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Les travailleurs de maisons médicales sont amenés à intervenir au sein des familles dans leur ensemble (parents, enfants, grands-parents…). Ils établissent avec les patients une relation de confiance dans le temps, connaissant souvent l’intimité des personnes dans la mesure où ils interviennent au domicile, pour des problèmes de santé au sens large et à la demande des gens. Veillant à ne pas juger et à redonner aux personnes tout le potentiel dont elles disposent, ils n’adoptent pas une position de contrôle. Coralie Ladavid, assistante sociale nous décrit ici sa pratique avec des familles en grande difficulté. Nathalie, Véronique, Françoise Bernard et Sylvie : autant d’« histoires de cas » à travers lesquelles l’auteur nous fait découvrir avec beaucoup de finesse, des êtres humains et la manière d’accompagner leur cheminement…

Les enfants sont, pour tout parent (sauf exception), des êtres chers, à protéger et ils sont parfois une des dernières raisons de vivre pour les parents ; c’est vrai dans tous les milieux sociaux. Cependant, certaines familles ont parfois plus de mal à établir un lien sain et constructif avec leur enfant face à d’importantes difficultés socioéconomiques ou psychologiques. Les maisons médicales se veulent accessibles à tous et accueillent donc des familles en grande précarité où ces difficultés peuvent être présentes et parfois d’autant plus visibles que les besoins élémentaires comme se nourrir ou se loger ne sont pas rencontrés. C’est dans ce contexte difficile que nous devons parfois intervenir. Nous avons souvent une relation de confiance et d’intimité avec les patients parce que cette relation se construit dans le temps et à partir d’actions concrètes : aider pour un déménagement, trier des papiers,… Les familles acceptent parfois, sous mes conseils, de faire appel à des services extérieurs avec qui je fais le relais (exemple : service accompagnement, aide familiale, …). La famille s’ouvre ainsi à d’autres, retrouve un peu de force et d’autonomie. Cette démarche est possible au sein de ma maison médicale parce que mon champ d’action reste souple (nous ne sommes pas soumis à des missions règlementaires très précises), qu’il est adaptable en fonction des besoins et que la polyvalence est valorisée dans l’équipe. En maison médicale, nous avons connaissance d’éléments familiaux, notamment concernant les enfants, auxquels d’autres services n’ont pas accès. De plus, nous intervenons souvent dans des familles où plus aucun autre service n’a accès, par peur du contrôle. Nous sommes alors parfois bien seuls face à des situations très difficiles. Cependant, tout en étant proches de ces familles et des adultes qui font appel à la maison médicale, nous sommes en même temps dans l’obligation de protéger les enfants contre la négligence ou la maltraitance des adultes. Il y a là un conflit de loyauté, des tensions souvent pénibles dans l’action à mener auprès des familles. Je n’ai pas vraiment de recette mais dans la mesure du possible je travaille en toute transparence avec les gens, je ne fais pas comme si « ça n’existait pas », on en discute. Parfois, d’ailleurs, le fait d’aborder des points sensibles renforce la relation de confiance. Parfois ça « clashe » quelque temps… puis ils reviennent, la confiance se construit aussi comme ça. Nous n’intervenons jamais auprès d’un service d’aide ou de protection de la jeunesse sans avoir prévenu les parents. Beaucoup de situations semblent désespérées ; on ne peut les améliorer les choses qu’avec le temps, avec les personnes et à leur rythme, comme le montre ces 4 histoires. Nathalie avait trois enfants : deux adolescents étaient placés et elle avait avec elle un enfant de trois ans. Elle avait beaucoup de difficultés à s’en occuper à cause de gros problèmes psychiques et d’alcool. L’enfant souffrait de malnutrition, était constamment dans les cafés la nuit… Une demande de mise en observation a été faite à l’initiative de la maison médicale parce que Nathalie avait des comportements qui la mettaient en danger ainsi que son enfant. L’enfant a été placé. Cette procédure a été mise en place après des mois et des mois d’accompagnement. Nathalie a été furieuse contre la maison médicale et plus particulièrement contre moi qui m’étais fort impliquée dans le suivi. Elle s’est désinscrite et nous n’avons plus eu de nouvelles jusqu’à l’adolescence d’une de ses filles qui avait des problèmes de consommation d’héroïne. Nathalie a convaincu sa fille de venir me voir, parce que, pensait-elle, je pourrais sans doute aider sa fille à s’en sortir. Cela montre sans doute une prise de distance par rapport aux faits antérieurs et une certaine reconnaissance à postériori du travail qui avait été effectué. Véronique a trois enfants et est enceinte du quatrième. Son nouveau compagnon est toxicomane et elle a commencé à consommer depuis quelques mois avec lui. Véronique est suivie à la maison médicale depuis des années et je l’accompagne de façon régulière ainsi qu’un service d’éducateurs de rue. Elle vit de gros problèmes de logements, de gestion de ses biens… Beaucoup de démarches ont été mises en place pour améliorer la situation et une réelle relation de confiance existe. Mais la situation se dégrade de jour en jour : la maison médicale et le service d’éducateurs de rue sont très inquiets. Je propose, avec l’accord de Véronique, de prendre contact avec le Service d’aide à la jeunesse pour la soutenir dans son rôle de maman si difficile à gérer. Au départ, elle est mécontente parce qu’elle craint un placement ; mais au fur et à mesure de l’accompagnement elle se rend bien compte que c’est en acceptant une aide extérieure qu’elle évitera cela. J’insiste alors auprès du Service d’aide à la jeunesse pour qu’il reconnaisse les compétences de Véronique. Finalement, il considère qu’elle n’a pas besoin d’aide et l’encourage à rester en lien fort avec la maison médicale. A force de discussions et de démarches qui améliorent son quotidien (attribution d’un logement social…), elle reprend petit à petit les choses en main. Aujourd’hui, je continue l’accompagnement au sein d’une famille et j’interviens régulièrement pour être médiateur entre la maman et les enfants. Les enfants m’ont acceptée aussi dans ce rôle. Françoise et Bernard ont sept enfants. Il existe au sein de la famille une réelle négligence de la part des parents voire une maltraitance : certains enfants sont liés au lit toute la journée pour éviter qu’ils ne tombent, les enfants en très bas âge doivent boire seuls leur biberon dans la chambre, les enfants ne sortent pas de la chambre tout au long de la journée, ils ne sont pas changés tous les jours… La situation inquiète beaucoup les travailleurs de la maison médicale. Les parents sont très méfiants vis-àvis des services extérieurs et ne semblent pas comprendre les conseils donnés. Ils paraissent davantage démunis que mal intentionnés mais ils ne réagissent pas. Une première demande est faite auprès du Service d’aide à la jeunesse par la maison médicale mais la famille déménage et se désinscrit de la maison médicale. Le dossier est classé sans suite. Quelques années plus tard, la famille s’installe à nouveau dans la région et revient s’inscrire à la maison médicale. La situation semble s’être un peu améliorée mais c’est encore loin d’être idéal. Finalement, à force de discussions avec le médecin et l’assistante sociale, la famille accepte de faire appel au Service d’aide à la jeunesse. Un service d’accompagnement à domicile est mis en place. Depuis, les enfants ont leur espace de parole et la situation s’est nettement améliorée. Une réelle relation de confiance s’est installée aussi avec le service d’accompagnement. Sylvie a perdu l’autorité parentale suite à un accident de la vie. Quelques années après, elle reprend pied et veut faire les démarches pour être réhabilitée. Mais la route est longue et dure pour y arriver. D’enquêtes sociales en comparutions, de report d’audience en report d’audience, Sylvie perd complètement confiance et espoir. L’accompagnement du médecin et de l’assistante sociale, qui lui rappellent tout le chemin parcouru et les compétences retrouvées, en font valoir ses droits et les défauts de procédures, et aboutissent, quelques années plus tard à la réhabilitation de Sylvie. Je ne pense pas que l’issue aurait pu être positive pour Sylvie sans l’aide de la maison médicale. Pour les autres non plus, sans doute.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 67 - mars 2014

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