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cover_site-2.pngLa réforme de la santé mentale dite « psy 107 » a été initiée il y a quelques années par des projets pilotes. Début 2016, nous devions passer à la phase d’implémentation définitive mais la ministre de la Santé a préféré évaluer la situation en profondeur en créant un « organe de concertation 107 » qui regroupe un ensemble de représentants du terrain et des experts.

Trois groupes de travail ont été créés, dont un sur les territoires auquel je participe activement au nom de la Fédération des maisons médicales. J’y suis le seul acteur de première ligne généraliste et le texte qui suit est issu d’une note qui a été déposée pour défendre l’idée d’un maximum de cohérence première ligne/santé mentale. Santé mentale et santé tout court sont largement imbriquées : dès lors qu’on structure le système en santé mentale, il est impératif de le faire en tenant compte de l’ensemble du système au niveau locorégional, lequel est jusqu’à présent très peu organisé au niveau de la première ligne. Tout le monde s’accorde pour dire que le système de santé doit être centré sur le patient. Comment dès lors mettre cette belle affirmation en pratique ? Historiquement se sont mis en place deux sortes d’organisation : les pratiques de groupe ou services, et les systèmes de type réseau. On peut distinguer les services mono- ou bidisciplinaires, les services thématiques et les services multidisciplinaires de première ligne. Les services mono- (ou bi-) disciplinaires : aide et soins à domicile (ASD), centrale de soins à domicile (CSD)… Ils regroupent un certain nombre de professionnels d’un même type (infirmiers), en y adjoignant éventuellement un service d’aide familiale. Mais ils présentent un inconvénient majeur : le médecin n’est pas présent alors qu’il est, avec le patient, le principal acteur de soins. La coordination entre médecin et infirmière, essentielle, reste difficile. Les services thématiques : service de santé mentale (SSM), centre de planning familial… Ils sont pluridisciplinaires, mais leur travail est axé sur une thématique spécifique, ils ne sont pas vraiment généralistes. Les services multidisciplinaires de première ligne : les maisons médicales et structures apparentées, qui regroupent l’ensemble des principaux acteurs de soins de l’ambulatoire (médecin, kinésithérapeute, infirmier), de même que des travailleurs psychosociaux et de santé communautaire dans une approche strictement généraliste. Pour pallier l’insuffisance de structuration du système au niveau local, diverses initiatives de type réseau ont été prises au fil du temps. En Wallonie on retrouve : – les CCSSD (centres de coordination de soins et de services à domicile, années 80), dans le but de favoriser le maintien à domicile pour les soins généraux ; les CLPS (centres locaux de promotion de la santé, années 90) surtout axés sur la prévention ; – les SISD (services intégrés de soins à domicile, 2003) ; – les PFSP (plateformes de soins palliatifs, 1997) ; – les relais sociaux et relais santé, autour de la thématique de la grande précarité (2003) ; – les réseaux assuétudes (2004) ; – les réseaux psy 107 (2009) ; – les réseaux psy enfants ado (en cours d’implémentation) ; – d’autres en cours d’élaboration : plan maladie chronique, psy personnes âgées… On observera que ces mises en réseau sont en grande majorité focalisées sur une thématique (« silos ») et que leurs territoires sont le plus souvent différents les uns des autres. Chacun a une structure institutionnelle propre et ils sont indépendants les uns des autres, même si certaines concertations peuvent exister entre eux. Il résulte une extrême complexité du système, une opacité pour l’usager comme pour les professionnels et un éparpillement des moyens. En outre, la non congruence des territoires et leurs structures institutionnelles séparées rendent très difficile la mise en cohérence générale du système. La question de l’articulation entre santé mentale et première ligne est essentielle pour plusieurs raisons : Les problèmes de santé mentale touchent une très grande partie de la population à un moment ou l’autre de la vie. Il importe donc de favoriser une accessibilité maximale aux dispositifs et une proximité importante : la première ligne généraliste a un rôle essentiel à jouer. Les problèmes de santé mentale présentent souvent un aspect chronique : la prise en charge continue dans le temps est nécessaire, ce qui est l’une des missions de la première ligne généraliste. La maladie mentale reste honteuse. De nombreux patients « psy » ne sollicitent pas les acteurs spécialisés. Bien souvent, c’est le généraliste qui est sollicité en premier lieu. Gérer la santé mentale en première ligne généraliste est un excellent moyen d’atteindre l’objectif de « déstigmatisation » prôné par l’OMS (déclaration d’Helsinki, 2005). Les généralistes ne sont pas bien formés à la prise en charge de ces patients ni informés des ressources existantes sur le terrain. Les services d’aide et de soins à domicile sont souvent confrontés à des problèmes de santé mentale et sont démunis. Les concepteurs de la réforme « psy 107 » l’ont d’ailleurs bien compris : la réforme accorde une place importante à toute une série d’acteurs hors santé mentale, dont les généralistes. Elle décloisonne le système et c’est très bien mais… va-t-on reconstruire pour chaque pathologie de nouveaux réseaux thématiques avec chaque fois les mêmes acteurs ou presque ?

L’enjeu des territoires

Comment s’y prendre pour faire en sorte que tous ces acteurs dispersés, ces services et ces réseaux puissent fonctionner « en système » cohérent et efficient ? C’est ici que la question du territoire prend tout son sens. Actuellement, créer des synergies entre les différents acteurs de réseau reste très difficile en raison notamment de l’incohérence territoriale. Les territoires étant différents, il est très difficile de négocier des accords entre les acteurs. Prenons un exemple : lors d’une situation de crise la nuit et le week-end, la population fait appel au généraliste de garde. Celui-ci a besoin du soutien de l’équipe mobile de crise (EMC). Il faudrait donc définir des modalités de collaboration entre le cercle, qui a la responsabilité de l’organisation de la garde, et les EMC. Problème : le territoire du cercle X n’est pas le même que celui de l’EMC. Sur celui du cercle, il y a deux réseaux 107 : il doit donc discuter avec le réseau A et le réseau B. Le réseau A, de son côté, doit discuter aussi avec le cercle Y et le cercle Z, qui doit discuter avec le réseau C… et ainsi de suite. Dans ce contexte, il devient impossible de négocier des accords de collaboration entre les « réseaux ». Par contre, si le territoire du réseau correspond à celui du cercle, ou à l’ensemble des territoires de plusieurs cercles par exemple, tout devient possible. C’est ce que nous appelons « la cohérence territoriale » de l’ensemble du système. C’est la condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante à elle seule, pour construire un système de santé au niveau local.

La taille des territoires

Pour organiser un système en réseau, système qui aurait pour ambition de rencontrer au mieux l’ensemble des besoins d’une population, il est indispensable de l’organiser sur plusieurs étages territoriaux correspondant aux diverses fonctions à remplir. Certains services pointus et rares vont devoir répondre à des besoins de la population de toute une région. A l’autre bout, les services généralistes de proximité, comme les maisons médicales, exercent leur action sur un très petit territoire, correspondant à un ou quelques quartiers ou villages. Leur mission n’est pas d’apporter une réponse à tout mais bien à l’ensemble des besoins d’une population en s’appuyant, quand c’est nécessaire, sur la deuxième voire la troisième ligne. Entre les deux, certaines fonctions gagnent à être organisées sur des territoires de taille intermédiaire (exemple : les équipes mobiles, les équipes de soins palliatifs). En décembre 2003, le Gouvernement wallon a déterminé par arrêté les territoires des « zones de soins ». Ce texte regroupe les communes wallonnes en treize zones de 300 000 habitants en moyenne (de 70 000 à 600 000). Ces zones ont servi de base à la mise sur pied des SISD et des réseaux assuétudes. Plus tard, il en a également été tenu compte pour la restructuration des CCSAD. Ces zones de soins ont été conçues pour correspondre au mieux aux « bassins de vie » et aux pratiques déjà organisées, comme les gardes de médecine générale. On remarquera que les zone de soins respectent les territoires des communes, et presque toujours aussi ceux des provinces. Cet élément est important, notamment parce que plusieurs dispositifs comme les plateformes de santé mentale, les plateformes de soins palliatifs, les CLPS, suivent cette logique provinciale. Ces zones de soins pourraient constituer l’« unité territoriale de base » pour l’organisation générale du système. Elles pourraient aussi constituer le territoire des réseaux 107, ce qui permettrait déjà de faire plus facilement le lien avec les SISD (responsables du financement de la concertation multidisciplinaire) et les réseaux assuétudes dont le lien avec la santé mentale est évident. Pour les autres structures – CLPS, Plateforme santé mentale, PFSP… – on pourrait suivre la même logique et, s’il était nécessaire de travailler sur des territoires plus grands, regrouper plusieurs zones de soins pour certains dispositifs (comme par exemple les réseaux psy enfants/ados). A l’inverse, notre avis est que l’action des équipes mobiles de crise devrait s’exercer sur des territoires plus petits pour des raisons évidentes de proximité. Dans la mesure où ces acteurs travaillent à domicile, les distances trop longues provoquent une perte de temps énorme. A notre sens, il est nécessaire que les zones de soins déterminent des sous-territoires de 100 000 habitants pour certaines fonctions. L’expérience du terrain et des réseaux 107 montre que cette taille est la plus adéquate dans la mesure où elle regroupe une offre suffisamment large tout en permettant de rester à dimension « humaine ». Travailler en réseau veut dire travailler ensemble, et pour ce faire il faut se connaitre. Au niveau de la zone de soins, on pourrait ainsi imaginer regrouper l’ensemble des réseaux et envisager par là des synergies intéressantes : – arriver à terme à un système de guichet unique (bâtiments et logistique communs…) ; – créer et tenir à jour des banques de données des acteurs et des services du territoire pour faciliter le travail des acteurs de terrain et rendre le système plus accessible pour la population ; – réduire le nombre d’asbl de réseaux énergivores ; – mieux organiser la permanence des soins (services de garde, pas seulement en médecine générale) ; – mieux définir les collaborations et la répartition des tâches entre les secteurs ; mieux utiliser les moyens, par des économies d’échelle, pour pouvoir les réaffecter à d’autres missions ; – rendre le système beaucoup plus visible pour les professionnels comme pour les usagers ; – permettre une meilleure adéquation de l’offre aux besoins réels de la population.

Limites de territoires ou frontières  ?

Définir des limites territoriales ne signifie pas nécessairement établir des « frontières ». À ce titre, nous plaidons pour ne pas tomber dans l’excès qu’on observe dans certains pays, où le fait de résider sur un territoire oblige le patient à utiliser exclusivement les ressources de « son » territoire. Ceci pour plusieurs raisons : – il est impossible d’avoir un dispositif complet sur chaque zone de soins ; – le besoin de confidentialité : certains patients (particulièrement en santé mentale) souhaitent se faire soigner loin de leur lieu de vie par souci de discrétion ; – un patient qui habiterait à la limite d’un ou deux territoires doit pouvoir recourir aux ressources de chacun pour des raisons de proximité. La seule différence, c’est que dans ce cas il ne bénéficiera pas des effets positifs de la structuration du territoire sur lequel il réside. Nous plaidons donc pour une territorialisation perméable. La territorialisation permet de définir les responsabilités des acteurs sur un territoire donné et de structurer la collaboration entre les acteurs en un système cohérent, mais ne doit pas servir à « enfermer » l’usager sur son territoire.

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

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