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Alternatives à l’information par les firmes pharmaceutiques

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Santé conjuguée n° 44 - avril 2008

La visite des délégués médicaux pose beaucoup de questions. Quelles sont les limites de l’information dispensée par les firmes sur les médicaments ? Quel- les sont les autres possibilités d’accès à l’information tant scientifique qu’administrative ? Quelles pistes proposer aux maisons médicales et aux médecins pour organiser cette recherche d’informations ? Comment organi ser une pharmacie de base avec ou sans les échantillons ?

Au terme d’une rencontre où ils se sont expri més sur ces sujets, les médecins de maisons médicales ne sont nullement satisfaits de l’infor mation donnée par les firmes pharmaceutiques. Certains ont cessé de les recevoir depuis de nombreuses années, de leur propre chef ou suite à une décision d’équipe. D’autres ont réduit le nombre de visites, ou reçoivent les délégués d’une même firme en même temps, sans être satisfaits de cette procédure. Ils reprochent à l’information venant des délégués son peu de fiabilité (et la difficulté de déterminer ce qui est fiable dans ce qu’on leur présente), le temps gaspillé à accueillir les délégués, l’inutilité de la plupart des échantillons reçus lors de ces entretiens, « générosités » dont le seul but est d’influencer la prescription. Pour d’autres médecins cependant, recevoir les délégués est perçu comme un moment de pause où ils peuvent s’informer sans trop d’efforts même s’ils sont conscients des limites de cette information. Car cette information se révèle de qualité très douteuse. Dans son rapport « Valeurs en termes de données probantes des informations écrites de l’industrie pharmaceutique destinées aux médecins généralistes », publié en 2007, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) conclut que les messages des firmes contiennent peu d’information factuelle et tien nent peu compte de l’Evidence Based Medicine (ou même manifestent de la résistance à l’Evidence Based Medicine). Le Centre constate qu’il existe des différences importantes entre l’information disséminée par l’industrie et par les sources indépendantes. Conclusions qui rejoignent celles des observateurs de la publicité médicale comme les médecins du Groupe de recherche et d’action pour la santé (GRAS) ou de la revue Prescrire. Si l’information est de piètre qualité, son impact sur les volumes de prescription est important. Les objectifs commerciaux des firmes ne font mystère pour personne. Il s’agit pour le délégué d’inciter le médecin, appelé « le prescripteur », à donner le plus de place possible à une solution médicamenteuse aux problèmes posés, au détriment de solutions non médicamenteuses telles que kinésithérapie, accompagnement psychologique, modification du mode de vie, prise de conscience des dimensions politiques, sociales, environnementales des probléma tiques avec passage à l’action adéquate, etc. Plus important encore, dans un contexte où toutes les firmes ont à défendre leurs parts de marché contre les concurrentes qui produisent des médicaments similaires (les « me-too », ou « moi aussi ») ou identiques (notamment les génériques), le délégué aura à orienter la prescription vers les produits de sa firme. Que ce soit par la persuasion (mon médicament est le même mais il est meilleur parce que…), les chantages au bon thérapeute (« docteur, vous ne voudriez pas priver votre patient de ce bon traitement ! »), les cadeaux, parfois la pitié (« vous savez docteur, je risque ma place si les chiffres de vente dans mon secteur n’atteignent pas l’objectif fixé par mes employeurs »)… A voir les budgets consacrés par les firmes à la promotion, nettement supérieurs à leurs budgets « recherche », on peut penser que c’est rentable1Où trouver de l’information indépendante ? Les médecins reçoivent chaque mois une montagne de périodiques gratuits. La plupart de ces publications n’ont d’autre source de financement que la publicité payée par les firmes, la partie rédactionnelle ne servant qu’à appâter le lecteur ; souvent les articles médicaux traitent « innocemment » de sujets en lien « fortuit » avec une campagne publicitaire ou avec la sortie prochaine d’un médicament censé répondre à une attente ainsi stimulée. Les signatures parfois ronflantes au bas des articles sont souvent des signatures achetées… Ces périodiques font donc partie intégrante de l’information dispensée par les firmes pharmaceutiques et sont destinés uniquement à vitaminer la prescription. Parmi les publications gratuites, seules les suivantes sont de qualité, clairement indépendantes des firmes et affirment de manière crédible ne pas être concernées par des conflits d’intérêt : Folia pharmacotherapeutica (mensuel du Centre belge d’information pharmacothérapeutique, agréé par le service public fédéral Santé publique) Folia diagnostica, Minerva (soutenu par l’INAMI et les associations de médecins). D’autre part, le Centre belge d’information pharmacothérapeutique publie le Répertoire commenté des médicaments et les Fiches de transparence qui offrent une information neutre, concrète et pratique sur les médicaments. Il faut aussi mentionner la Revue de Médecine générale, éditée par la Société scientifique de médecine générale (SSMG), bourrée de publicité mais dont les articles sont rédigés par des généralistes pour des généralistes de manière assez indépendante. Annexées à sa Revue, la Société scientifique de médecine générale publie périodiquement des Recommandations de bonne pratique (RBP) d’excellente facture. Les revues « payantes », le plus souvent sur abonnement, sont a priori plus fiables. Il ne faut cependant pas s’y plonger en perdant tout esprit critique. D’une part, même dans les plus prestigieuses (Lancet, New England, etc.), des pages « rédactionnelles » signées (mais rarement écrites) par des sommités peuvent être achetées par les firmes et se présenter de manière assez similaire aux articles « non achetés ». D’autre part, les études présentées dans leurs pages sont souvent financées par les firmes, dont l’intérêt à valoriser les résultats favorables à leurs produits est évident. Parmi les revues payantes de qualité et intéressant le généraliste, la revue française Prescrire est incontournable ; elle est entièrement financée par ses abonnés, d’où son prix un peu cher et l’intérêt d’un abonnement « groupé ». Comme Prescrire, mais à l’échelle belge, la Lettre du GRAS dont nous parlons par ailleurs offre une approche critique et constructive du médicament, et développe en outre des actions destinées à améliorer l’éthique et l’information en matière de publicité médicale. L’édition française de The Medical Letter, publiée par les Editions Médecine et hygiène, présente des monographies critiques courtes d’accès aisé sur l’actualité thérapeutique. Parmi les revues plus générales, on signalera, au plan national francophone, celles éditées par les universités : Louvain Médical, Revue médicale de Bruxelles, Revue médicale de Liège, et, pour ceux que l’anglais médical ne rebute pas, le British Medical Journal (BMJ), le Journal of American Medical Association (JAMA), le Lancet et le New England Journal of Medicine. Ces listes ne sont pas exhaustives. La plupart de ces revues disposent d’un site permettant une première approche des contenus. Des bulletins bibliographiques comme la « lettre INFO DOC » publiée chaque mois par le Centre de documentation Santé Bruxelles asbl (cdsb@clps-bxl.org) permettent de détecter dans les parutions récentes les articles intéressants. Hormis les périodiques, deux sources d’information sur les médicaments intéressent les généralistes : Internet et les « réunions scientifiques ». En ce qui concerne l’information accessible directement sur Internet, la démarche critique nécessaire pour la littérature « papier » est encore davantage de rigueur. Depuis 2003, le Centre belge d’Evidence Based Medicine s’est lancé dans la création d’un outil remarquable, la bibliothèque virtuelle appelée CEBAM Digital Library for Health (CDLH) qui donne accès à de nombreuses sources de qualité (voir plus loin l’article : La bibliothèque virtuelle du Centre belge d’Evidence Based Medicine ou sur le site http ://www.cebam.be). Les « réunions scientifiques » pouvant intéresser les généralistes sont de plusieurs types. Il y a les exposés « clé sur porte », sujet et orateur proposés par les firmes, dont le thème porte généralement sur une problématique dans laquelle les produits de cette firme sont impliqués. Même quand l’exposé est impartial, l’objectif demeure de mettre en avant lesdits produits. On leur préférera les réunions organisées de manière indépendante par les sociétés scientifiques de médecine, les universités ou les cercles de généralistes qui choisissent sujets et les orateurs, même si, pour financer les frais (locaux, buffet, invitations…), il n’est pas rare qu’ils abandonnent aux firmes une plage pub, pudiquement nommée « communication du partenaire que l’on remercie chaleureusement ». Autre type d’information alternative : des délégués indépendants. En réponse à une interpellation de la Chambre lors de la réunion commune de la commission de la Santé publique le 30 mars 2004, Rudy Demotte évoque « cinq leviers pour mieux maîtriser la prescription au sens de l’intérêt général ». Le premier nous intéresse ici. « Un premier levier porte sur l’information des prestataires de soins contre la promotion excessive de médicaments. (…) Les coûts de la médication peuvent croître dans la mesure où ils répondent non pas à une évolution technologique qui impose des surqualifications de coûts mais aussi parce que la promotion en fait des éléments de consommation, presque liés à des mouvements que je serais tenté de qualifier « de mode ». Par conséquent, nous allons travailler sur une amélioration de l’information du corps médical. (…) L’idée, par exemple, de mettre sur pied des corps de délégués indépendants me paraît indispensable sachant que ce qui doit guider ces délégués, c’est l’évidence scientifique et non un conditionnement quelconque, qu’il soit budgétaire ou lié à une firme, mais seulement l’évidence scientifique et la médecine scientifique. C’est sur cet élément que nous allons nous baser. » Cette idée avait déjà fait l’objet d’une première expérimentation, dont il résultait que les médecins francophones, au mépris de toute logique mais fidèle en cela à leur allergie viscérale dès qu’il s’agit d’intervention de l’Etat dans leur pratique, de prime abord ne réservent pas un accueil chaleureux à ces délégués, les estimant moins crédibles que les délégués commerciaux ! « C’est tout de même ceux qui fabriquent les médicaments qui savent mieux à quoi ils servent ». Toutefois, la persévérance en ce domaine paie et la perception de ces visiteurs indépendants s’améliore, ainsi que vous l’explique Thierry Wathelet un peu plus loin dans ce cahier… Enfin, des modules d’aide à la décision à intégrer au logiciel médical (dans le cadre du Dossier médical informatisé) commencent à se répandre. Sans doute leur emploi n’est-il pas encore suffisamment généralisé pour en évaluer l’impact, la pertinence et l’indépendance.

Comment s’informer « utile » ?

Chaque jour des milliers d’articles sont publiés et le temps disponible pour la formation continue est limité. Pour certains praticiens aussi, lire est astreignant. Il importe donc d’être « efficace ». Deux cas de figure : soit vous cherchez une information sur un sujet précis, soit vous êtes abonné à une revue et vous voulez savoir quel article vaut la peine d’être lu. Vous cherchez une information sur un sujet précis : tâche jadis fastidieuse (il fallait compulser les « bottins » des bibliothèques universitaires), aujourd’hui beaucoup plus rapide puisqu’il suffit de lancer une recherche par exemple via le site du Centre belge d’Evidence Based Medicine, d’interroger une base de données comme Medline ou d’entrer dans le site d’une revue de référence. La première étape sera de définir votre question et les aspects sur lesquels vous cherchez de l’information. Vous pouvez souhaiter un rappel global et actualisé sur une pathologie et son traitement ou au contraire vouloir comparer les traitements possibles pour une pathologie précise chez un patient donné (un enfant, une femme enceinte, un insuffisant rénal…). Délimiter l’objectif vous permettra de déterminer les mots-clé qui vous livreront « au plus près » les articles attendus. Se pose alors la question du second cas : comment choisir l’article fiable et utile ? Un premier tri vous fera gagner un temps précieux : sélectionnez les articles privilégiant les aspects correspondant à votre demande (plutôt scientifique ou plutôt clinique, approche généraliste ou plus pointue, etc.), éliminez ceux dont l’origine est imprécise, pensez à vérifier la déclaration d’absence de conflits d’intérêt. En ce qui concerne le médicament, il est à conseiller de recourir aux revues spécialisées dans ce domaine et mentionnées plus. Si vous souhaitez explorer davantage les études, vous serez souvent confrontés à des études réalisées par les firmes. Une formation à l’esprit critique ne sera pas inutile, de même que quelques notions basiques de statistiques et une familiarisation à la grille de lecture Evidence Based Medicine (EBM). Un bagage simple et facile à acquérir suffit déjà à éviter bien des pièges. Le site du Groupe de recherche et d’action pour la santé en propose un exemple tout à fait accessible (et c’est si gai de ne plus avoir l’air bête quand on vous parle de p < 0,5) de même que le Centre belge d’Evidence Based Medicine. Des revues comme Minerva et Prescrire font ce travail pour vous et présentent une lecture critique, résumée et argumentée des principales études « dont on parle » ou autour d’une question clinique. A noter aussi un ouvrage passionnant écrit par des généralistes : « L’information médicale, une jungle à défricher » (Editions Quorum 1997, Ottignies) qui développe les différents points exposés ici. A ce point de la réflexion, il importe de se pencher sur la formation « entre pairs ». Les Groupes locaux d’évaluation médicale (GLEM), auxquels les médecins sont tenus de participer s’ils souhaitent conserver leur accréditation) sont mis en question en ce qui concerne leur efficacité dans l’amélioration de la qualité des soins ou le feed-back sur les prescriptions d’antibiotiques, selon le rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sur la qualité des soins en médecine générale (KCE report 76B, 2008). C’est sans doute perfectible selon la volonté des participants… Autre modèle, les dodécagroupes sont des groupes libres de 12 médecins qui se réunissent périodiquement pour discuter d’un sujet médical ou thérapeutique, sous l’égide de la Société scientifique de médecine générale. Ces groupes, dont la majorité recourent au sponsoring des firmes, fonctionnent à la grande satisfaction des participants mais il n’y a pas, à notre connaissance, d’étude d’envergure quant à leur action sur la qualité des prescriptions. Lors de la rencontre avec les médecins de maisons médicales, l’idée de réunions d’analyse critique des revues médicales a été soulevée, mais si l’enthousiasme ne manque pas, la difficulté rebute. Pourtant, le fait de travailler en équipe (maison médicale) ou en réseau de généralistes favorise les échanges de pratique et sensibilise à les harmoniser pour les problématiques prises en charge à plusieurs. L’identification de confrères plus avancés dans le domaine de l’Evidence Based Medicine, de la pharmacologie ou de la lecture critique ainsi que la familiarisation avec les sources de référence devraient permettre de stimuler ce genre d’initiative. Peut-on se passer du « soutien » des firmes en médecine générale ? Oui ! Les firmes occupent une position de force dans le champ de la médecine générale grâce à quelques ressources puissantes telles que les échantillons, le sponsoring et l’information2. Les échantillons de médicaments sont souvent perçus par le généraliste qui les reçoit comme un moyen d’aider les patients démunis ou de dépanner les malades après l’heure de fermeture des pharmacies. Or ces circonstances sont rares. Par exemple, les patients dans le besoin disposent en général de cartes médicales ou d’une aide médicale d’urgence leur donnant un accès (quasi) gratuit aux médicaments. De nombreux traitements peuvent attendre quelques heures ou être délivrés par la pharmacie de garde. Il est aussi intéressant de vérifier ce qui a été prescrit récemment au patient (souvent il en reste…) ou de lui demander ce qu’il possède dans la pharmacie familiale (par exemple en en téléphonant le contenu dès sa rentrée à la maison) : cette chasse au trésor est souvent fructueuse (et économique !). D’autre part, les échantillons distribués sont essentiellement des produits en lancements publicitaires, peu utiles ou redondant, rarement « urgents » et dont le destin est de périmer tristement au fond de l’armoire ; le produit adéquat n’est presque jamais à l’appel. Il n’y a à notre connaissance aucun généraliste ne recevant pas de délégué (et donc pas d’échantillon) qui se soit trouvé en difficulté de ce fait3. On pourrait imaginer mieux ! Organiser, dans les limites de la légalité, la récupération des médicaments non utilisés par les patients (les pharmacies familiales en regorgent) permettrait de constituer des stocks de médicaments réellement utilisables. En outre, cette façon de faire sensibiliserait les patients à la problématique des médicaments et créerait une dynamique communautaire intéressante et concrète. Le « sponsoring », soutien financier des firmes aux activités des médecins généralistes peut prendre diverses formes : participation à des frais de réunion scientifiques, mise à disposition de locaux, soutien à leurs activités festives ou caritatives (par exemple un groupe de généralistes bruxellois a obtenu le financement de matériel destiné à une école d’handicapés, calculé d’après l’altitude atteinte par le groupe dans l’escalade du Mont Blanc). On se rappellera aussi le financement par les firmes de certaines activités des Centres universitaires de médecine générale dont les budgets sont insuffisants ! Et c’est effectivement à cause de cette insuffisance de moyens que les firmes peuvent s’introduire dans le domaine de la formation. Fort heureusement, la (timide mais progressive) revalorisation de la médecine générale devrait déjouer ce piège. Une somme forfaitaire (1.000 euro par généraliste) destinée au soutien de la pratique a été votée lors de l’accord médicomutuelliste de 2008. Le financement de cercles de médecine leur permet maintenant d’organiser leurs activités sans à faire évoluer les mentalités4. Le soutien logistique des firmes est également un atout important. Quelques exemples concrets. Les firmes publient beaucoup de documents utiles (annuaires professionnels, compendium, guides santé pour voyageurs, liste de produits interdits aux sportifs, etc.). Certains de ces documents ne sont distribués aux généralistes que lors de la visite des délégués, les réfractaires en étant privés. Autre aspect : beaucoup de médicaments sont maintenant soumis à des règles de prescription complexes. nécessitant des formalités telles que demande au médecin-conseil de la mutuelle ou insertion dans le dossier d’éléments de preuve de la nécessité du traitement. Les firmes distribuent des carnets de formulaires préimprimés permettant de répondre à ces obligations. Par ces moyens, les firmes se rendent nécessaires. Si l’on veut concurrencer l’apport des firmes sur ce terrain, il faut que nos autorités interviennent dans la réalisation des documents utiles, simplifient les formalités et mettent en place une meilleure accessibilité de l’information via les sites web (notamment le site INAMI, peu convivial). Pour l’anecdote, ces mêmes autorités viennent d’envoyer un « signal fort » favorable aux firmes en conditionnant le remboursement du Januvia®, une nouveauté dans le traitement du diabète, à un traitement d’essai effectué grâce à une boîte-échantillon offert par la firme productrice… on ne peut rêver suicide plus romantique que de s’occire de la main de son rival… (voir encadré « Januvia® »). L’affaire JANUVIA® Sur les conditions de remboursement du médicament Januvia®, nous livrons à votre réflexion et sans commentaire les extraits significatifs de l’interpellation de la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique par le député Daniel Bacquelaine (Question n° 2580). Daniel Bacquelaine (MR) : Madame la ministre, je dois vous faire part d’un certain étonnement devant une nouvelle pratique en matière de remboursement de médicaments. Je parle du médicament Januvia®. (…) L’autorisation (de remboursement, ndlr) ne peut être accordée qu’après une thérapie d’essai d’un mois pourtester la tolérance à ce médicament du bénéficiaire. À cet effet, un conditionnement unitaire non remboursable de 28 comprimés est délivré par la firme à la demande du médecin traitant comme échantillon d’essai gratuit pour chacun des bénéficiaires concernés. N’estimez-vous pas que ces modalités de remboursement posent des questions quant à la compatibilité avec l’éthique médicale ? Pourquoi a-t-on imaginé un système dans lequel le médecin doit se mettre en relation directe avec la firme plutôt que de passer par le pharmacien ? Cela me paraît discutable. Réponse de madame Laurette Onkelinx, ministre : (…). Au sujet de ce médicament, la Commission de remboursement des médicaments n’a pas pu dégager de majorité des deux tiers sur la demande d’admission au remboursement, essentiellement en raison des prix proposés par la firme. (…) La firme responsable de la mise sur le marché s’est dite dans l’impossibilité de réduire suffisamment son prix sur le petit conditionnement, mais propose un prix acceptable par comprimé pour le grand conditionnement (…). En offrant la petite boîte gratuitement aux patients, on permet aux cliniciens d’évaluer, sans coût pour l’INAMI, non seulement l’efficacité de cette nouvelle spécialité, mais surtout de déterminer si la tolérance est bonne, donc d’éviter des gaspillages par arrêt du traitement. (…) Par ailleurs, la firme qui commercialise le Januvia® visite régulièrement les médecins pour l’ensemble des spécialités qu’elle commercialise et la remise d’échantillons de Januvia® n’entraînera donc pas de visite supplémentaire de la part des délégués médicaux de la firme. La firme s’est aussi engagée à fournir au départ plusieurs boîtes d’échantillons à chaque médecin qui le souhaite afin de limiter le nombre de ses visites. Y a-t-il des problèmes au niveau éthique ? À première analyse, je ne le pense pas, puisque le médecin reste totalement libre de choisir ou non cette spécialité. Il est le mieux placé pour mesurer aussi bien la tolérance que l’efficacité. (…) Tout bien considéré, j’ai fini par conclure que la remise d’une boîte gratuite ne pose pas de véritable problème, puisque nous parlons ici de médicaments très spécialisés. Le libre-arbitre du médecin peut difficilement être altéré par la gratuité de la première boîte. En revanche, je conçois parfaitement des critiques sur le mode de délivrance des médicaments aux médecins. Une réflexion sur la mise en place d’un système plus structurel, et qui permettrait surtout d’éviter le recours aux délégués médicaux pour la livraison de ces médicaments, me paraît nécessaire.

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Face à un Etat qui se désintéressait de la question et à des médecins isolés demandeurs d’information et de soutien, les firmes ont occupé pendant des décennies le rôle de seul expert de terrain en médicaments et y ont beaucoup investi. Cette situation ne rend pas compte à elle seule de la flambée des coûts, mais est responsable de mésusages dispendieux, inutiles et parfois iatrogènes. Il importe, pour inverser cette tendance, que les autorités reprennent position dans le soutien à la formation continue, à l’activité et à l’information des médecins. Malheureusement, l’effort en ce sens demeure léger. Par contre, on peut regretter la tendance actuelle à culpabiliser les prescripteurs, à les contrôler en disposant des contraintes à la prescription et à les menacer. Dans cet avatar de la tension entre prévention et répression, la préférence donnée à la répression déforce la crédibilité des autorités, accusées de n’avoir d’autre objectif que budgétaire. L’argument est facile et fallacieux, mais il n’aura de réel démenti que quand soignants et responsables de la santé feront alliance au lieu de se disputer face aux firmes… Alors seulement la page de la domination de firmes sur l’information et l’activité des médecins sera tournée.

Documents joints

  1. Sur l’impact de la promotion des médicaments auprès des médecins, nous vous invitons à relire les articles « Facteurs influençant la prescription des médicaments » et « De l’influence de la publicité médicale sur la vitesse de vidange du stylo du prescripteur » dans le cahier « Ce cher médicament » de Santé conjuguée numéro 14, paru en 2000 : ce n’est malheureusement pas obsolète…
  2. Nous ne parlerons pas ici de cadeaux, dont l’importance est proportionnelle au poids « économique » ou symbolique du prescripteur : un grand médecin hospitalier sera plus susceptible qu’un généraliste de favoriser l’usage de tel produit à grande échelle (dans son service mais aussi par la poursuite du même traitement quand le patient rentrera chez lui) et lui conférera une image positive entraînant d’autres prescripteurs à l’imiter. Les cadeaux accordés aux généralistes sont beaucoup plus rares et modestes que « les contributions à leur activité » proposées par les firmes et relèvent davantage de la gadgetterie.
  3. Ce point pourrait être remis en question par les nouvelles modalités de remboursement de certains médicaments particulièrement chers qui nécessitent au préalable un essai avec une boite échantillon… Mis à la porte, les délégués vont rentrer par la fenêtre à la demande express de notre ministre…
  4. Et c’est une véritable révolution dans les mentalités, ainsi que le montre l’exemple de la Fédération des associations de médecins généralistes de Bruxelles. Ce cercle qui couvre le territoire de Bruxelles ne disposait pas de locaux et avait l’habitude d’organiser son conseil d’administration mensuel grâce aux firmes qui se chargeaient de régler salles et buffets sans réelle contrepartie. Lorsque le financement des cercles fut effectif, la possibilité de prendre son indépendance par rapport aux firmes fut évoquée. Dans un premier temps, la position majoritaire fut de ne rien changer, probablement plus par habitude que par calcul. Mais le jour où un sponsor voulut disposer de quelques minutes de présentation, le président du cercle marqua sa désapprobation en sortant. La firme se désengagea de ses promesses et le conseil d’administration décida que l’on ne demanderait plus de sponsor. Times are changing…

Cet article est paru dans la revue:

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