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Bien que notre système de soins soit reconnu comme l’un des meilleurs au monde, il reste impuissant à agir sur la plupart des facteurs qui influencent les maladies chroniques. Plusieurs études constatent que, parmi les facteurs qui impactent la santé, le système de soins et la biologie représentent 30 % ; les autres 70 % sont le résultat de l’impact des modes de vie et des environnements [1].

Ces facteurs composent ce qui est appelé les « déterminants de la santé » ; cette appellation ne renvoie pas au concept de déterminisme, au contraire, elle précise ce qu’il est possible de modifier grâce à des stratégies et des interventions adaptées. Les déterminants de la santé se catégorisent en niveaux d’impact et sont en interaction constante les uns avec les autres, tout au long de la vie de chaque personne. En général, on différencie les déterminants liés à la personne et à son style de vie, aux réseaux sociaux et communautaires, aux conditions de vie et de travail et aux conditions socioéconomiques, culturelles et environnementales. Le poids de chacun va dépendre fortement du contexte et variera suivant les individus, les régions, les lieux de vie, les systèmes socioéconomiques [2]

La santé ne se distribue pas équitablement

Si les comportements comme la consommation de tabac et d’alcool, d’aliments et la sédentarité exposent aux risques responsables de pathologies connues pour être les premières causes de décès comme les cancers et les maladies cardiovasculaires, ils ne peuvent à eux seuls expliquer ces inégalités. Les études épidémiologiques réalisées en Angleterre et en France, auprès de cohortes parfois durant plus de vingt ans, ont montré que la position sociale et hiérarchique influence différemment l’état de santé via le sentiment de maîtrise de sa destinée, des capacités d’agir des personnes et de participer pleinement à la vie sociale [3]. Dans d’autres recherches sont recensés trois grands types de facteurs collectifs, dont l’importance varie selon le milieu social, influant sur l’état de santé : le soutien social apporté par le réseau relationnel personnel ; le degré d’équipement et de cohésion sociale de l’environnement quotidien des personnes, ce qui est appelé « capital social », et la position, ressentie par chacun au sein de son milieu d’appartenance (travail, quartier, communauté, etc.) [4]. Il est ainsi établi que les inégalités socioéconomiques sont en corrélation systématique avec les inégalités de santé. Au bas de l’échelle sociale, le risque de maladie grave et de décès prématuré est deux fois plus élevé qu’au sommet.

Des dynamiques locales

Comment avoir une alimentation saine lorsque l’argent manque, exercer une activité physique quand on habite un quartier sans espaces verts ni d’infrastructures sportives accessibles, avoir des rythmes de vie réguliers quand les conditions de travail ne le permettent pas, gérer son stress lorsque l’insécurité est quotidienne ?

Les maladies chroniques et la pauvreté s’entretiennent mutuellement dans un cercle vicieux. Les plus démunis sont aussi les plus susceptibles d’être atteints de plusieurs maladies chroniques en raison des mauvaises conditions de vie et de logement ainsi que du peu d’accès aux services, à l’éducation, à une nourriture saine. A contrario, le poids des maladies chroniques peut amener à la pauvreté et l’isolement. Malgré les efforts consentis dans le développement et la qualité des soins de santé de première ligne et la prévention, le secteur de la santé ne peut pas à lui seul assurer le cadre préalable et futur le plus propice à la santé.

Grâce à la Charte d’Ottawa de promotion de la santé [5], le système de santé a la possibilité de se doter de nouvelles stratégies pour agir sur les déterminants de la santé et ainsi réduire les inégalités sociales de santé, dont le principal enjeu est la mobilisation collective de toute une communauté sans distinction et sans exclusion. Les professionnels et les services de soins et de prévention y trouvent de nouvelles implications. Pour Grégory Meurant, travailleur communautaire dans une maison médicale bruxelloise, les pratiques au sein des trois dimensions qui traversent les missions des maisons médicales sont à re-réfléchir [6]. Tant dans leur dimension institutionnelle que leur dimension clinique et sociopolitique, la place du patient et de la communauté est un enjeu central.

Selon Grégory Meurant, ce questionnement dépasse largement les seuls aspects opérationnels, il renvoie aux objectifs en regard de l’impact des inégalités sociales sur la santé et de la réduction de celles-ci et propose un rôle, pour les services de santé de première ligne, de « microcontexte de mobilisation communautaire » dans une visée sociopolitique de développement local, impliquant un fort engagement à l’échelon communal [7]. Dans cette perspective, le maillage entre social et santé est incontournable et constitue la clé de voûte de nouveaux dispositifs durables.

Les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 [8] offrent un cadre pour un développement économique, social et environnemental incluant 17 objectifs et 169 cibles (objectif 3 : Bonne santé et bien-être) intimement liés et dont l’enjeu réside dans la coopération à tous les niveaux, entre tous les types d’acteurs et tous les secteurs. Ces objectifs ont tous un lien avec la santé et ses déterminants et sont parfaitement compatibles avec les onze critères d’une ville-santé [9].

Ces deux approches ont fait l’objet de l’élaboration d’une grille de diagnostic, systémique, global et opérationnel à l’échelle d’un territoire local. Elle a été réalisée au sein de l’association internationale S2D (Santé développement durable). Elle est diffusée et accompagnée dans son implantation par l’asbl Sacopar. Ont été sélectionnées les cibles qui ont un lien évident avec les déterminants de la santé et qui concernent des actions qui relèvent des compétences communales. Il s’agit d’une aide aux acteurs locaux à dresser un bilan de ce que leur ville réalise en matière de développement durable et santé et à identifier par la même occasion les thématiques qui pourraient être encore investies. Améliorer la santé et la qualité de vie est un maillon important du développement durable. Aussi, les budgets engagés à cet effet représentent un investissement et non un coût.

Une volonté politique ?

Au-delà des dynamiques d’acteurs de première ligne, pour agir durablement sur les déterminants de la santé et ainsi améliorer le niveau de santé de tous, la santé doit être à l’agenda des responsables politiques. C’est l’objet de l’approche « La Santé dans toutes les politiques », prônée par l’OMS lors de la Déclaration d’Helsinki en 2013, qui ouvre vers de nouvelles modalités d’action et insiste sur de nouvelles formes de gouvernance [10].

Il s’agit d’une approche intersectorielle des politiques publiques qui tient compte systématiquement des conséquences des décisions politiques sur la santé et l’équité en santé, recherche des complémentarités pour mener des actions concertées, reconnait le rôle moteur de la santé, recherche des synergies entre secteurs pour éviter les conséquences néfastes pour la santé et vise à l’amélioration de la santé de la population et de l’équité en santé.

Le plan santé bruxellois en a fait un de ses objectifs prioritaires au niveau régional et local. Bien qu’il n’y ait pas de cadre structuré en regard de ce plan, des initiatives sont financées, notamment le programme porté par l’asbl Sacopar auprès des 19 communes bruxelloises.

Pour aider à prendre des décisions favorables à la santé, l’Étude d’Impact Santé (Consensus de Göteborg 1999) permet grâce à une combinaison de procédures, méthodes et outils de juger les effets possibles d’une politique, d’un programme ou projet sur la santé de la population et la distribution de ces effets au sein de la population. Elle est appliquée suffisamment en amont de la décision politique définitive, dès qu’une proposition ou une intention existe. En plus de la volonté de protéger et augmenter le niveau de santé de la population, elle est traversée par quatre valeurs fondamentales :
- La démocratie : en insistant sur le droit de la population à participer à la fois directement et par l’intermédiaire des élus à une démarche transparente qui porte sur des décisions politiques qui la concernent.
- La justice sociale : en insistant sur la recherche, au-delà de l’impact global, de la distribution de cet impact sur toute la population en fonction de différentes caractéristiques.
- Le développement durable : en insistant non seulement sur les impacts directs ou indirects immédiats, mais aussi sur les impacts à long terme.
- L’aspect éthique de données probantes : en insistant sur l’utilisation rigoureuse de données quantitatives et qualitatives produites dans différentes disciplines et selon des méthodes scientifiques [11].

Un momentum

Aujourd’hui, de plus en plus de connaissances sur l’impact des déterminants, des grilles d’analyse de situation, des outils d’aide à la décision, des approches intégrant social, santé et développement durable sont disponibles. Éveillant à de nouvelles pratiques et de nouveaux savoir-faire, leur utilisation apporte pertinence et efficacité aux actions entreprises. Ils mériteraient plus de reconnaissance et plus d’efforts pour leur diffusion et leur implantation.

La crise sanitaire a amplifié les inégalités sociales de santé et révélé comment tous les secteurs de la vie en société sont interconnectés et interdépendants. Des prises de conscience s’éveillent à d’inévitables changements de valeurs et organisationnels de notre société et créent des opportunités pour :
- Encourager la recherche et la diffusion de la connaissance sur les facteurs de risque et les déterminants des maladies dites de société.
- Élaborer des politiques sociales, de santé et de développement durable, conjointes.
- Développer des interventions favorables à la santé qui agissent sur l’environnement, la qualité des denrées alimentaires, la mobilité, l’accessibilité aux services, les inégalités socioéconomiques, la cohésion sociale.
- Soutenir les efforts des communautés dans l’expression de leurs besoins et des réponses à y apporter.
- Intégrer la population dans les lieux où se prennent des décisions qui la concernent.
- Considérer les personnes dans leur parcours de vie et leurs milieux de vie.
- Rechercher une meilleure efficacité par la coopération entre acteurs et secteurs différents.
- Créer des partenariats intersectoriels qui réduisent les chevauchements et la mise en concurrence des ressources.

Nous nous trouvons aujourd’hui à la croisée des chemins entre le développement croissant des maladies chroniques et l’émergence d’une autre vision de la santé. Si la crise du Covid-19 a amplifié les problèmes, elle a aussi été le déclencheur d’une prise de conscience que la santé se produit, s’améliore ou se détruit là où nous vivons, dans une interaction permanente avec nos environnements physiques, sociaux, économiques et environnementaux.

La spécificité « sociétale » des maladies chroniques a transformé les relations entre les malades et les thérapeutes. Partant de la responsabilité du patient et du futur patient dans la survenue et le développement d’une telle maladie, sa participation et son engagement au sein d’une alliance thérapeutique étaient requis, encore fallait-il qu’il y soit « éduqué » et que des actes préventifs soient posés.

Aujourd’hui, le développement de la re-connaissance des impacts des environnements sur les comportements et les différences entre les états de santé qui y sont liés amorce un mouvement sans doute lent, mais pourtant irréversible du soin à la santé. Parallèlement, le tsunami de l’information renverse les relations traditionnelles entre les patients et les soignants, entre les usagers et les services, entre la population et les élus. L’avenir est à l’horizontalité, à la coopération et à la co-construction [12].

 

[11. La qualité de vie : un enjeu communal, Sacopar, 2018, adapté de N. Cantorregi et J.Simos, Unige

[2M. Whitehead, G. Dahlgren, “What can we do about inequalities in health”, Lancet, n° 338, 1991

[3M.G. Marmot et al., “Contribution of job control and other risk factors to social variations in coronary heart disease incidence”, Lancet, n° 350, 1997.

[4M. Grignon et al., Mesurer l’impact des déterminants non médicaux des inégalités sociales de santé, Rapport de recherche, IRDES, juin 2004.

[5OMS Europe, Promotion de la santé, Charte d’Ottawa, adoptée le 21 novembre 1986 en vue de contribuer à la réalisation de l’objectif de la « Santé pour tous » d’ici à l’an 2000 et au-delà.

[6G. Meurant, La dimension politique du mouvement, document de travail non publié, mars 2018.

[7G. Meurant, « Clarifier son modèle de santé », Santé conjuguée n° 85, décembre 2018.

[8Nations unies, Objectifs de développement durable, Programme de développement durable à l’horizon 2030, 2015, www.sdg.be.

[9« Les 11 critères d’une ville santé », La qualité de vie : un enjeu communal, Sacopar, 2018.

[10OMS, Déclaration d’Helsinki sur la santé dans toutes les politiques 2013, (WHA67.12) 2014, Contribuer au développement économique et social : une action intersectorielle durable pour améliorer la santé et l’équité en santé.

[11Les études d’impact sur la santé dans les villes-santé, S2D, Centre collaborateur de l’OMS pour les villes santé francophones, avril 2006, www.s2d-ccvs.fr.

[12JL. San Marco, « Promotion de la santé et prévention des maladies », Traité de santé publique, 2016.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°97 - décembre 2021

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