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Améliorer l’accompagnement périnatal


Santé conjuguée n°90 - mars 2020

L’arrivée d’un enfant peut s’accompagner de dificultés physiques ou psychiques, pour lui ou pour ses parents, plus encore en situation précaire1. Le début de la vie est un moment privilégié pour une approche globale et préventive.

La mise en place précipitée du séjour écourté en maternité2 a renforcé les failles du système de santé, notamment le vide de soins3. Assurer l’accessibilité et la continuité des soins est l’une des raisons d’être des maisons médicales. Elles ont un rôle essentiel à jouer pour un accompagnement de qualité accessible à toutes les familles. Une étude menée par la Fédération des maisons médicales en 20174 sur l’organisation des soins autour de la naissance indique pourtant que ce rôle est assez peu investi par les maisons médicales en ce qui concerne la périnatalité. Les pratiques varient, entre autres en fonction de la sensibilité et du niveau d’information des membres de l’équipe, de leurs formations ou de pratiques spécifiques, du profil de la patientèle, de la densité du réseau dans ce domaine. L’habitude culturelle de considérer comme une norme la prise en charge par les gynécologues et les hôpitaux, la méconnaissance de la fonction de sage-femme hors hôpital ou le manque de temps pour développer de nouveaux projets constituent des facteurs limitants. Même quand leur grossesse est confirmée par le médecin généraliste de la maison médicale, il est fréquent que les femmes enceintes « disparaissent » de la maison médicale pendant des mois. De même, il est courant que leurs enfants n’y « apparaissent » que des mois ou des années après leur naissance, après un suivi de l’ONE et d’un pédiatre.

Pourquoi investir dans cette période cruciale ?

Parce que c’est rentable : selon la courbe d’Heckman5, le taux de rendement du « capital humain » est d’autant plus élevé que l’on investit tôt dans l’enfance, et ça réduit les inégalités sociales ! Or, un enfant sur quatre vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté en Wallonie et à Bruxelles. Parce que ça facilite le travail à moyen et long terme, avec de jeunes patients en meilleure santé : moins d’addictions, de maladies chroniques… Et surtout parce que ça améliore le bien-être et la santé des familles ! La périnatalité s’étend de la conception de l’enfant (voire de l’émergence du désir d’enfant) à son premier ou son deuxième anniversaire. C’est une période charnière sensible pour lui, la mère, le conjoint, pour la dynamique du couple et celle de la famille élargie. Comme l’indiquent des études de plus en plus nombreuses6, 7, 8 la base de la santé physique et psychique de l’enfant s’y construit. « […] Le développement intra-utérin et le développement des toutes premières années de vie sont des phases critiques au cours desquelles s’établit une susceptibilité à de nombreuses maladies chroniques. Mais celle-ci ne se révèle souvent que si l’environnement et le mode de vie y sont propices. L’exposition à des produits chimiques (environnementaux ou médicamenteux), à des agents infectieux, une nutrition déséquilibrée, ou bien un stress psychosocial en période prénatale ou dans les premiers mois ou années de vie sont autant de facteurs pour lesquels on a montré des conséquences à long terme sur la santé des individus », écrit l’Institut fédératif de recherche interdisciplinaire santé société de l’université de Toulouse9. Mais si la vulnérabilité est grande, le potentiel de transformation et de prévention l’est aussi. Ainsi, poursuit cet institut, « assurer les meilleures conditions du développement biologique, physique, émotionnel et cognitif précoce des enfants doit leur permettre d’atteindre leur potentiel en termes de santé sur le long terme et un retour socioéconomique pour la société. Investir sur cette période apporte aussi l’espoir de réduire la perpétuation des inégalités sociales et de santé […]. » Valoriser la relation de confiance Injonction au bonheur, conseils et jugements contradictoires de l’entourage et des professionnels, risque d’intervention du service d’aide à la jeunesse… les pressions sociales rendent difficile l’expression des inévitables difficultés vécues et ressenties avant et après la naissance. Combinée au secret professionnel, la relation de confiance constitue une base précieuse pour accueillir les confidences, l’ambivalence, l’épuisement, les problèmes de couple voire les violences conjugales, plus fréquentes à cette période de la vie. Informer les parents dès la grossesse de ces difficultés potentielles et les inviter à en parler est un acte important de prévention pour éviter le repli et l’isolement et pour réduire les risques de dépression postpartum. Sa prévalence croît dans tous les milieux sociaux et ses effets à long terme sur le bébé et ses parents sont importants. Sa prévention devrait être un objectif de santé publique prioritaire10. Les premiers signes de cette dépression sont plus aisés à repérer quand les professionnels connaissent les parents avant la grossesse. Comme l’explique la pédopsychiatre Françoise Molénat, « on est dans une société qui a oublié que mettre au monde un enfant nécessite qu’on soit soi-même entouré […] notre société est très dure avec les jeunes parents qui ont souvent du fait des migrations, du travail, perdu leurs liens affectifs et se retrouvent avec un bébé sans avoir l’étayage minimal… »11

Continuité et coordination des soins

Le dossier de santé informatisé est un outil précieux pour consigner les coordonnées des différents intervenants ainsi que les informations importantes – dont le rapport d’accouchement dans le dossier de l’enfant et celui de ses parents –, pour assurer le suivi et les communications nécessaires. La grossesse et même le désir d’enfant peuvent être encodés, avec des échéances et un plan de suivi postnatal comme le recommande le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). L’identification des acteurs possibles dans et hors de la maison médicale ainsi que leurs compétences respectives est indispensable pour se coordonner. Le KCE a souligné une forte méconnaissance des compétences des sages-femmes et de leur rôle essentiel dans le suivi postnatal. Inviter des « sages-femmes de famille » aux réunions d’équipe a permis à des maisons médicales de développer des collaborations avec elles (orientation de patientes, embauche ou convention de collaboration). Des contacts peuvent être pris avec d’autres acteurs : maternités proches, association de soutien à la parentalité, ONE (avec qui les échanges sont facilités quand des médecins de la maison médicale travaillent également pour les consultations ou quand elles ont lieu dans la maison médicale). Autre point fort des maisons médicales en matière de périnatalité : leur expérience des visites à domicile. Des équipes en organisent systématiquement avant et après l’accouchement. L’une d’elles a mis en place un suivi rapproché dans les situations délicates en alternant le passage du médecin et de l’infirmière. Identifier un coordinateur ou un référent périnatalité/parentalité dans l’équipe est également une solution pour améliorer le contact avec les familles et le réseau. Cette piste rejoint la question plus vaste de la coordination de soins et celle du financement de cette fonction soulevée par le KCE. Favoriser une approche globale et intégrée accessible La pluridisciplinarité de la maison médicale et sa pratique du travail en réseau contribuent à une approche de la périnatalité globale et intégrée accessible à tous, avec une démarche de prévention et un suivi spécifique pour les familles plus vulnérables. Une obstétricienne, Julie Belhomme, souligne l’importance de la collaboration avec le médecin généraliste qui connait ses patients12, d’autant plus dans des conditions psychosociales difficiles où menaces d’accouchement prématuré, retards de croissance intra- utérins et autres pathologies de la grossesse sont plus fréquents. Les portes d’entrée pour la prévention primaire et secondaire sont nombreuses en maison médicale. Le médecin généraliste reçoit des plaintes relatives à divers maux de grossesse ou somatisations du père ou de la mère ; le kiné pré- et postnatal entend la peur de l’accouchement et les difficultés d’allaitement, l’accueillante perçoit l’épuisement d’une mère face aux pleurs de son bébé… Des questions ouvertes sur son ressenti, sur le couple, sur la manière d’envisager son retour à la maison ou au travail aideront la femme à s’exprimer13. Aborder une situation complexe en réunion d’équipe permettra d’organiser un suivi rapproché en mobilisant des partenaires extérieurs. Les conseils et les soins d’une sage-femme éviteront parfois les antibiotiques pour traiter une mastite. Des séances d’ostéopathie permettront d’éviter des médicaments contre le reflux pour un bébé. Les conseils d’une diététicienne réduiront les risques de carences et de contaminations alimentaires. Informer systématiquement les mères de l’importance de la rééducation du périnée est également essentiel. L’observation du bébé au cours de ces séances et des conseils pratiques permettront de prévenir une plagiocéphalie ou d’identifier un souci dans son développement psychomoteur. La maison médicale, c’est aussi un lieu de sociabilité, dans ses murs ou en réseau avec d’autres associations, grâce à la salle d’attente et aux activités collectives : « bébés-papote », ateliers cuisine ou de fabrication de produits d’entretien et cosmétiques qui réduiront les sources de pollution à la maison. La démarche en santé communautaire peut faciliter l’identification des besoins et l’émergence de projets, et le soutien par les pairs fait partie des recommandations du KCE. Des choix éclairés et un meilleur échelonnement Offrir aux familles un accompagnement qui leur rend leur pouvoir de poser des choix éclairés permettrait de renforcer leur sentiment de compétence parentale. Cela contribuerait aussi à éviter la surmédicalisation et ses coûts financiers, physiques, psychiques14. Cela passe par une écoute non jugeante, une information sur la complémentarité entre médecin généraliste, sage-femme, gynécologue et pédiatre, afin que ces deux derniers puissent progressivement retrouver leur juste place de spécialistes des pathologies spécifiques, au deuxième échelon du système de santé. Pour Françoise Molénat, Rose-Marie Toubin et Danaé Panagiotou, « la cohérence et la continuité dans les pratiques professionnelles périnatales sont identifiées comme un élément structurant majeur auprès des parents vulnérables et des enfants dans la succession des étapes »15. Comme le KCE le recommande, sages-femmes et médecins généralistes devraient être formés aux soins pré- et postnatals à domicile dans une approche interdisciplinaire. Un investissement volontariste des pouvoirs publics est certainement nécessaire également pour permettre un travail de qualité pour les soins aux différents échelons du système de santé, pour soutenir la coordination et l’interdisciplinarité et pour développer les espaces de soutien à la parentalité par les professionnels et par les pairs ou pour améliorer le suivi des services liés à l’aide à la jeunesse, souvent débordés. De tels programmes existent notamment en France et au Québec. En ce qui concerne le rôle des maisons médicales, comme toujours, il n’y a pas de modèle unique à appliquer, mais une multitude de possibles. Souvent, cela commence simplement par une réunion d’équipe consacrée à l’analyse des besoins et à l’identification des ressources. La Fédération des maisons médicales est signataire des quatre revendications de la Plateforme pour une naissance respectée : www.naissancerespectee.be.

Documents joints

  1. E. Azria, « Précarité sociale et risque périnatal ». Enfances & Psy n°67, 2015.
  2. G. Chapoix, « Les enjeux d’un séjour écourté en maternité », Santé conjuguée n°78, mars 2017.
  3. Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), L’organisation des soins après l’accouchement, Report 232Bs, 2014.
  4. E. Somassé, L. Henrion, T. Delescluse, Organisation des soins autour de la naissance en Belgique : Quel rôle pour les maisons médicales ? étude de la Fédération des maisons médicales, 2017.
  5. F. de Bodman et al. Investissons dans la petite enfance. L’égalité des chances se joue avant la maternelle, Terra Nova, 2017.
  6. M.-A. Charles, « Importance de la théorie des origines développementales de la santé (DOHaD) pour les inégalités sociales de santé, » colloque de l’ITMO Santé publique, Déterminants sociaux de la santé : les apports de la recherche en santé publique, Paris, 2012.
  7. T. Lang, M. Kelly- Irving, C. Delpierre, « Les conditions de vie des enfants construisent la santé et ses inégalités sociales à l’horizon de plusieurs décennies », Archives de pédiatrie, n°24, 2017.
  8. P. Suesser, « Donner du poids à la prévention en périnatalité et petite enfance : chiche ! », Spirale n°82, 2017.
  9. M.-A. Charles, op cit.
  10. Van Der Waerden et al. « Dépression maternelle : facteurs de risque, conséquences sur le développement des enfants et interventions de prévention », European Psychiatry, vol. 30, novembre 2015.
  11. Prévenir la dépression postpartum, entretien avec F. Molénat, vidéo, Yapaka.be.
  12. J. Belhomme, Quel est le rôle du médecin généraliste dans le suivi de grossesse ? vidéo, CHU Saint-Pierre, Bruxelles, 2012.
  13. Autour de la naissance, comment aider le parent qui doute de ses capacités ? entretien avec R. Vander Linden (vidéo), Yapaka.be.
  14. G. Chapoix, « Entrer dans la danse ? Pour un autre accompagnement de la naissance », Santé conjuguée n°62, octobre 2012.
  15. F. Molénat, R.-M. Toubin, D. Panagiotou, « Grossesse et prévention », Contraste n°46, 2017.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°90 - mars 2020

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