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Soutenir l’autonomie tout au long du vieillissement : telle est très clairement l’option des auteurs de cet article et le souhait de nombreux intervenants. Mais le système, la politique de santé n’ont pas été pensés dans cette logique : réflexion interpellante autour d’un parcours d’obstacles.

‘Ancrage et Racines’

Accompagner les personnes âgées pour qu’elles puissent rester à domicile et développer leur projet de vie personnel en s’appuyant sur les ressources locales : c’est sans aucun doute une voie d’avenir, comme nous avons pu le montrer dans un projet pilote mené à Etterbeek1. Nous avons donc voulu élargir cette expérience en proposant, suite à un appel lancé par l’INAMI aux acteurs de terrain (Protocole 3), le projet ‘Ancrage et Racines’. Plus de 35 structures partenaires au sein des cinq communes contactées2 ont adhéré au projet – mais il n’a pas été retenu. Ce que nous proposions était déjà réalisé par les acteurs de l’accompagnement et de la coordination, nous a-t-on dit : ‘Ancrage et Racines,’ n’apportait rien de neuf. Un retour sur le terrain auprès des acteurs3 nous a permis de préciser ce qu’apporte chacun d’eux et de mettre en évidence ce qu’aurait pu amener le projet ‘Ancrage et Racines’. Nous avons aussi mieux compris pourquoi il n’avait pas été retenu. 

Des acteurs multiples sur une scène désintégrée

L’accompagnement des personnes âgées comporte différents aspects : le soin, la prévention, le soutien social. La réponse aux besoins médicaux et de dépendance nécessite la continuité des soins et des aides4 et donc une coordination à large échelle (l’ensemble de Bruxelles). Et, pour trouver des pistes face aux problèmes de logement, d’isolement, de mobilité, etc. il faut soutenir une étroite collaboration entre des ressources formelles et informelles à l’échelle du quartier, de la commune. Ces différentes dimensions doivent être considérées simultanément pour éviter les trous et les doubles emplois, d’autant plus que les professionnels des secteurs concernés font cruellement défaut : tous les acteurs contactés soulignent qu’ils manquaient de temps et de moyens pour pouvoir réellement établir une relation avec la personne, et qu’il n’y a pas assez d’acteurs proches capables de faire le lien entre elle et son milieu de vie. La sécurité sociale et le financement des soins en Belgique : une histoire de frontières… Le problème, c’est qu’en Belgique les services de santé, de la prévention, de l’aide sociale et du social au sens plus large, sont séparés tant au niveau du financement que de l’organisation : l’assurance maladie fonctionne au niveau fédéral et non territorial ; la prévention dépend du pouvoir politique (communautés) ; le social, lui, dépend de l’Etat et des pouvoirs subordonnés (région, commune). Le projet ‘Ancrage et Racines’ partait de l’ensemble des besoins définis par et avec les personnes âgées : son apport principal, et sans doute original, était de proposer une diminution des frontières existantes. Mais nous n’avions pas mesuré à quel point cela risquait de bousculer les fonctionnements habituels et d’atteindre aux prérogatives respectives des différents types de services. Or le secteur de l’accompagnement des personnes âgées est en mal de reconnaissance et de financement ; il est dès lors sensible aux changements qui pourraient le fragiliser encore plus. Le projet ‘Ancrage et Racines’ a donc pu être interprété comme un danger pour les services agréés auxquels les pouvoirs subsidiants confient une mission de coordination ; et, pour les pouvoirs subsidiants, comme un risque de voir mettre en place des tâches déjà remplies par d’autres acteurs financés par l’INAMI ou par l’Etat. L’intervention sociale est souvent entendue comme l’assistance aux plus démunis. Cependant, le social est beaucoup plus large que l’assistance : il comprend aussi l’amélioration d’un environnement favorable au maintien à domicile des personnes âgées, tant au niveau matériel (logement, trottoirs, etc.) que social et relationnel (lieux de rencontre, activités, services, bénévolat, etc.). Les cordons de la bourse Quand l’assurance maladie a été mise en place, l’espérance de vie était nettement moins longue qu’aujourd’hui et la proportion de personnes âgées dans la population beaucoup plus faible ; les problèmes liés à la dépendance des personnes âgées n’ont dès lors pas été repris dans les prestations à couvrir par l’assurance maladie. Le contexte actuel est marqué par les déficits publics et par la difficulté d’accroître les ressources de l’assurance maladie, face à la pression exercée par les marchés pour les réduire. Comment dès lors trouver un consensus politique pour élargir l’assurance maladie aux dépenses liées à l’accompagnement de la dépendance ? Dans un contexte tendu, chaque acteur tente d’accroître ou au moins de maintenir sa part des ressources. L’insécurité provoque un repli sur soi, voire une certaine ‘concurrence’ entre les divers acteurs, ce qui est peu propice au travail interdisciplinaire ; chaque prestataire est payé pour la réalisation d’actes et non pour un accompagnement personnalisé global, ni pour le temps passé à se coordonner avec les autres prestataires. Souvent, pour survivre, les acteurs tentent de trouver d’autres formes de ressources en proposant des services non repris dans la nomenclature des actes remboursés ; ils peuvent alors demander à la personne une contribution financière. Le secteur privé lucratif fait une entrée remarquée dans ce secteur en pleine expansion !5 Mais bien sûr, les prestations qu’il propose sont liées à la solvabilité des personnes demandeuses ; elles ne visent aucunement à assurer la solidarité entre les gens en fonction de leurs besoins et de leurs moyens. Le projet ‘Ancrage et racines’ était centré sur les besoins de la personne âgée, sur son rôle actif dans le choix des intervenants. Il ne pouvait laisser indifférents les acteurs de l’accompagnement et de la coordination des soins et aides aux personnes âgées : il venait troubler la reconnaissance de leur rôle, de leur statut, des fonctions reconnues et financées dans le système actuel. Il touchait aussi à leur lutte pour obtenir la plus grande part possible des financements collectifs afin d’assurer leur développement ou, tout simplement, leur survie et l’emploi de leur personnel6. Quand le système fait obstacle à l’intégration des soins   L’assurance maladie définit selon une nomenclature très précise les actes médicaux et paramédicaux remboursés, les conditions à remplir par les bénéficiaires ainsi que les qualifications du personnel apte à réaliser ces actes : c’est nécessaire dans un souci d’efficience, de contrôle du budget et de la qualité des soins, d’autant plus que la plupart des prestations sont financées à l’acte et effectuées par des professionnels indépendants. De nouveaux métiers se développent dans l’accompagnement des personnes âgées : aide familiale, infirmière gériatrique, garde-malade, coordinations des soins et aides aux personnes âgées, services sociaux pour personnes âgées, centres de jour… Ces métiers se sont battus pour faire reconnaître leur compétence, laquelle est liée à certaines prestations assurant leur financement. Ils défendent chacun leur territoire pour assurer leur visibilité et leur viabilité. Dès lors, bien que chaque intervenant reconnaisse l’importance de donner une place centrale à la personne âgée, celle-ci est confrontée à une multitude d’acteurs ; chacun d’eux œuvre sur un segment précis, et parfois très limité, de ses besoins.

Cherchez l’erreur…

Pour limiter la croissance des dépenses liées à l’accompagnement des personnes âgées, les prestations sont souvent rémunérées en fonction du temps nécessaire pour les réaliser – le temps minimum, bien entendu. Or, il faut du temps pour que la personne puisse être active dans son projet de vie ; un temps bien utile s’il permet de la maintenir plus longtemps autonome, (ce qui diminue le nombre de prestations nécessaires…). Mais aucun prestataire de soins n’est rémunéré pour prendre ce temps. Et il y a un paradoxe : rendre la personne plus autonome pourrait aboutir à ce qu’elle entre dans une nouvelle catégorie où le nombre et la valeur des prestations rémunérées serait plus faible ! Ces impasses ne sont pas liées à la « bonne volonté » des acteurs, souvent très réelle. Mais les contraintes liées au type de financement les empêchent souvent de pouvoir aider la personne âgée à être réellement coauteur de son projet de vie : ils en sont généralement très frustrés. D’un côté, une option : renforcer le rôle actif de la personne âgée dans la définition de son projet de vie. De l’autre côté, un système qui la met dans une catégorie, et qui rémunère les prestataires ou les institutions selon le nombre et la lourdeur des prestations qu’ils peuvent réaliser en fonction de la catégorie dans laquelle est classée la personne… Est-il possible de concilier l’option et le système ? 

Documents joints

  1. Voir l’article précédent.
  2. L’ensemble des médecins généralistes étant comptabilisé comme un partenaire.
  3. Jeanmart, C. & Closon, M., « Comment favoriser le maintien à domicile de la personne âgée bruxelloise (si elle le souhaite) ? », Prospective Research for Brussels, IRSIB – UCL, Bruxelles, 2011.
  4. Difficile à cause de la mobilité des professionnels.
  5. Voir le dossier de Santé conjuguée n°70 : « Europe et marchandisation des soins ».
  6. Robelet M., Bourgueil Y., & Serré, M., « La coordination dans les réseaux de santé : entre logique gestionnnaire et personne âgée », Revue française des Affaires Sociales 1, 2005, 233-260.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 72 - septembre 2015

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