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Secret médical et SIDA : l’information du partenaire


Santé conjuguée n° 55 - janvier 2011

Face à un patient qui refuse d’informer son partenaire sexuel de sa séropositivité, le médecin est tiraillé entre sa responsabilité d’assistance à ce partenaire ainsi mis en danger et le respect du secret médical, base de la relation de con ance avec les patients et devoir d’ordre public.

Le propos du secret médical, du SIDA, et de l’information du partenaire a été abordé antérieurement par le comité d’éthique. Le résumé des débats a fait l’objet d’un article dans la revue Santé conjuguée n°8 en avril 1999 (pages 12-15, consultable sur le site www.maisonsmedicales.org). Cette question, « la séro-discordance au sein d’un couple suivi par le même médecin généraliste » est reprise par le comité d’éthique suite à deux situations rencontrées par un médecin généraliste du comité d’éthique dans sa pratique. Dans l’une de ces deux histoires cliniques, la patiente est séropositive connue. Elle est suivie depuis deux ans par le même médecin généraliste, qui est également le médecin traitant de ses enfants, nés d’un premier ménage et de son compagnon. La jeune femme consulte pour une demande de contraception. Elle informe le médecin que son compagnon n’est pas au courant de son état sérologique. Malgré les incitations répétées du médecin lors de cette consultation et des suivantes, elle refuse de l’en informer. Une seconde situation est retrouvée auprès d’un couple qui consulte avec leur enfant âgé d’un mois. Le mari, seul à parler le français, demande des tests SIDA pour toute la famille, enfant compris. Après discussion avec les parents, il est exclu de réaliser d’emblée le test pour l’enfant. Les parents sont soumis à l’examen en question. Les résultats sont discordants. L’époux fait part au médecin de son intention de cacher sa sérologie à sa compagne, tout en demandant à connaître les résultats de son épouse. Celle-ci est convoquée personnellement et le médecin fait appel à un interprète pour cette consultation. La patiente repart furieuse contre le médecin ne comprenant pas qu’il ait fait appel à un interprète et non à son époux pour lui annoncer son résultat. Face au malaise et aux questions suscités par ces histoires de vie, et fort de l’évolution des données juridiques et ordinales, le comité d’éthique s’est attelé à reprendre ce débat. Mais précisons tout d’abord le contexte dans lequel s’inscrit cette nouvelle discussion.

Situation déontologique belge

Le Conseil national de l’Ordre des médecins a émis en date du 03 février 2007 un avis concernant le secret professionnel, le SIDA et l’information du partenaire. Tout en réinsistant sur le caractère absolu du secret médical et en rappelant sa nalité, le Conseil national n’exclut plus que le médecin puisse transgresser ledit secret lorsque la protection du partenaire sexuel stable en est le but. Il introduit pour ce faire la notion d’« état de nécessité ». Cet avis est cependant assorti de quelques réserves. En effet, le médecin doit inciter de manière répétée le patient à révéler lui-même son état sérologique. Il doit informer le patient de sa responsabilité civile et morale en cas de contagion de ses partenaires. Le médecin doit consigner toutes ces démarches dans le dossier médical. L’avis d’un collègue ayant une expérience particulière de la prise en charge des patients séropositifs peut s’avérer soutenant. Le médecin peut nalement décider d’informer le partenaire, après en avoir averti le patient. Dans son avis du 21 mars 2009, le Conseil national, traitant des mêmes questions réaf rme la démarche exposée ci-haut. Il y explicite la notion d’état de nécessité. Celui- ci est dé ni comme « une situation exceptionnelle dans laquelle la violation de dispositions pénales, de valeurs et d’intérêts juridiques pénalement protégés constitue le seul moyen de préserver d’autres valeurs et intérêts juridiquement supérieurs ». Le Conseil de l’Ordre note qu’invoquer l’état de nécessité équivaudrait à af rmer que le secret médical n’est pas si absolu que cela. Car postuler que le secret médical est absolu signi e qu’il ne peut entrer en concurrence avec d’autres valeurs. Réaf rmant le caractère absolu du secret médical, le Conseil de l’Ordre conclut que l’état de nécessité invoqué par le médecin doit donc être une quasi-certitude. A n d’étayer cette démarche, l’avis de collègues est capital. Le Conseil de l’Ordre s’inquiète nalement des conséquences de la transgression du secret, qui reste un fondement nécessaire à la pratique médicale, pour la relation de soin et la con ance en la médecine, plus largement. L’Ordre des médecins, en renvoyant la responsabilité de la transgression du secret aux médecins, leur ôte la protection que constituait le recours au secret médical comme absolu. Le médecin pourrait donc répondre de sa responsabilité dans des affaires de contagion. Il pourrait également être sollicité pour prouver l’intentionnalité d’une contagion. Cette prise de position nouvelle et singulière n’est pourtant qu’une paraphrase de la jurisprudence en matière de secret professionnel. Elle laisse cependant aux médecins la possibilité de se défendre, quelle que soit la décision prise.

Aspects légaux

Existe-t-il des fondements législatifs ou jurisprudentiels à la pénalisation de la transmission du SIDA en Belgique ? Peu de pays européens se sont munis de lois portant spécifiquement sur la transmission du SIDA. Ne pas légiférer de manière coercitive fut un choix des politiques dans une optique globale de prévention a n de favoriser le dépistage précoce et volontaire, de favoriser les conduites saines et d’inciter les malades à se faire soigner en toute con ance. La Suède fait figure d’exception. La révélation d’un état sérologique positif pour le SIDA à ses partenaires sexuels y est obligatoire. En France, l’année 2004 a marqué un tournant pour la question de la pénalisation de la transmission du SIDA entre partenaires sexuels. Cette année-là, un homme y a en effet été condamné pour avoir volontairement contaminé sa partenaire. Le chef d’accusation retenu a été « administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une in rmité permanente ». Une jurisprudence en la matière a ainsi été établie. La Belgique quant à elle ne dispose pas de lois visant particulièrement la transmission du SIDA. L’article 421 du code pénal belge stipule que « celui qui aura volontairement ou non causé à autrui une maladie ou une incapacité de travail, en lui administrant des substances qui sont de nature à donner la mort ou à altérer gravement la santé » est responsable et donc attaquable ! Ce cadre généraliste est la base légale sur laquelle pourraient s’étayer d’éventuelles poursuites. Il n’y a donc pas de lois spécifiques traitant la question de la transmission du SIDA. Il ressort par ailleurs de ces textes que ni la nature de la faute ni l’intentionnalité de nuire ne sont nécessaires à une condamnation. Le noeud de la question dans les cas portés jusqu’à présent devant la justice française se situait pourtant au niveau de la connaissance de son statut sérologique par le patient, l’intention de nuire et la négligence commise. Ces évolutions jurisprudentielles et législatives posent de façon aigue la question de la responsabilité dans les affaires de contamination par le virus du SIDA.

La responsabilité

Qui est responsable en cas de contagion de partenairesséronégatifs ? À quels égards le médecin peut-il être considéré comme responsable ? Et qu’en est-il des deux autres protagonistes ? La responsabilité des partenaires Que dire de la responsabilité des partenaires sexuels ? Le noeud de la question comme nous l’avons souligné plus haut réside au niveau de la connaissance du diagnostic, de l’intention de nuire et de la négligence du partenaire séropositif. Que dire de son vis-à-vis ? Deux conceptions de la responsabilité s’opposent en effet : celle de la responsabilité partagée et celle du consentement éclairé. Concevoir la responsabilité comme partagée présupposerait un partage d’informations, des demandes d’informations et des demandes de port de préservatif dans le couple. Cela supposerait également que les partenaires soient parfaitement informés et conscients des risques inhérents au SIDA de façon générale. Cela présumerait en n qu’il n’y ait pas de rapports de pouvoir au sein du couple. La responsabilité dans ce cas reposerait donc sur les deux partenaires. Ne pas se protéger lors d’un apport sexuel serait alors aussi condamnable que ne pas révéler sa séropositivité. La responsabilité pénale étant cependant indivisible, cette approche de la responsabilité n’est nalement pas applicable juridiquement. La notion de consentement éclairé quant à elle renvoie au risque spécifique de la situation du couple. Elle suppose donc, en plus d’une connaissance des risques généraux liés au SIDA, une transparence concernant le statut sérologique de chaque partenaire au sein de la relation. Le partenaire contaminé a-t-il été tenu au courant du statut sérologique de son alter ego ? Son consentement était-il libre et éclairé ? Omettre d’informer son partenaire de sa séropositivité serait dans ce cas une faute, celle du malade. La responsabilité de l’information reposerait alors entièrement sur lui. Cependant le partenaire qui ne s’inquiète pas du statut sérologique de son compagnon ne consent-il pas d’une certaine façon au risque pris ? Les aléas de la sexualité Parvenus à ce point de notre propos, il nous semble important de rappeler le contexte dans lequel se déroulent bien souvent les relations sexuelles. Les circonstances se prêtent en effet peu au dévoilement d’une séropositivité. La relation sexuelle suppose une mise à nu émotionnelle et affective. La con ance est ainsi nécessaire à la réalisation de l’acte sexuel. Le plaisir quant à lui renvoie à la pulsion, à l’incontrôlable. Cette vision se trouve renforcée lorsque la spontanéité et l’impulsivité sont valorisés et exaltés par certains discours populaires, s’opposant ainsi aux attitudes nécessaires de raison et de maîtrise. Les conceptions de la responsabilité exposées plus haut renverraient plutôt à une vision maîtrisée et rationnelle de l’échange sexuel, bien loin de la réalité. Les campagnes de prévention à l’initiative des fédérations de planning familial, des mutualités ou des autorités sanitaires oeuvrent entre autres à réduire ce fossé. Les acteurs de ces programmes sensibilisent et informent les jeunes, allant à leur rencontre dans les écoles ou dans les rassemblements de jeunesse. Cela se fait également en interrogeant le vécu des jeunes face au préservatif, à la pornographie, aux infections sexuellement transmissibles ou en abordant les notions d’égalité de genres, de violences physiques ou sexuelles et d’af rmation de soi dans les relations affectives. En effet, la vulnérabilité sexuelle de certaines classes d’âge (dont les adolescents) et de certaines couches sociales ou de genre (féminin en l’occurrence) est manifeste. Certaines périodes de la vie, des histoires de vie compliquées, certaines situations matrimoniales peuvent également constituer des facteurs de surexposition. Ainsi les personnes qui se remettent en ménage seront peut-être dans une quête affective plus pressante et donc plus vulnérables. Les prostituées classiquement se protègent avec leurs clients, mais qu’en est-il avec leur compagnon ? Et que dire de l’usage du préservatif en situation conjugale ou dans les couples stables ? Les vulnérabilités au SIDA sont donc multiples, biologiques, personnelles, sociales et les attitudes de protection théoriques semblent bien éloignées de la réalité. Statuer sur la question de la responsabilité des partenaires reviendrait donc non seulement à démontrer la connaissance de l’état sérologique, mais surtout la volonté de contagion et parfois, la volonté de nuire, qui notons-le, reste tout de même un phénomène marginal. Mais comment aborder la question de la responsabilité sans évoquer les aléas de la sexualité, les égarements émotionnels, les contextes sociaux et affectifs ? La responsabilité du médecin Qu’en est-il de la responsabilité du médecin ? Le médecin n’a accès qu’à ce que veut bien lui dévoiler le patient au sein du colloque singulier. Son in uence sur les actes de son patient, à l’extérieur du cabinet médical est nulle. Celui-ci exerce, in ne son libre-arbitre et jouit de sa liberté individuelle qui fonde sa qualité de sujet et sa responsabilité en tant que citoyen. Le médecin n’est clairement pas responsable des actes de son patient. Sur quelle base serait-il donc attaquable ? Juridiquement, la responsabilité est déduite de la causalité. Ainsi, une conséquence doit être liée de façon linéaire à la cause qui l’a engendrée. Le médecin n’ayant aucune prise sur les comportements sexuels de ses patients, sa responsabilité ne pourrait être invoquée en ces termes. Elle pourrait cependant être liée non pas au rapport de cause à effet, mais à la perte de chance subie par la personne lésée. Le médecin serait alors attaquable, car en n’intervenant pas, il aurait privé le partenaire de la chance de n’être pas contaminé. Ceci est explicité dans l’article 422 bis du code pénal belge qui dé nit ainsi le délit de non assistance à personne en danger : « Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à (un an) et d’une amende de cinquante à cinq cents [euros] ou d’une de ces peines seulement, celui qui s’abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave, soit qu’il ait constaté par lui-même la situation de cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par ceux qui sollicitent son intervention… ». Dans cette logique, tout protagoniste ayant privé, par son silence, la personne lésée de l’opportunité de ne pas l’être serait attaquable. En Belgique, le médecin pourrait donc avoir à répondre de sa responsabilité pour délit d’omission. Cependant, porter assistance à la victime potentielle ne reviendrait-il pas à transgresser le secret médical ? Responsabilité médicale et secret médical Nous sommes donc face à un con it de valeurs opposant l’assistance à une personne en danger et le secret médical tel que dé ni par le Code de déontologie médicale dans ses articles 55 à 70. L’approche du Code de déontologie, plus restrictive, traite du devenir du secret médical dans différentes situations auxquelles pourrait être confronté le médecin. Il rappelle la force symbolique du secret en insistant sur sa fonction et n’en délie formellement le médecin que dans les situations impliquant des mineurs en danger. Juridiquement, l’obligation du secret résulte de sa proclamation en infraction par le Code pénal. L’article 458 bis du Code pénal belge règle la divulgation de données médicales, énumérant un ensemble de situations où le médecin ne serait pas tenu au secret médical, notamment dans les cas où il est appelé à rendre témoignage en justice ou devant une commission parlementaire, dans les cas où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, ou dans des situations relevant de la protection des mineurs. Le médecin est nalement pris entredeux valeurs. À l’échelle individuelle, la non-assistance à personne en danger s’oppose au secret médical. Ce dernier est certes destiné à protéger le patient, mais également l’ordre public, c’est-à-dire institué non pas en faveur du médecin ou du patient, mais en raison de l’utilité publique qu’il y a pour l’ensemble des citoyens à ce qu’il en soit ainsi. Il est donc nécessaire à l’exercice de l’art médical et au service de tous. Renvoyé à un face-à-face avec sa conscience, le médecin peut être émotionnellement mis à mal dans les suivis de couples séro-discordants. Condamnable sur les plans déontologiques et légaux, le médecin pourrait invoquer l’état de nécessité comme cause de justi cation. En effet, dans ce con it de valeurs, la fonction du secret médical qui permet de maintenir la con ance entre le patient et son médecin, et plus encore, en la médecine a n de procurer à toute personne les meilleurs soins, s’oppose au droit à la vie, droit fondamental dont pourrait se prévaloir la victime potentielle et défendue par la notion de non- assistance à personne en danger. Pour rappel, pour que l’état de nécessité soit admissible, il faut que « l’auteur soit confronté à un péril grave et imminent et qu’il ne puisse préserver les intérêts qu’il est obligé de protéger ou fondé à protéger pardessus tout autre sans commettre le fait qui lui est reproché ». Le con it porte donc d’une part sur la hiérarchisation de valeurs juridiques et d’autre part de préceptes de déontologie et de droit. Loin de nous l’idée d’inciter à la judiciarisation de situations déjà compliquées. Le médecin peut et doit en premier recours inciter le patient à prévenir ses partenaires de sa séropositivité. Cependant, le dialogue est malaisé. La question du SIDA est entourée de secrets et de malaises que le fait sexuel ou la contagiosité de la maladie ne suf sent pas à expliquer. D’autres maladies contagieuses, sexuellement transmissibles et même graves, l’hépatite B par exemple pour ne citer que celle-là n’ont pas une réputation si funeste. Cette résistance est-elle due à la distribution particulière de la maladie qui a conduit à la stigmatisation de certains groupes sociaux ? Ce n’est pas impossible. Au-delà de cela, la séropositivité renverrait surtout au sein d’un couple stable, à l’in délité du partenaire. La maladie viendrait alors rompre des liens structurels, affectifs et sociaux. Choisir de rompre la con dentialité reviendrait à assumer le risque de rompre le lien de con ance avec le patient d’une part et peut-être à prendre la responsabilité de rompre des liens importants à l’intérieur des familles d’autre part. Le médecin peut-il se le permettre sans être suspecté d’abus de pouvoir dans la relation asymétrique qui le lie au malade ? Le secret médical en question Y a-t-il encore une place pour le patient entre déontologie et droit ? Le médecin, muni de son arsenal scienti que, déontologique et légal travaille au contact de subjectivités. Le patient adhère-t-il au concept du secret tel qu’il est mis en oeuvre par le corps médical ? Comment des patients issus de cultures non judéo-chrétiennes appréhendent-ils cette notion de secret médical ? On pourrait décrire à ce propos un double clivage. Dans certaines cultures, le « secret médical absolu » est inconcevable face à des impératifs de santé publique. En Belgique, bien que la loi oblige les médecins à déclarer certaines maladies infectieuses qui pourraient constituer un danger pour la population, cette déclaration reste anonymisée. Dans d’autres contextes, le secret médical tel qu’il est vécu par la « culture » médicale, lié exclusivement au patient, est impensable. Les dynamiques familiales et groupales prédominent et le secret est non exclusif, mais d’emblée partagé par la famille ou le groupe. De surcroît, l’absence de contractualisation de la relation de soins rend la notion de secret médical bien vague et sujette à interprétations de part et d’autre. On pourrait imaginer idéalement que la relation de soin et le secret qui y est associé fassent l’objet d’un « contrat de soin global », qui soit recontextualisé à chaque acte médical. En n dans la situation qui nous occupe, la relation de soin n’est plus duelle. Elle est devenue triangulaire et concerne désormais le médecin et les deux partenaires. Discuter à trois pourrait d’ailleurs être une alternative pour faire face au malaise de la révélation du diagnostic. On pourrait aussi imaginer que le médecin fasse appel à un soignant extérieur à la relation pour annoncer le diagnostic ou inciter le patient à informer son partenaire. Cette dernière possibilité pose cependant la question de la compétence du médecin traitant pour annoncer des « nouvelles graves ». Ce genre de mission n’échoit-elle pas plutôt aux psychologues ? Il nous a semblé important de réaf rmer la spécificité de la relation de soin et l’importance du lien thérapeutique. Les progrès technologiques sont fulgurants dans le domaine de la santé et la médecine en devient de plus en plus performante ; personne ne songerait à s’en plaindre. Cependant, face à cette médecine ultra-technicisée, le lien se trouve malheureusement souvent expulsé de la relation de soin. Recourir à des personnes extérieures pour annoncer un fait grave n’est-ce pas nier justement la relation thérapeutique ? L’annonce de mauvaises nouvelles reste de toute façon une démarche complexe et délicate.

Questions d’éthique

Notre société semble évoluer indéniablement vers un renforcement des libertés et des droits individuels. La loi sur les droits du patient en est une illustration. L’exigence des patients à l’égard des médecins et de la médecine s’en trouve accrue. Les médecins, armés de la science sont désormais acteurs de programmes de prévention aux béné ces lointains. Dans un tel contexte, les attentes des patients ne seraient-elles pas plutôt du côté du dévoilement ? Y a-t-il une cohérence de la part des médecins qui tiennent des discours de prévention de plus en plus pressants, incitent les patients à des attitudes de vie plus saines et qui parallèlement occultent, face à un couple séro-discordant, la question de la contagion ? Le médecin ne serait-il pas en droit ou en devoir d’invoquer l’état de nécessité ? Il est malaisé d’apporter une réponse univoque à cette interrogation, tant les implications sont complexes et les histoires de vie variées. En effet, rappelons que la question des responsabilités du patient, du partenaire et du médecin se révèle épineuse. Rappelons également que les politiques de prévention s’appuient sur une approche du secret médical comme absolu. Par conséquent, si un malade risque d’être considéré comme coupable, si le médecin risque d’être accusé de non-assistance à personne en danger, la con dentialité et par là même le colloque singulier (socles des politiques de prévention et de prise en charge dont le dépistage volontaire est un des axes principaux) seraient en danger. Rappelons en n que l’une des fonctions du secret médical, outre d’assurer les intérêts du patient est de garantir la con ance des patients dans la médecine. Nous pouvons donc seulement af rmer, à la suite de l’Ordre des médecins que les justi cations de la transgression c’est-à-dire de l’état de nécessité doivent être à la hauteur de l’importance du secret. Finalement, c’est la résistance des patients, refusant d’informer leurs partenaires sexuels, conjuguée au malaise fantasmatique dont est entouré le SIDA qui pose un problème au médecin. Le consensus qui se dessine en n de discussions plaide pour une réaf rmation de la nécessité et de l’importance du secret médical absolu pour une prise en charge adéquate des patients et un exercice éthique de la médecine. Le comité d’éthique plaide également pour le dialogue, loin des politiques de criminalisation. Au regard des évolutions de la jurisprudence, de l’évolution légale et déontologique, la hiérarchisation des lois semble pourtant ouvrir la porte à un risque de judiciarisation de situations déjà bien dramatiques. Sont membres du comité d’éthique Monique Boulad, médecin généraliste Natacha Carrion, médecin généraliste Jean-Philippe Cobbaut, philosophe Paul Decruyenaere, kinésithérapeute Marie Duhaut, in rmière enseignante Michel Elias, psychanalyste Axel Hoffman, médecin généraliste Caroline Kamdoum, médecin généraliste Saphia Mokrane, médecin généraliste et anthropologue Isabelle Nahon, médecin généraliste Thierry Poucet, journaliste Olivier Schmitz, anthropologue

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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