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Pour comprendre le néolibéralisme, on s’est dit qu’il fallait cerner ce qu’est le capitalisme. Mazette ! Rien que ça !

Oser dire quelque chose, de notre place de non spécialistes. Mais pourquoi pas, après tout ? D’autres ont eu ce culot, et qui sont des gamins. Alors, on s’est inspiré de leur travail. Nous avons visité le Musée du capitalisme. Leur approche sans œillère et sans complexe nous a enthousiasmés. Nous avons essayé, avec Marie Dagnely, de nous en inspirer pour construire notre approche du concept de capitalisme. Il y a une difficulté fondamentale à cerner ce qu’est le système capitaliste. Sa complexité, bien sûr, mais surtout le fait d’en faire partie. Comment tu fais pour prendre du recul sur ce dans quoi tu baignes ? Déjà, tu ne t’y colles pas tout seul. Nous avons partagé ce que chacun sait, comprend et en pense. On réalise vite à quel point on est déterminé par des représentations, par notre expérience, et ça nous aide à décaler le point de vue. Première question : Le capitalisme est-il naturel ? Ou plutôt, y a-t-il un capitalisme naturel ? Ou quelque chose de naturel dans le capitalisme ? Parmi nous, certains pensent que le besoin de posséder les choses nous serait naturel. Ça répondrait à une sorte d’angoisse fondamentale. On aurait besoin de se rassurer sur le fait qu’on pourra subsister et maintenir un certain confort. Mais ce besoin n’explique pas l’accumulation systématique et sans limite qui est au cœur du projet capitaliste. D’autres pensent que cette angoisse est entretenue par les institutions du système. Par exemple, le taux de chômage élevé découlerait d’un choix politique, qui entretient un climat d’insécurité peu favorable aux revendications sociales. Est-ce que les enjeux démographiques sont un défi ou une opportunité pour le capitalisme ? Dans la mesure où il a pour principe l’accumulation sans fin, l’extension à de nouveaux marchés, il sera enthousiaste à proposer des solutions techniques pour repousser les limites physiques de la planète. L’enjeu démographique serait plutôt une bénédiction pour le capitalisme. Nous nous sommes ensuite interrogés sur l’aspect politique du capitalisme. En constatant d’abord que, depuis l’écroulement du bloc soviétique, il est devenu plus difficile de penser le capitalisme parce qu’il n’existe pas de mise en œuvre à grande échelle d’une alternative. Les régimes communistes pratiquaient une gestion économique planifiée qui s’oppose au principe de concurrence et à l’économie de marché, qui est le principe de base du capitalisme. Notre système économique est non seulement dominant, mais encore totalisant. On ne peut plus penser en-dehors de ce cadre. Est-ce que capitalisme et démocratie vont de pair ? Le collectif du Musée lie totalement le capitalisme au système de valeurs du libéralisme politique, à la liberté d’expression et à la démocratie représentative. La montée de l’individualisme dans la société semble un phénomène que tout le monde reconnaît. Du coup, une question est devenue centrale à l’approche du capitalisme, celle de l’articulation entre l’individu et la société. Comment concilier l’intérêt, la liberté, la créativité de l’individu et l’intérêt commun ? Est-ce que le capitalisme permet ça ? Le facilite ? Le libéralisme est une idéologie basée sur la valeur de liberté individuelle et qui peut s’appliquer à l’économie, à la vie sociale. Et le capitalisme est un système d’organisation de l’économie qui se réfère au libéralisme. Il y a pourtant un paradoxe à avoir un système qui prône la liberté mais dans lequel l’immense majorité de la population n’est pas libre. La question particulière de la propriété a sa place ici. Qu’est-ce que la propriété ? La propriété privée est le fondement du profit, au cœur du système capitaliste. Pourtant, c’est un concept discutable, en lien avec des représentations. Par exemple, le mouvement des enclosures en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles a fait passer les terres agricoles d’un régime de propriété commune d’usage (la terre appartient à tous et la récolte à ceux qui la cultivent) à un régime privé de propriété de marché. La notion de propriété est parfois abstraite, comme dans le cas de la propriété intellectuelle. La monétarisation de la nature et le prix d’une espèce en voie de disparition posent encore d’autres questions sur la solidité de ce concept. Au terme de cette discussion, le groupe s’interrogeait encore sur le refus de la passivité, sur la nécessité de passer de l’impuissance à l’action. Pour sortir de l’évidence de ce que nous connaissons aujourd’hui comme système économique, pour déceler comment agir, ce qui peut changer, on pourrait essayer de comprendre comment le capitalisme a évolué dans le temps. Et, pour raccrocher au fil du dossier, que représente le néolibéralisme dans cette évolution ? Qu’a-t-il de nouveau ? Il y a eu une évolution du support du capitalisme. Il a d’abord été agraire, la richesse résidant dans la propriété foncière, puis industriel, et enfin financier. Pour autant, le profit fondé sur la richesse foncière n’a pas disparu, non plus le profit industriel. Le néolibéralisme apparaît un moment dans cette histoire sans que sa nature, entre doctrine philosophique et système économique, soit claire. « Maintenant je sais. Je sais qu’on ne sait jamais. » Cette citation de Jean Gabin est la seule qui peut nous servir de conclusion. Nous voilà armés de questions sur ce qui constitue notre angle d’approche : le néolibéralisme. Des questions qui ne nous empêchent pas d’avancer, qui éveillent chez nous une vigilance critique bienvenue et nous engagent à collecter ce que disent des plus savants que nous.

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Cet article est paru dans la revue:

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