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Protection sociale et mode de développement


Santé conjuguée n° 57 - juillet 2011

Quelle est la relation entre protection sociale de haut ni-veau et croissance économique ? Faut-il une croissance éco-nomique perpétuelle pour avoir un niveau de protection sociale à la hauteur des besoins, au nord et encore plus au sud de la planète ? De quel financement avons-nous besoin ? Pouvons-nous le trouver dans un modèle qui ne serait plus productiviste ? La question se pose dans un contexte particulier, celui de la financiarisation à une échelle jamais connue dans l’histoire humaine, celui du capitalisme à l’échelle mondiale avec une marchandisation progressive de tous les systèmes de protection sociale, y compris ses deux piliers essentiels (là où ils existent) : l’assurance maladie et le système de retraite. Cette marchandisation produit une double crise, non seulement en termes sociaux mais aussi au plan écologique.

Le contexte : financiarisation, marchandisation, crise

On ne le rappellera jamais assez : c’est la rentabilité du capital qui guide le capitalisme depuis son apparition il y a 3 ou 4 siècles. Dans les pays développés, les fluctuations du taux de rentabilité du capital rythment les fluctuations de l’activité. A partir du milieu des années 60, la chute des taux de rentabilité est flagrante aux Etats-Unis puis au Japon et enfin en Europe occidentale : elle va provoquer la crise des années 70, attribuée de mauvaise foi au choc pétrolier qui n’en a été qu’une conséquence. Au début des années 80, les dirigeants économiques et politiques du monde réussissent à inverser cette évolution au moyen de deux grandes mesures appliquées à un niveau mondial : la liberté de circuler accordée aux capitaux, totale et sans aucune entrave, et la déconnexion des revenus des travailleurs par rapport à la richesse produite. Cela va influencer fondamentalement l’évolution des systèmes sociaux, notamment en ce qui concerne l’assurance-maladie et les retraites, et les mettre à mal en les privatisant. Marchandisation de la protection sociale Dans les pays où elle existe, la protection sociale est financée de diverses manières, notamment par le système bismarckien couvert par des assurances sociales ou par le système beveridgien qui relève de la solidarité nationale souvent par le biais de l’impôt. Une première manière de différencier les modèles se base sur l’assiette des prélèvements nécessaires au financement : soit sur une seule partie de la richesse produite (masse salariale), soit sur toute la richesse produite (tous les revenus). Aujourd’hui, certains gouvernements proposent d’imposer des prélèvements non pas sur base des revenus mais sur la consommation, notamment en augmentant les taux de TVA comme l’a fait l’Allemagne il y quelques années pour compléter les financements de la protection sociale. Diversité par ce biais là aussi. Diversité encore par la couverture : couverture prioritairement collective ou couverture pour partie individuelle, privée. C’est ce que les institutions internationales appellent la couverture à trois piliers : un pilier de base obligatoire couvert collectivement, un pilier complémentaire qui est lui aussi obligatoire et un pilier totalement individuel. Quatrième manière de différencier les modes de financement : par l’ampleur des dépenses de santé. Aux Etats-Unis, les dépenses de santé tournent entre 14 et 15 % du produit intérieur brut, en Allemagne et en France aux environs de 11 %. Ce qui ne veut pas dire que les soins médicaux prodigués dans ces pays sont de moins bonne qualité que ceux prodigués aux Etats-Unis. En comparant des pays comme l’Allemagne, la France (et la Belgique, où les dépenses de santé sont de même niveau), avec celles des Etats-Unis (qui sont pour une bonne part privées), on voit qu’un système de santé collectif ne coûte pas plus cher qu’un système de santé individuel. Alors, lorsqu’on dit qu’il faut privatiser les systèmes de santé car cela revient trop cher, il faut bien se rendre compte que, à soins égaux, le coût de la santé ne diminuera pas mais augmentera par le fait des dividendes que les compagnies d’assurance devront verser à leurs actionnaires. BISMARCK et BEVERIDGE Il existe en Europe deux grands systèmes de financement de la sécurité sociale, chaque pays s’inspirant de l’un ou de l’autre (ou des deux) en l’adaptant. Le système «Bismarck» est de type « assurances » : financé par des cotisations obligatoires, il rembourse les prestations fournies par des praticiens librement choisis. L’ouverture de droits aux prestations dépend de la qualité de cotisant de l’intéressé (et donc de ses revenus). Le système mis en place par Lord Beveridge en 1942, repose sur trois principes : l’universalité, couverture pour tous et même régime de couverture pour tout le monde ; l’uniformité, une aide identique pour tous ; enfin l’unicité, tous les risques doivent être couverts par un système unique. Sous sa forme « pure », ce système est en vigueur dans les pays où la médecine est nationalisée. On peut encore différencier le financement de la protection sociale par la couverture des besoins, approche développée par Denis Porignon (voir son article en page 33 de Santé conjuguée n°55). Sur un autre axe d’analyse, on relève que les inégalités en matière de dépenses de santé sont extrêmement importantes entre pays membres de l’Union européenne. Ainsi les pays d’Europe occidentale, depuis longtemps membres de l’Union ont des dépenses de santé par personne 15 à 20 fois supérieures à celles de la Bulgarie ou de la Roumanie. Ces inégalités au niveau de l’Union européenne ne sont qu’un reflet de ce qui se passe à l’échelle mondiale où on voit clairement un clivage nord-sud. Crise globale : sociale et écologique La crise d’ordre social est maintenant reconnue au niveau international. Le graphique 1 du Fond monétaire international établit que la part du revenu du travail – les salaires – dans la richesse produite ne fait que diminuer depuis le « grand retournement » des années 70-80, à savoir la décision de libérer la circulation des capitaux dans le monde et de déconnecter l’évolution des salaires par rapport à l’évolution de la richesse. Cela ne peut avoir com-me conséquence qu’une explosion des inégalités, comme le montre l’évolution de la part du revenu national détenue par les plus riches aux Etats-Unis depuis près de 100 ans (voir graphique 2 ci-dessus). On voit qu’à une période de grande concentration des richesses entre les mains de quelques-uns dans la première partie du vingtième siècle succède une phase de réduction des inégalités, mais qu’à partir des années 80, la courbe repart à la hausse. Comment l’expliquer ? Après la deuxième guerre mondiale, on a installé une fiscalité progressive sur les revenus, ce qui a entraîné une diminution des inégalités jusqu’aux années 60-70. Mais ces trois dernières décennies, les politiques néolibérales ont imposé leur dogme, prônant un affaiblissement de la progressivité de l’impôt, et les inégalités se sont à nouveau creusées. Les 1 % les plus riches accaparaient 17 à 18 % de la richesse totale en 1917, moins de 10 % dans la seconde période et maintenant, ils en possèdent autour de 20 %. Cette évolution de l’économie américaine se retrouve dans la plupart des pays, un peu atténuée parce que la violence néolibérale a été plus faible ailleurs. Cela a des conséquences très concrètes sur les populations et la crise des dettes publiques, comme le montre la crise grecque. La plupart des institutions internationales et des gouvernements veulent faire payer cette crise par les populations les plus démunies via la stagnation des salaires et la régression voire le laminage de leur système de protection sociale, que ce soit l’assurance maladie ou le système de retraite. Le laminage des systèmes fiscaux progressifs dans les pays européens est incontestable, comme le montre le taux d’imposition marginal (voir graphiques 3 et 4), c’est-à-dire celui sur la tranche la plus élevée de revenus, qui a considérablement diminué en 25 ans dans tous les pays cités. La même évolution est constatée à propos du taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés, réduit d’un tiers ou voire de moitié dans la plupart des pays entre 1980 et 2000. C’est la raison pour laquelle une transformation des systèmes fiscaux en Europe et dans le monde est maintenant une nécessité, que ce soit en matière d’impôts directs, d’impôts indirects (qui évoluent dans le mauvais sens jusqu’à présent), dans le taux de progressivité de l’impôt ou dans les « niches fiscales ». En France, le président a inventé le bouclier fiscal et multiplié les niches fiscales pour un montant de près de 80 milliard d’euros qui profitent essentiellement aux ménages les plus riches. On parle aussi beaucoup de la suppression éventuelle de l’impôt sur la fortune alors qu’il faudrait en élargir l’assiette. Mais toute réforme n’aura de sens que s’il y a une harmonisation fiscale au sein même de l’Union européenne puisque plusieurs pays membres constituent de relatifs paradis fiscaux. Dans le même ordre d’idées, on reparle de taxer internationalement les transactions financières (bien qu’on ait traité l’association ATTAC de farfelue pour avoir repris cette vieille idée des années 30 et de l’époque de Keynes). A ce sujet, il faut corriger un malentendu : on dit parfois que les taxes sur les transactions financières pourraient financer la protection sociale, ce qui est impossible parce que les transactions financières n’ont pas d’équivalent en termes de richesse réelle produite. Il y a un million de milliards de dollars de transactions financières dans le monde (c’est le bas de la fourchette) alors que la richesse réellement produite chaque année est aux alentours de 60.000 milliards. Entre 60.000 et 1 million de milliard, l’écart est important. Ces transactions portent sur des capitaux virtuels, les actions et la myriade de produits échangés journellement sur les places financières ne sont que du capital fictif : si tout le monde voulait liquider ce patrimoine de titres, tout s’effondrerait. Donc les taxations sur les transactions financières ont pour but de casser les reins à la spéculation mais pas de financer les besoins sociaux : la richesse, c’est ce qu’on produit et pas ce qui court à la vitesse de la lumière sur les écrans des ordinateurs entre opérateurs financiers ou spéculateurs. Les questions du financement de la protection sociale doivent être réfléchies dans le cadre de la crise mondiale globale dont l’une des composants est la crise écologique. Dans le graphique de Tim Jackson (voir graphique 5), responsable de la commission du Développement durable britannique, les courbes de consommation énergétique (charbon, gaz naturel, pétrole) suivent celle qui montre la croissance du produit mondial, mais en-dessous. Autrement dit, la croissance de la consommation des ressources fossiles est moins rapide que la croissance du produit mondial. Ce qui veut dire que l’intensité en ressources énergétiques diminue : pour produire un euro de produit intérieur brut (PIB), on a besoin d’un peu moins de ressources énergétiques qu’avant. Mais cette amélioration d’intensité énergétique est plus que compensée par la croissance du produit mondial puisque malgré la diminution d’intensité énergétique, on a une augmentation des consommations énergétiques. On est donc confronté à la raréfaction des ressources naturelles, principalement des ressources énergétiques d’origine fossile qui s’accompagne d’une croissance des émissions de gaz à effet de serre (la dernière courbe montre que les émissions croissent rapidement et sont quasiment parallèles à la courbe de la croissance du produit mondial). Donc, on est au pied du mur non seulement en termes sociaux, à cause des inégalités qui se perpétuent à l’échelle mondiale, mais aussi en termes écologiques.

Quel mode de développement pour une protection sociale de haut niveau ?

La question ne s’arrête pas au financement de cette protection, elle se prolonge inévitablement par celle du modèle de production. Quel financement ? Supposons une production de richesse de « 100 », qui croîtra de 5 % l’année d’après : « 105 » (voir graphiques 6 et 7). Supposons que la première année, la richesse se partage en « 60 » pour les gens au travail et « 40 » au capital. Si le gâteau augmente de 5 %, et si on augmente chaque part du gâteau de 5 %, la structure n’est pas modifiée : on a 5 % de 60 : 63 et 5 % de 40 : 42. A ce moment, la répartition reste la même : 63/105 = 60 % et 42/105 = 40 %. En revanche, si on n’augmente pas chaque part de 5 %, la répartition se modifiera. Par exemple, si au lieu de donner 3 au travail, on lui donne 1, il aura 61, soit une augmentation de 1.67 % et si on ajoute les 4 restant au profit, il aura 44, soit 10 % d’augmentation. Avec une augmentation de 1.67 % pour le travail et de 10 % pour le profit, la répartition passe de 60/40 % à 58/42 %. En France, entre 1980, date du retournement des politiques, et 2008, la productivité du travail, c’est-à-dire la capacité à produire de la richesse a augmenté en moyenne de 1.91 % par an. Comment ce sont répartis ces 1.91 % ? Du côté des travailleurs, 0.66 points des 1.91 sont allés en progression du salaire réel, 0.54 en réduction du temps de travail et 0.26 en augmentation du taux de cotisation pour financer la protection sociale. Le reliquat 0.45 est allé en augmentation des profits, en plus des 1.91 que les profits ont eus. La répartition des gains de productivité a été essentiellement à l’avantage du capital ! Vous voyez les chiffres précédents résumés par le graphique 8 : la productivité horaire en haut, les salaires directs par tête en bas et la décomposition entre les deux en durée du travail, en retraite ou autre cotisation et la part des profits. Ces chiffres, le conseil scientifique d’ATTAC France en a fait la base de son livre sur les retraites publié l’année dernière. La bataille sociale sur les retraites en France a été perdue mais elle a permis de mettre sur la table la question du financement de la protection sociale. L’assurance maladie ou les retraites ne se résument pas à des considérations de démographie ni de niveau de richesse, c’est une question de répartition des richesses. Concrètement : pour financer la protection sociale, que ce soit l’assurance maladie ou les retraites, faut-il une croissance, faut-il des gains de productivité ? Imaginons qu’en 4 décennies la production passe de 100 à 200 (voir graphique 9). Cela signifie que la croissance annuelle moyenne est de 1.75 %. Aujourd’hui, on est à 100 et cela se repartit grosso modo en 65 pour la masse salariale et en 35 pour les profits. La masse salariale (65) va se décomposer en 52 pour les salaires directs et autres émoluments et 13 en retraite. En assurance maladie, ce serait à peu près le même pourcentage. Si la production double sans modifier la répartition capital/travail (65/35), les profits passent de 35/100 à 70 /200 (soit toujours 35 %), mais dans le même temps les besoins sociaux augmentent parce que la population vieillit et il faut davantage de fonds pour financer les retraites et l’assurance maladie. Si en 40 ans la proportion des retraités double et la masse salariale double aussi (de 65 à 130), sans déplacer la frontière entre masse salariale et profits, la répartition va se modifier à l’intérieur de la masse salariale. En effet, si la richesse produite double, les salaires devraient aussi doubler mais comme la population a vu sa composition par tranche d’âge se modifier, il y a deux fois plus de retraités à prendre à charge et il n’est pas possible de doubler le montant de la retraite individuelle. Donc, au niveau de l’individu, les retraites 1 (voir graphique 10) vont rester à 100. Si on ne touche pas à la frontière capital/travail et si la collectivité considère qu’il y a pas de raison que le niveau de vie des anciens travailleurs retraités ne suive pas l’évolution générale, alors le doublement de la production qui va à la masse salariale devra être re-répartie entre salariés actifs et retraités : on ne pourra pas augmenter les salaires d’un facteur deux mais d’un facteur moindre pour prendre en charge le nombre de retraités plus important à qui on accorde une progression parallèle à celle des actifs. A ce moment, on a les deux courbes intermédiaires, salaire 2 et retraite 2 : la progression est moindre mais elle est tout de même réelle puisque on a 56 % en 40 ans ! Ceci dans l’hypothèse d’un doublement de la richesse dans les prochaines décennies, ce qui est improbable à cause de la crise écologique. Faisons le même raisonnement avec une aug-mentation de production de 50 % (ce qui est déjà énorme), soit une progression moyenne de 1 % par an sur 40 ans. On passe d’un indice 100 à 150 pour les salaires directs mais on ne pourra pas augmenter les retraites (elles risquent même de diminuer). A nouveau, si on veut faire bénéficier salariés et retraités de la même progression, on doit modifier la répartition entre salaires directs et prestations sociales à l’intérieur de la masse salariale qui a augmenté de 50 %. C’est ce que montre la courbe intermédiaire qui correspond à une progression limitée de 17 % : même avec un taux de croissance très modeste de 1 % par an, nous pouvons financer une protection sociale. Pour ne voir diminuer ni les retraites ni les salaires directs, il faudrait une progression de la production d’au moins 28 % en 40 ans, soit 0.6 %/an (si la part de la masse salariale ne change pas). Imaginons maintenant que la production n’augmente pas. Avec une production globale qui reste à 100 et la même répartition 35/65 entre profit et masse salariale globale, on peut décider politiquement de compenser des progressions dans certains domaines par des diminutions d’autres (voir graphique 12). Mais on peut aussi se demander de combien il faudrait modifier la répartition capital/travail pour assurer à la fois le maintien du niveau de vie des salariés actifs et celui des retraités. Le calcul montre que la frontière qui se situait à 65 (part des salariés) /35 (part des profits) doit être déplacée d’environ de 12 à 13 points vers le haut. Donc, au fur et à mesure que les contraintes socio-écologiques se font plus dures, l’exigence d’un nouveau partage de la richesse s’impose. En période de croissance économique forte, les gains de croissance finançaient les besoins sociaux : assurance maladie, soins de santé, retraites. Mais les contraintes socio-écologiques s’aggravent, il est plus difficile de parier sur ces gains de productivité. En même temps, l’exigence d’une diminution des inégalités est de plus en plus forte, pas seulement à l’intérieur des pays riches mais aussi à l’échelle du monde. Cette contrainte va déterminer les débats politiques et socio-écologiques de l’avenir. Quel modèle antiproductiviste ? La question qui vient immédiatement après la taille du gâteau à se partager est celle de la nature du gâteau. On n’a pas d’autre source de revenus monétaires que ce qui est traduit par le PIB. C’est pour cela que l’arbitrage entre salaire et profit est le premier arbitrage de la répartition de la richesse produite. Le second arbitrage nous met devant le choix entre augmenter le niveau de vie grâce aux gains de productivité ou utiliser ces gains de productivité pour réduire le temps de travail. Au sein de l’affectation des gains de productivité, la bataille pour la réduction du temps de travail est la première bataille ouvrière et sociale depuis l’aube de la révolution industrielle (XIXème siècle). Cette bataille prend son sens dans l’exigence d’affecter une partie des gains de productivité non pas à une croissance économique perpétuelle mais à libérer du temps humain, à reprendre un peu de maîtrise sur le temps de vie. Ce qui va en sens contraire de l’un des maitres mots du capitalisme néolibéral : la marchandisation. Soustraire un temps de vie au temps aliéné, dominé, exploité, va dans le sens d’une dé-marchandisation de la vie. Je plaide souvent pour que l’on ne confonde pas productivité et productivisme : historiquement (et pour quelques années encore) la productivité peut être considérée comme relativement bénéfique si les gains de productivité sont affectés à autre chose que produire toujours plus et consommer davantage et à condition d’être obtenus sans intensifier le temps-travail ou la ponction sur l’environnement naturel. En 2007, le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) a publié un rapport où sont envisagés 4 scénarios de développement : développement libéral, développement étatique, développement sécuritaire, déve-loppement social et écologique avec démocratie participative. Seul ce dernier mode de développement est à la fois plus efficace économiquement, plus juste socialement et moins prédateur pour l’écologie ; il associe un partage et une réduction des inégalités, il prend en compte la raréfaction des ressources naturelles et se construit par la démocratie. L’ONU progresse donc dans l’association de ces trois exigences : démocratie + social + écologie. Pour conclure, il y a là un enjeu de civilisation, permanent depuis des siècles : un enjeu de répartition de la richesse entre capital et travail, entre nord et sud, un enjeu majeur pour les systèmes de protection sociale. Si nous refusons les retraites par capitalisation, ce n’est pas par peur du risque boursier mais pour une raison fondamentale en termes de solidarité internationale. Dans un monde où les capitaux circulent à toute vitesse sans entrave, si nous plaçons notre épargne dans un fond de pension, ce fond l’investira immédiatement là ou la main d’œuvre est payée au lance-pierre et notre retraite sera assurée en rapatriant une rente prélevée sur des travailleurs beaucoup plus mal payés que ceux du nord de la planète. Le refus de la capitalisation s’appuie essentiellement sur la volonté de faire payer nos retraites non par les petits Chinois (ou Bengalis ou Africains) mais par une nouvelle répartition plus juste et plus équitable de la richesse produite. Derrière ces questions de partage de gain de productivité, de réduction du temps de travail, c’est aussi la place du travail qui est mise en question. La vieille espérance de dépasser l’aliénation du travail continue à être un combat émancipateur. Enfin derrière les finalités du travail, il y a les finalités de la production : il importe de ne plus produire n’importe quoi en la plus grande quantité possible mais de réfléchir au contenu de la production entre exigence sociale et exigence écologique. Je termine sur un point qui pour nous, militants associatifs, peut être la clef de la bataille contre la privatisation de la protection sociale et de l’assurance maladie. Le discours libéral habituel répète que ce qui se passe dans la sphère non marchande (santé publique, éducation publique, etc.) est improductif, parasitaire, prélevé sur le fruit de l’activité marchande qui est pénalisée par ce prélèvement. C’est une ânerie. N’ayons pas peur des mots : les travailleurs de la santé, de l’éducation publique, et les autres produisent de l’authentique richesse qui n’est pas prélevée sur une autre richesse. Le PIB, tout critiquable qu’il soit, contient en son sein le PIB marchand et le PIB non marchand. Les impôts et autres cotisations sociales sont un paiement collectif de cette activité non marchande. Si on paie individuellement un bien marchand, comme une automobile, on ne paye pas directement quand on va à l’hôpital c’est pris en charge collectivement. Le paiement est d’un côté individuel/privé et de l’autre collectif. Mais là où le bât blesse, et nos adversaires l’ont bien compris, c’est que cette activité authentiquement productive produit une valeur qui ne va pas grossir le capital, qui ne va pas rapporter un profit accumulable en capital. C’est là la différence ! Il y a un travail productif dans la sphère du non marchand qui a autant de légitimité que l’activité des entreprises privées conduites par la logique du profit. Ainsi, de fil en aiguille, en partant de la nécessité de transformer nos systèmes de protection sociale pour réduire les formidables inégalités qui existent dans le monde, on arrive à la nécessité de borner la sphère marchande et d’élargir le périmètre de la sphère non marchande dans laquelle les besoins sociaux sont certainement plus en mesure d’être satisfaits qu’à l’intérieur de la première.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 57 - juillet 2011

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