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Science et religion : le calme après la tempête ?


Santé conjuguée n° 39 - janvier 2007

Dans ma jeunesse (…) un jeune catholique entreprenant des études supérieures scientifiques était considéré par certains professeurs comme en grand risque de perdre la foi. (…) Les scientifiques ont depuis lors pris plus clairement conscience des limites de leur démarche ; les théologiens ont pour leur part reconnu la nécessité de soumettre les textes sur lesquels ils se fondent à certaines formes de critique tenant compte par exemple du contexte culturel dans lequel ces textes furent écrits. (…) Mais des interrogations subsistent : l’adhésion à un dogme est-elle acceptable pour un esprit scientifique ?

En ces termes, l’astronome Jean Delhaye (in Delumeau) pose une question qui peut sembler déborder le cadre de notre revue centrée sur la santé mais qui pourtant interpelle les soignants que ce soit dans leur rencontre avec les patients, dans leur cheminement personnel ou encore lors de questionnements éthiques. C’est pourquoi, en toute humilité face à l’immensité de la question (et à son insolubilité, mais ceci est une opinion personnelle), nous exposerons ici quelques réflexions contemporaines susceptibles de nourrir la réflexion. Enfin… seul dans l’immensité indifférente

Les religions ont de longue date été la cible d’attaques portées au nom de la raison, et souvent avec virulence. Le livre des 3 imposteurs (Moïse, Jésus et Mahomet) circule depuis le Moyen-Age et l’on répète la sentence d’Abu Tahir : « En ce monde, trois individus ont trompé les hommes : un berger, un guérisseur et un chamelier ». De son côté, l’Eglise catholique ne s’est pas montrée accueillante aux affirmations de la raison qui ne l’agréaient pas, l’épisode le plus connu – il fut loin d’être isolé – étant la condamnation de Galilée. Mais à partir de la Renaissance, ce ne sont plus des individus ou des groupes marginalisés qui remettent en cause le rapport à Dieu, ce sont les sociétés elles-même qui se divisent à ce sujet. Ainsi, quand il parle de sortie de la religion, Marcel Gauchet décrit la lente et cahoteuse appropriation de leur autonomie par les sociétés démocratiques (autonomie non seulement au sens de se donner ses propres lois, mais aussi à celui de « se faire soi-même »). «En tant que croyances, les religions n’ont aucun motif de disparaître. Ce qui disparaît, c’est l’emprise millénaire qu’elles ont exercé sur la vie sociale». (…) « On en attendait (de la religion) qu’elle livre la clé de l’ordre des choses, on allait y chercher la conformité à la loi commune, on entendait s’y plier à une vérité extérieure et supérieure. On lui demande désormais de répondre à une aspiration intensément personnelle». Il y a là une lente et profonde mise en question de notre mode d’être occidental, façonné par deux millénaires de pensée judéo-chrétienne. Ainsi, depuis plus d’un siècle, la science se sent en position de force pour poser des questions (ou même des affirmations) qui bousculent les réponses religieuses à la quête de sens. « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard » écrivait le biochimiste français Jacques Monod, prix Nobel 1965 pour ses travaux sur la régulation génétique au sein de la cellule. Dans Le hasard et la nécessité, un ouvrage qui connut un succès immense au début des années 70, il portait des attaques franches contre la « religiosité judéo-chrétienne » : « S’il est vrai que le besoin d’une explication entière est inné, que son absence est source de profonde angoisse ; si la seule forme d’explication qui sache apaiser l’angoisse est celle d’une histoire totale qui révèle la signification de l’Homme en lui assignant dans les plans de la nature une place nécessaire ; si pour paraître vraie, signifiante, apaisante, l’ «explication» doit se fondre dans la longue tradition animiste, on comprend alors pourquoi il fallut tant de millénaires pour que paraisse dans le royaume des idées celle de la connaissance objective comme seule source de vérité authentique. Cette idée austère et froide, qui ne propose aucune explication mais impose un ascétique renoncement à toute nourriture spirituelle, ne pouvait calmer l’angoisse innée ; elle l’exaspérait au contraire. (…) Les sociétés modernes ont accepté les richesses et les pouvoirs que la science leur découvrait. Mais elles n’ont pas accepté, à peine ont-elles entendu, le plus profond message de la science : la définition d’une nouvelle et unique source de vérité, l’exigence d’une révision totale des fondements de l’éthique. (…) Pour la première fois dans l’histoire, une civilisation tente de s’édifier en demeurant désespérément attachée, pour justifier ses valeurs, à la tradition animiste, tout en l’abandonnant comme source de connaissance, de vérité. Les sociétés « libérales » d’Occident enseignent encore, du bout des lèvres, comme base de leur morale, un écœurant mélange de religiosité judéo-chrétienne, de progressisme scientifique, de croyance en des droits « naturels » de l’homme et de pragmatisme utilitariste. (…) Le mal de l’âme moderne, c’est ce mensonge, à la racine de l’être moral et social (…) ». Cette profession « de foi » brutale en la science comme seule source du vrai ne connaît pas la nuance… D’autres auteurs stigmatisent l’imprégnation des religions dans nos consciences, comme Michel Onfray dans Féeries anatomiques : « La Torah, la Bible et le Coran qui, et pour cause, ne fournissent aucune réponse directe aux questions posées aujourd’hui par les progrès de la science, regorgent d’interdits, de lois, de règles, de tabous, de codes qui, au nom d’un Dieu qui les inspirerait directement, font régner un ordre mental, spirituel, philosophique, ontologique, métaphysique, et pour tout dire politique, dont on ne perçoit même plus le détail ni le fonctionnement tant nous sommes construits par lui. Le monothéisme agit en point aveugle de toute bioéthique post-moderne.
Les comités d’éthique, les commissions qui réfléchissent sur ce sujet, les parlementaires actifs dans les travaux préparatoires aux textes de loi, les scientifiques associés, les experts mandatés par les gouvernements de droite et de gauche gravitent tous autour du monothéisme, leur religion de formation. Rabbins et Juifs, prêtres et Catholiques, pasteurs et Protestants, imams et Musulmans, mais aussi les francs-maçons dans leur Loge, sous l’œil borgne du Grand Ordonnateur de toute chose, pensent d’une manière unidirectionnelle et, sur les sujets bioéthiques, dispensent des avis au mieux prudents, au pire conservateurs. Entre ces acteurs, la différence est de degré, pas de nature. Tous partagent les mêmes objectifs : sauvegarder la dignité de la personne humaine, préserver l’humanité, ne pas attenter à l’espèce. (…) Et qui peut leur donner tort ? Qui veut le contraire ? Mais le travail doit s’effectuer en amont de ces déclarations de principe : où se trouve la dignité ? Qu’est-ce qu’une personne ? Quid de l’humanité ?(…) Le droit et la loi, la vertu et le bien relèvent-ils d’absolus figés, platoniciens, ou de définitions susceptibles d’aménagements nouveaux ? ». Les débats autour de la proposition des Eglises de glisser dans la rédaction du projet de Constitution européenne une référence à la transcendance, et donc à l’influence dominante du christianisme sur l’identité européenne, ont illustré à leur manière cette prégnance du monothéisme dans notre culture (voir à ce sujet l’excellent dossier de la Revue Nouvelle 2003/1). Cette constance du religieux à occuper les lieux de « sens » a en effet dirigé nos consciences durant tant de siècles que toute notre culture ne peut s’empêcher d’y référer, même quand elle croit s’en évader, par exemple dans la « religion des droits de l’homme ». Ecoutons Edouard Delruelle : «… un certain humanisme philosophique qui ne fait rien d’autre qu’ériger l’Homme en substitut métaphysique de Dieu… Mettre l’homme à la place de Dieu, n’est-ce pas reconduire le dispositif idéologique dont on prétend se libérer et risquer de faire des droits de l’homme une sorte de religion séculière ? ».
«… nos valeurs et nos certitudes n’ont rien de transcendant, mais sont toujours des montages historiques particuliers ».
«… faire de la fondation du sens un lieu vide… l’absence radicale de transcendance ne signifie pas l’absence de sens mais la possibilité d’une exploration illimitée du monde et de soi… ».
Delruelle décrit une triple dimension caractéristique de toute culture : dimension horizontale des échanges sociaux, dimension verticale des rapports de pouvoir, et enfin dimension transversale du symbolique et du religieux… Avec l’invention de la démocratie, l’instance symbolique transversale est vidée, – ici Delruelle rejoint Gauchet, ou encore Claude Lefort pour qui la démocratie s’institue dans la dissolution des repères de la certitude. Personne ne peut prétendre occuper de manière privilégiée le lieu du sens. La parole cesse d’être rituelle et magique pour devenir publique et critique. Naissance de la liberté non plus économique ou politique mais symbolique : je pense par moi-même.

Science et religion : l’irréductible antagonisme ?

Jean Bricmont, professeur de physique à l’Université catholique de Louvain, ne pense pas que, après des siècles de conflit et de séparation entre science et foi, l’heure du dialogue soit venue. Même si le « positivisme » n’est plus de mise en philosophie, si la science, post-quantique et post-gödelienne, a appris la modestie, si les théologiens se sont mis à l’écoute de la science qu’ils ont renoncé à régenter, il veut montrer que, si elles sont bien comprises, la démarche scientifique et la démarche religieuse sont inconciliables. Il développe une critique en quatre axes qui lui semblent caractériser les principales attitudes des croyants face à la science (Nous reprenons ci-dessous de larges extraits – non critiqués – d’un texte de Jean Bricmont dont références dans Sources).

Le concordisme La science contemporaine offrirait elle-même de bons arguments en faveur de l’existence d’une transcendance. La mécanique quantique, le théorème de Gödel, le Big Bang, la théorie du chaos suggèrent un au-delà : l’univers semble avoir été fait en fonction d’une certaine finalité et témoigne de l’existence d’un Grand Architecte. La tradition religieuse nous a laissé l’illusion que nous étions le sommet de la création. Mais il n’y a aucune raison de croire que nous pouvons répondre à toutes les questions que nous nous posons. Il est normal qu’il y ait de l’inexpliqué. Pour les partisans du concordisme, l’analyse objective du monde suggère l’existence d’une transcendance invisible : les champs électromagnétiques ne sont pas observables de façon directe, on observe leurs conséquences et on en infère leur existence. Pourquoi ne pas procéder de la même façon avec Dieu ? Pour une raison simple : comment spécifier ce qu’est Dieu ? Lorsqu’on fait des hypothèses scientifiques, on les formule de façon mathématiquement précise et on en déduit des conséquences observables. Comment procéder ainsi pour le transcendant ? Une façon de donner un contenu à l’idée de divinité, c’est de se tourner une « révélation ». Mais il faut éviter de tomber dans un raisonnement circulaire. On ne peut pas accepter d’emblée qu’il s’agisse là de la parole de Dieu, au contraire, c’est ce qu’il faut établir. Or, il n’existe pas de révélation qui soit empiriquement correcte dans les domaines où l’on peut la vérifier. Le fait que nous n’ayons aucune explication d’un phénomène n’implique nullement qu’une explication théologique devient subitement valable. En fin de compte, le Dieu soi-disant découvert par la science, tout comme le hasard, n’est qu’un nom que nous utilisons pour recouvrir notre ignorance d’un peu de dignité.

Une réalité d’un autre ordre

L’attitude religieuse traditionnelle s’appuie sur l’idée que la réflexion religieuse donne accès à des connaissances d’un autre ordre que celles accessibles à la science : l’approche scientifique ne donne qu’une connaissance partielle de la réalité. Il faut une approche non-scientifique pour appréhender cet autre aspect de la réalité, approche qui indique le chemin vers une transcendance. Cette démarche utilise l’aspect subjectif de notre expérience : nous sentons « qu’il y a quelque chose qui nous dépasse ». Mais comment s’assurer que notre expérience subjective donne accès à des entités existant objectivement en dehors de nous, Dieu par exemple ? Notre approche subjective du monde ne nous permet pas plus d’inférer l’existence des êtres postulés par les religions (Dieu, l’âme, etc.) que notre approche objective. On ne peut prouver l’existence d’un être que par des arguments tirés de sa cause ou de son effet, et ces arguments se fondent entièrement sur l’expérience. Si nous raisonnons a priori, n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi : la chute d’un galet peut éteindre le soleil. C’est seulement l’expérience qui nous rend capables d’inférer l’existence d’un objet de celle d’un autre. Ou nous raisonnons a priori, mais alors nous devons nous limiter aux objets mathématiques ou nous nous intéressons à des faits et nous devons utiliser des arguments fondés sur l’expérience. Raisonner a priori sur des objets non-mathématiques et vagues tels que la Substance ou l’Être ne peut produire que « sophismes et illusions ». Une version moderne de l’illusion métaphysique consiste à dire que la science répond à la question du pourquoi, mais pas du comment. C’est un faux problème. Insister sur le « pourquoi » renvoie implicitement soit aux explications finalistes impossibles à tester, soit à des explications « ultimes » également inaccessibles (toutes les explications scientifiques s’arrêtent quelque part). Il y a une différence entre dire que la science nous donne une description complète de la réalité et dire qu’elle en donne la seule connaissance accessible à l’être humain ; la confusion entre ces deux propositions est entretenue par les croyants, ce qui leur permet d’attaquer le « scientisme ». Une fois que cette distinction énoncée, des édifices entiers de métaphysique et de théologie s’effondrent.

Des domaines de compétence distincts

Les attitudes ci-dessus défendaient la place de la théologie face à la science. Une autre position consiste à séparer totalement les domaines ; la science s’occupe des jugements de fait et la religion s’occupe d’autres jugements, par exemple les jugements de valeur, le sens de la vie, etc. Cette position est différente de la précédente qui cherche à atteindre des vérités d’un autre ordre que les vérités scientifiques, mais qui sont néanmoins factuelles (l’existence de Dieu, etc).
On entend souvent dire qu’on ne peut pas déduire logiquement des jugements de valeur à partir de jugements de fait. C’est vrai, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas une façon scientifique de raisonner en matière éthique qui s’oppose à l’attitude religieuse. Cette approche est l’utilitarisme qui repose sur un seul principe éthique non factuel, à savoir qu’il faut globalement maximiser le bonheur. Ce principe ne peut pas être justifié scientifiquement, mais, une fois admis, à cause de son caractère intuitivement évident, tous les autres jugements moraux sont ramenés à des jugements du type : est-ce que telle action tend à augmenter le bonheur global ? Les adversaires de cette approche font remarquer que la notion de bonheur est vague et les calculs utilitaristes souvent impossibles à effectuer. Cela est vrai, mais quelle alternative proposer ? On peut justifier a contrario l’utilitarisme en faisant remarquer qu’il est difficile d’imaginer une action qui serait moralement justifiée alors que celui qui la commet sait qu’elle tend à diminuer le bonheur global.

Croire pour se sentir bien

Il existe une tradition de « révolte contre la raison », dont on trouve des accents chez Pascal ou Nietzsche, et qui rejette toute la discussion précédente en admettant volontiers qu’il n’y a pas d’arguments rationnels en faveur de la religion, et qu’en fin de compte il s’agit uniquement d’un choix personnel. On peut croire, même si c’est absurde, surtout si c’est absurde. Ce genre d’attitude est de plus en plus populaire avec la montée du « postmodernisme » et de l’idée que ce qui est important n’est pas de savoir si ce qu’on dit est vrai ou faux. Ce qui compte, ce sont les effets pratiques d’une croyance ou le rôle social qu’elle joue dans un groupe donné. Cette position n’est pas sincère et cela se remarque dans les choix de la vie courante : dans la vie matérielle, les “subjectivistes” comparent les différentes possibilités et tentent d’effectuer des choix rationnels. Ce n’est que lorsqu’on se tourne vers des questions « métaphysiques », qui n’ont pas de conséquences pratiques immédiates, que tout devient une question de désir et de choix subjectifs. Ensuite, cette position est dangereuse, parce qu’elle sous-estime la notion de vérité objective, indépendante de nos désirs et de nos choix : lorsqu’aucun critère objectif n’est disponible pour départager des opinions contradictoires, il ne reste que la force pour régler les différends.

Et pourtant

Les avis précédents expriment un sentiment de profonde incompatibilité entre science et religion. Et pourtant, nombre de scientifiques, aussi bien ceux impliqués sur le terrain (des soignants notamment) que les théoriciens, vivent leur foi sans conflit. Dans « Le savant et la foi », l’historien Jean Delumeau rassemble le témoignage d’une vingtaine de scientifiques de haut niveau qui affirment leur foi chrétienne. Leur argumentation parfois tombe sous les critiques exposées par Jean Bricmont, parfois les démontent. Nous ne détaillerons pas ici ce débat mais nous contenterons de citer quelques arguments significatifs ou fréquemment retrouvés. Nombreux sont ceux qui pensent que science et foi ne s’excluent pas et ne se contredisent pas parce qu’elles ne se situent pas sur le même plan : un tableau de Rembrandt ne sera jamais réductible à une addition de coups de pinceaux et d’ingrédients chimiques. Le génie de Rembrandt est du domaine de la liberté et la liberté envoie forcément à Dieu. Paul Germain, mathématicien, déclare : « Je crois ; rien à voir avec un discours scientifique ».
Ils refusent aussi avec force de s’en remettre au hasard et à la nécessité pour rendre compte de l’évolution de l’univers. Poser la question du sens de notre vie, c’est se déporter au-delà de la science, qui ne peut fonder aucune autorité morale ni fournir des bases intangibles au bien et au mal.
De manière inattendue, on retrouve souvent une variante de l’argument utilitariste évoqué par Jean Bricmont : la maximisation du bien commun semble avoir pris le dessus sur les théodicées doloristes ou réservant à l’au-delà les bienfaits que nous refusaient les anciennes conceptions du monde comme vallée de larmes. Evidemment, cette prise de position s’enracine non pas dans l’axiome utilitariste mais dans le message du Christ… (précisons que nous sommes ici dans le domaine d’un ressenti et non dans celui d’une analyse comparée du christianisme et de la philosophie de Bentham et Mills ou des théories de la justice de Rawls). Pour un chrétien, le monde n’a de sens et l’amour de Dieu pour sa création ne peut devenir transparent à travers lui que s’il accepte de mettre la première place les souffrants et les rejetés. Dans cette perspective, l’hôpital devient un point de rencontre exceptionnel entre la science et la religion. Ces savants ne sont pas toujours tendres avec l’Eglise. Ainsi Jean Dorst, ornithologiste et écologiste, membre de l’académie des sciences, demande que « la théologie chrétienne fasse sa cure d’amaigrissement et se débarrasse des ajouts tout humains afin de permettre à la foi, pure transmission de la Révélation divine, de se dégager elle-même de toute la gangue d’aspect philosophoïde qui occulte l’essentiel ». A cette condition, rien dans la biologie, ne permettra d’infirmer l’existence d’une Volonté suprême. La spiritualité des scientifiques ne se cristallise par ailleurs pas toujours dans une religion révélée. Ainsi, dans les années 1960, des scientifiques des universités de Princeton et Pasadena (Etats-Unis) ont créé un courant d’idées qui connut un certain retentissement sous le nom de Gnose de Princeton, qui mêlait cosmologie, philosophie, théologie et positivisme matérialiste pour développer une forme de spiritualité nourrie de techniques orientales et tendant vers une sorte de panthéisme. Le rapport entre science et foi est envisagé de manière fort différente dans le monde musulman traditionnel. Dans La religion à l’époque de la science, le docteur Yoûssouf al-Qaradâwî (proche des Frères musulmans) met en évidence le parallélisme de l’essor de la religion et du développement remarquable de la science (à l’époque la plus brillante du monde) dans les premiers siècles de l’ère musulmane. Ni la science ni les idéologies ne peuvent remplacer la religion qui organise la vie en société et demeure la référence première et dernière. Les critiques les plus acerbes sont décochées vers le positivisme de Auguste Comte, considéré comme le symbole d’un Occident orgueilleux, dominateur et matérialiste. Les tensions entre raison et religion n’ont pas manqué d’intéresser les psychologues. Pour Françoise Dolto, la célèbre psychanalyste : « A l’élaboration des Évangiles président, entre autres, les lois de l’inconscient de Jésus, des rédacteurs et des premiers auditeurs. Ces lois font partie intégrante de la structure de ces récits. Pourquoi ne pas aborder leur lecture avec ce nouvel outil : la psychanalyse ? ». Interrogée sur le risque qu’une « psychanalyse des Ecritures » peut faire courir à la foi, elle affirme que loin d’ébranler la portée du message, l’application inédite d’une telle grille de lecture ne peut que l’enrichir : « La lecture des Evangiles produit d’abord un choc en ma subjectivité (…) Je découvre que ces textes illustrent et éclairent les lois de l’inconscient découvertes au siècle dernier. (…) Voilà deux mille ans qu’ils sont lus, ils font toujours effet de vérité au plus profond de tout être qui les lit. ». Antoine Vergote, professeur à la faculté de psychologie de l’université catholique de Louvain et docteur en théologie, distingue trois zones de frictions où s’opposent la religion et le désir d’autonomie d’où la raison tire sa force créatrice. D’abord, même si elle sait cette tâche infinie, la raison ambitionne d’élucider tout ce qui fait mystère et ne peut admettre un « Tout-Autre » qui lui échappe définitivement ; ensuite, la raison scientifique ne peut accepter des vérités présentées comme éternelles ; enfin, la raison scientifique ne peut accepter des vérités “intérieures” qui lui échappent. A l’époque, sur base d’enquêtes menées entre 1948 et 1958, le professeur Vergote rapporte que moins de 20% des français voient une contradiction entre science et foi. Il prend acte à la fois du repli du scientisme triomphant et du renouveau théologique qui recentre la pensée religieuse sur ce qui est éternel, prémisses voisines de celles de Jean Bricmont, mais dont il tire d’autres conclusions : « Plus que les sciences, c’est son propre passé qui semble témoigner contre la religion. (…) Le conflit est aujourd’hui d’un autre ordre et plus radical : c’est dans l’interprétation philosophique du monde et de l’existence que renaît la tension entre la transcendance de la foi et l’autonomie de la raison ». Sans doute ce recentrage de la question rend-il davantage compte de la sensibilité actuelle autour de cette problématique. Une sensibilité exprimée avec limpidité par Théodore Monod lors de ses entretiens avec Sylvain Estibal, quant à la question « Il n’y a pas chez vous d’opposition entre science et religion ? ». Il répond : « Je ne vois pas comment une telle opposition pourrait naître, sauf à attribuer aux textes bibliques une compétence qu’ils n’ont pas… Le grand problème est de savoir si la vie est née d’une intention. Deux systèmes sont possibles. Ou bien son apparition s’explique par le pur hasard, par des mutations aléatoires (…) ou bien l’apparition de la vie répond à un projet. (…) Les apparences me semblent favorables à cette hypothèse. J’ai de la peine à croire que le hasard explique tout. (…) Difficile d’imaginer que cette gigantesque montée de la vie avec ses différenciations et ses adaptations prodigieuses ne réponde pas à un projet. De qui ? Je n’en sais rien. »

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 39 - janvier 2007

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