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Trop d’antidépresseurs en maison de repos ?


Santé conjuguée n° 46 - octobre 2008

Les prescriptions d’antidépresseurs en maisons de repos atteindraient des chiffres inimaginables. Cette réflexion de la ministre de la Santé pose question : les généralistes seraient-ils des prescripteurs irresponsables ? Ou y aurait-il une autre explication ? Lisons l’avis du Groupement belge des omnipraticiens (GBO), sous la plume de sa vice-présidente.

« Madame la Ministre Laurette Onkelinx Madame, Dans Le Soir du 26/09/08, à l’occasion d’un article de politique générale sur le budget 2009, vous interpellez les médecins généralistes sur le taux inimaginable de prescriptions d’antidépresseurs dans les maisons de repos… « Parfois, un résident sur deux ! ». Oui, Madame la Ministre, tel est l’état de notre population dans les maisons de repos. Nous apprécions votre intérêt pour cette situation dramatique, révélée par nos prescriptions. Et nous sommes à votre disposition pour tenter d’élaborer une politique de santé qui s’attelle à éviter ce que d’aucun qualifie de véritable génocide. « Il y a URGENCE, à tous les niveaux de pouvoir, si l’on veut éviter que le génocide des vieux ne soit orchestré par eux-mêmes, en l’absence de possibilités réelles de vieillir et de mourir dans la dignité » R. Flochon (Le Confluent de juillet 2008). Sans vouloir échapper à nos responsabilités de médecins généralistes et à la nécessité de nous mettre en question au service de la qualité des soins dans nos formations continues, nous voulons étendre la réflexion pour ouvrir le débat concernant cette grave problématique. « Elle a 88 ans et elle termine sa vie, sans plus aucune famille, invalide, dans une maison de repos. La fenêtre de sa chambre donne sur un haut mur blanc lui confisquant tout horizon et tout rayon de soleil. J’exige le changement de chambre, pensant que, dans sa solitude et sa dépendance, la vue d’un horizon sera aussi nécessaire qu’un traitement antidépresseur. Je songe, perplexe, à l’état d’esprit de l’architecte qui a pu concevoir une telle construction, et à l’état d’esprit du responsable de cette maison qui a permis l’occupation de cette chambre par une personne dépendante. » S’il est vrai que certains se resocialisent en maison de repos, n’a-t-on pas cependant, en les plaçant, confisqué la vie à un grand nombre de nos anciens, cette vie pour laquelle, jeunes, ils se sont battus pour en préserver la qualité ? La perspective de la dépendance, de la maladie, souvent chronique, de la mort qui approche pour les amis, le conjoint et pour soi même, n’est-elle pas fondamentalement cause de dépression ? « Celui des deux qui reste se retrouve en enfer » chante J. Brel. Comment prendre en charge médicalement cet « enfer » ? On sait que la vie elle-même est thérapeutique. Mieux que tout ce que la médecine peut offrir. Si nos vieillards sont menacés de désinsertion sociale, les traitements médicamenteux ne tentent que d’en aplanir les effets. Il est de la responsabilité de notre société de développer d’autres solutions pour l’accueil des personnes âgées. Un exemple : développer « l’allocation parentale » pour permettre l’éducation des enfants en bas âge et le maintien à domicile des vieux parents. Dans un contexte de non emploi pour tous, il est regrettable de ne pas promouvoir ces démarches porteuses de qualité de vie. Autre exemple : le séjour en journée en maison qui gère, pourquoi pas, d’autre problématique de la vie (crèche…) et le retour en soirée et en week-end en famille. Parce que l’organisation de la société exige aujourd’hui le travail de tous, l’entourage que leur offrait la vie quotidienne familiale s’est transformé en travail professionnel dit de proximité, avec tous les aléas qu’il comporte : la présence sans tendresse, les soins sans amour… et donc parfois la négligence, ou même la maltraitance… Quand il y a maltraitance au quotidien, il y a perte de dignité et cette maltraitance, ce ne sont pas nécessairement des coups, des violences… mais ce peut être entrer sans frapper, dénuder sans pudeur, faire attendre une ou deux heures avant de permettre d’aller aux toilettes, ne pas rendre accessibles à portée de mains les choses essentielles, obliger d’aller au lit à 17h30 parce que l’équipe de nuit n’assure pas la mise au lit, ce peut être aussi l’indifférence qui pousse le vieillard à ne plus donner son avis, ce peut être aussi le temps qu’on ne prend pas à leur échelle… Combien de vieillards ne sont-ils pas déclarés déments parce qu’on ne leur donne pas le temps de la réponse… oui, un cerveau de 90 ans, ça prend du temps ! La maltraitance, c’est très souvent la réduction des personnels de soins qui empêche de prendre le temps nécessaire à l’humanisation des soins. La maltraitance, c’est aussi une sorte d’acharnement thérapeutique par des soins médicaux qui ne questionneraient pas assez l’état de la qualité de la vie provoqué par une opération chirurgicale ou une réanimation… Voilà pourquoi nous prescrivons tant d’antidépresseurs et d’antipsychotiques, ceux-ci pour leurs effets contre l’agitation. Mais pourquoi s’agitentils donc, nos anciens ? En dehors des effets de la diminution circulatoire sur les cellules cérébrales, serait-ce aussi, pour eux, de voir le monde aller dans un sens qu’ils n’auraient même pas soupçonné possible et pour lequel ils se sentent réduits à l’impuissance de donner leur avis ? Avis qui n’intéresse malheureusement probablement plus grand monde… Madame la Ministre, nous attendons de vous dans ce domaine une véritable révolution ! ».

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Cet article est paru dans la revue:

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