui posent leurs propres limites, pour répondre ensemble au besoin exprimé par l’usager », explique une accueillante. Une autre : « C’est déconstruire, à travers une relation d’égalité, le statut élitiste de la médecine dans notre société, la désappropriation de sa santé, la dépendance vis-à-vis des soignants ». Autrement dit, démédicaliser certains problèmes de santé. C’est donc aussi, en quelque sorte, sortir de la fonction de santé experte pour promouvoir l’échange d’égal à égal et générer « une plus grande proximité liée au statut et au langage commun moins technique que celui du personnel de santé », comme le défend une autre. Ces témoignages illustrent un positionnement qui ne relève paradoxalement pas de la fonction de santé ; ces accueillantes n’ont d’ailleurs pas approuvé cette dimension de la fonction, valorisant une relation d’aide qui cherche moins à objectiver les phénomènes qu’à les comprendre à partir d’une interaction horizontale. La légitimité du travail d’accueil repose alors sur une certaine capacité à entrer en « congruence »4 avec les usagers. Dimension fondamentale de la relation d’aide, la congruence relève de cet équilibre fragile entre expérience, conscience et communication. Cet exercice relationnel et introspectif est le plus souvent guidé par des objectifs en termes de santé globale et d’action en santé communautaire. Il s’agit de contribuer à renouveler les capacités de l’aidé à se réaccorder avec lui-même dans des normes de vie impactées par le désordre de la pathologie. Il faudrait encore gagner en connaissance et en reconnaissance dans cette perspective. Cela nous permettrait sans doute de lui garantir un idéal professionnel formel à la hauteur de ce que l’on peut observer sur le terrain.

Consolidation

Il est à craindre qu’à terme la culture professionnelle des accueillantes ne soit plus qu’une culture refuge, la maintenant – au sens de Chauvière – dans un processus de « professionnalisation inachevée »5. Elle devient en outre une activité de plus en plus subordonnée aux employeurs et perd régulièrement en recevabilité au profit d’autres secteurs ou dispositifs. C’est dans ces espaces de vitalités normatives et conceptuels qu’une culture de l’accueil trouverait la matière qui lui permettrait de se consolider, en restant imaginatif et en renforçant ainsi le droit des accueillantes à un espace d’appréciation responsable. Dans un contexte où la dénonciation des inégalités objectives cède le pas à la mise en évidence des carences et des incompétences individuelles, l’accueil, porté par le paradigme de la relation d’aide, devrait pouvoir être apprécié à sa juste valeur potentielle. Enfin, il faut admettre qu’il ne peut y avoir homogénéité, uniformité d’attention et d’attitude envers l’usager, et que la relation d’aide ne relève pas de la même responsabilité que la lutte rationnelle contre la maladie. Pour autant, l’une ne doit pas être favorisée, car elles sont intrinsèquement liées et nous aurions tort de ne pas le reconnaître.

Documents joints

 

  1. Dont 132 sont des contrats de moins de six mois, de remplacement ou de bénévolat, rendant la récolte plus compliquée.
  2. D’autres formations sont proposées par la suite : communication, gestion du stress, du confl it, bureautique. Elles sont organisées par le GAF avec le soutien de l’Association des fonds sociaux fédéraux et bicommunaitaires (Fe-BI) et de la Fédération des maisons médicales.
  3. Voir A. Loute, p. 22.
  4. C. Rogers, Le développement de la personne, Dunod-Inter Edition, 2005 (1961).
  5. M. Chauvière qualifiait d’ « inachevée », d’à « rebours » la professionnalisation des éducateurs en France, face à laquelle les acteurs de terrain doivent reprendre les rênes sur ce qui les définit, abordant par-là les mêmes problématiques et questions liées aux professions du secteur sociale santé. « Peuton parler d’une culture professionnelle des éducateurs ? », in Sociétés et jeunesses en difficulté, n°7 Printemps 2009.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°84 - septembre 2018

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