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« Réapprendre qu’être humain, ensemble, est essentiel »


Santé conjuguée n° 79 - juin 2017

Le parcours des personnes exilées en précarité de séjour est marqué par le déracinement et des conditions de vie souvent désastreuses. En leur proposant de participer à des projets communautaires, le service de santé mentale Ulysse tente de leur recréer une place dans la société.

Entre les raisons qui ont poussé ces personnes à quitter leur pays d’origine, les embûches du voyage et les conditions d’« accueil » dans notre pays, la santé mentale des exilés est mise à rude épreuve. « Ils demandent la protection. A priori, la situation de risque, ils l’ont quittée, explique Alain Vanoeteren, directeur du service de santé mentale Ulysse. Qu’est-ce qui fait qu’ils sont vulnérables ? Les conditions que nous leur soumettons. »1 Les procédures d’asile et leur logique managériale. La prise de parole forcée par l’autorité. Le no man’s land temporel. La précarité. Face au constat d’une grande solitude et d’une désaffiliation sociale de ses patients, Ulysse décide en 2009-2010 de mettre sur pied des activités collectives. Avec le groupe Repère, il propose à ses patients de visiter des associations qui peuvent les aider dans leur situation particulière. « Puis on s’est rendu compte que cela leur faisait du bien de se reposer par rapport à ces questions. C’est alors devenu un groupe de découvertes, culturelles et ‘touristiques’ », retrace Jacqueline Coeckelenbergh, psychologue. C’est ensuite le groupe Journal qui voit jour pour favoriser l’expression de personnes qui ont souvent souffert de la censure dans leur pays et qui, ici, ne sont pas entendues par les autorités. Textes personnels, poésies, sujets documentés, dessins, chacun s’exprime selon ses envies. « Le témoignage est important pour des personnes qui ne sont pas entendues ailleurs. Certains veulent aussi dénoncer les dysfonctionnements d’un système. Mais parfois, ils ont simplement envie de parler d’autre chose comme de football… », précise Jacqueline Coeckelenbergh. Le groupe Journal ayant été investi surtout par des hommes, Ulysse imagine aussi un lieu où les femmes peuvent se retrouver entre elles, se poser, souffler, échanger : le Jardin des femmes. On y partage compétences et techniques. L’objectif de ces projets ? Recréer du lien social par l’intermédiaire d’un média, qu’il soit artistique ou lié à la construction d’un savoir. « Une pratique artistique permet à la personne de mettre quelque chose d’elle au travail, explique la psychologue. Dans le cadre de la construction d’un savoir, on touche aussi à son fonctionnement à soi. » Mais l’ambition est surtout de « remettre la personne en situation sociale dans un cadre bienveillant afin qu’elle puisse retrouver une place dans la société, insiste-t-elle. Les personnes en situation d’exil et en précarité de séjour ont vécu de mauvaises expériences avec tout ce qui est organisations sociales. Elles ont vécu des rejets, des maltraitances. L’objectif est de les reconnaître comme des personnes qui ont leur place parmi les êtres humains. » « Il s’agit de réinventer une identité collective avec d’autres, dans un espace où on se sent à l’aise, ajoute Alain Vanoeteren. Il faut réapprendre qu’être humain, ensemble, n’est pas forcément dangereux et est essentiel. Réapprendre aussi à prendre la parole, tout en accordant le droit au silence. »2 Les participants, constamment confrontés aux espoirs et désespoirs imposés par les procédures, sont soutenus par ces groupes. Car tout le monde n’est pas atteint par la détresse en même temps. Et les mots pour se soutenir ne sont pas les mêmes que ceux des soignants. Les travailleurs d’Ulysse prennent aussi part aux activités afin de minimiser l’écart entre soignants et soignés. « Dans un contexte de durcissement des procédures d’asile et de régularisation, on ne fait que pallier un défaut d’inscription dans la société. Mais dans ces activités communautaires, il y a toujours une ambiance positive. Même si ces personnes vivent des situations catastrophiques, on est tous autour de la table, d’être humain à être humain », conclut J. Coeckelenbergh.

Documents joints

  1. Lors du midi-débat organisé le 22 avril 2016 par l’Agence Alter et Médecins du monde autour de la problématique de la santé mentale des personnes exilées.
  2. Ibidem.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 79 - juin 2017

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