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Ce que nous révèle le manque d’une politique de soins de santé primaires


Santé conjuguée n° 37 - juillet 2006

Qu’est-ce qu’un sociologue qui travaille sur les problèmes d’emploi et les actions urbaines a à dire sur les soins de santé primaires ? Des choses diverses qui ne se combinent pas nécessairement les unes par rapport aux autres. D’abord, que c’est un problème de définition. Ensuite, que c’est un problème de coordination et de qualité. Enfin que c’est un problème de santé publique plus que de politique de soins qui interroge des modes de participation.

Qu’est-ce qu’on entend par « soins de santé primaires » ?

Qu’est-ce qu’on entend par « soins de santé primaires » ? Le fait de pouvoir rester dans son quartier quand on a une mobilité réduite ou de rester chez soi quand, à plus de 70 ans, on n’a pas envie – ou pas les moyens – d’aller vivre en maison de retraite. Le fait de ne pas fumer dans les espaces publics, d’avoir une consommation d’alcool modérée, de maîtriser sa manière de manger de façon diététique sans faire des régimes à répétition. Le fait aussi de pouvoir se reposer par rapport à un rythme de travail de plus en plus marqué par la flexibilité et générateur de dépression, stress, etc. Soit une infinité de pratiques quotidiennes qui nous amènent souvent à nous « sentir responsable », à chercher en tout cas à éviter la cohorte des accidents – diabète, hypertension, problèmes cardiovasculaires, obésité, … – qui nous font entrer dans des circuits de soins et leurs différents référents : médecin généraliste, kinésithérapeutes, spécialistes divers. Ici, les soins de santé primaires posent vraiment un problème parce que la question tient toute entière dans un manque : qui fait le lien pour assurer une unité non pas de traitement mais de vie ? La question est plus anthropologique par rapport au maintien de son corps qu’elle n’est médicale. Certains pensent d’ailleurs que les soins de santé primaire sont sans consistance et qu’ils relèvent des différentes maladies imaginaires qui semblent prendre pied dans la culture du nouveau capitalisme. Nous sommes alors renvoyés à nous-même soit sur le mode de l’injonction « faites donc attention à votre santé », soit sur le mode du traitement en tranche. Au-delà du problème de définition qui engage toujours à mettre l’accent sur les risques des situations de travail, de loisirs, de vie commune, il faut bien admettre que les soins de santé primaires ne font pas l’objet d’une valorisation ni technique ni scientifique. Qui s’en préoccupe mis à part chacun de nous en faisant attention à sa santé ? C’est bien ici le deuxième problème.

Un problème de coordination et de qualité

C’est celui de la coordination et de la qualité qui renvoie à des pratiques institutionnelles et professionnelles. Car c’est plus dans l’ordre des souhaits divers que les soins de santé primaires apparaissent. Comme la nécessité d’une collaboration dans le maintien de la diversité des institutions et des services tout en mettant en évidence le maquis institutionnel où personne n’est à même ni d’expliquer les modes de subventionnement ni de mettre en perspective ce que produisent les missions des différentes institutions. Ainsi, il n’y a pas de définition substantielle de ce qu’est un réseau de soins de santé primaires si ce n’est qu’il suppose une mise en complémentarité des différents segments qui sont censés le composer. On pourrait dire qu’un réseau est toujours à géométrie variable mais que sa mise en œuvre est révélatrice des rapports de force. Ici, c’est l’affaire d’une ré-articulation de l’architecture des interventions à partir d’une interrogation sur les ECHELLES d’action – celle de la personne qui vit une situation de handicap, celle de son entourage familial ou amical, celle des institutions existantes et de leurs missions (plutôt que de leur offre), celle du quartier, celle du bassin d’emploi… Comment s’articulent ces échelles autour d’un travail séquentiel qui vise à répondre au différentiel de situation de handicap, telle est la question majeure à laquelle il faut répondre, au-delà du outreaching ou, plus simplement, de l’intention de « traiter le problème là où il se pose ». Avant de parler de « pool de personnel », de mise en réseau, il semble impératif de devoir s’interroger sur les jeux d’échelle – et les rapports de domination dont ils sont porteurs – pour clarifier la multiplicité des intervenants. Une remarque (pas innocente) : l’Organisation mondiale de la santé cherche à développer le réseau des villes-santé. Cette option est peu présente en Communauté française. Pourquoi ne pas envisager les apports d’un tel projet qui repose sur une coordination des projets et des actions qui se développent pour rencontrer les situations – primaires – de soins et mettre un frein aux différents processus ségrégatifs qui existent actuellement ? Une certitude en tout cas : les innovations ne seront pertinentes que si elles envisagent une complémentarité civique centrée sur la reconnaissance de « tous égaux mais différents » dans le développement d’une politique de santé publique. C’est la base même de l’idée de réseau et la plus-value qu’il peut apporter, à savoir mettre de la distance par rapport aux découpages spécialisés sans lien entre eux. La question du vieillissement de la population handicapée est cruciale dans cette optique. C’est affaire de qualité et c’est sans doute par rapport à cet objectif prioritaire que l’agenda politique devrait se structurer à moyen terme car il est porteur – plus, révélateur – d’un problème non résolu et qui implique que l’on envisage séquentiellement les modes d’intervention. Rien de plus que ce que les sociologues qui cherchent à rendre compte des nouveaux modes de vie en ville essaient de saisir.

Quand standardisation et division du travail ne laissent pas de place pour la participation des usagers

Une politique de soins de santé primaires, c’est un problème de santé publique plus que de politique de soins qui met en œuvre des modes de participation. Constatons que l’oscillation est permanente entre améliorer l’existant spécifique et particulier en matière de soins de santé et créer des alternatives à celui-ci. Cette optique reflète des logiques communes : d’une part, des logiques de standardisation de la « production » (les services qui occupent la même place aux yeux de la réglementation, avec le même agrément, doivent tous faire la même chose) ; d’autre part des exigences normatives consistant à assurer une prise en charge linéaire de la trajectoire individuelle de l’usager à travers l’offre. Il faut souligner les caractères du paysage qui s’est mis en place à travers une forte externalisation des missions confiées aux associations et par des redéfinitions de la division du travail entre les services sociosanitaires. On mise notamment sur le diagnostic, l’accueil et l’orientation à travers la mise en œuvre de deux principes complémentaires, de façon plus ou moins aiguë : un suivi individualisé (un professionnel négocie avec un usager, voire contractualise, puis suit un programme d’évolution à travers l’offre) nécessitant un important travail d’interface et donc d’engagement de la part des travailleurs ; une séquentialisation/segmentation de l’offre standardisée en filières-types (tout passage par le service de type A doit donner une passerelle vers tout service de type B ; ainsi du parcours d’insertion wallon). Standardisation et division du travail1sont les deux dimensions qui délimitent – implicitement – des normes de qualité induites par le politique ou par les secteurs institutionnels ou encore par les organisations relevant des différentes familles idéologiques qui constituent le paysage institutionnel belge. Il n’y a guère de place pour la participation des premiers concernés, ceux qui se sentent mal, qui ont des problèmes de dos, de stress, de manque de temps…C’est pourtant là que réside l’enjeu essentiel d’une politique de soins primaires au plus près de la vie quotidienne. Cela exige une sérieuse transformation des modes d’interpellation de « ceux qui ne vont pas bien ». Aller mieux, c’est bien sûr réfléchir à son mode de vie mais plus encore avoir des supports qui ne fonctionnent pas à la séparation sectorielle ou aux conseils moralisateurs. Les médecins et le personnel soignant ne doivent pas se limiter à être des « entrepreneurs de morale ». C’est un défi pour eux et ça nécessite une sérieuse formation pour savoir comment développer des apprentissages collectifs autour des savoirs et des pratiques quotidiennes du corps. Ainsi, les soins de santé primaire sont plus révélateurs qu’il n’y paraît des problèmes de fond qui concerne nos relations avec notre corps et les professionnels qui sont supposés s’en occuper.

Documents joints

  1. Standardisation et division du travail, à quoi il faut souvent ajouter un système de gestion de l’information par les nouvelles technologies, du type dossier unique comme le résumé psychiatrique minimum et une redéfinition des critères normatifs définissant les publics-cibles les plus difficiles dont l’administration publique veut se maintenir à distance.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006

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