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Plaidoyer pour la médecine générale


Santé conjuguée n° 40 - avril 2007

La médecine générale, trop souvent réduite à un rôle de deuxième plan, constitue un outil central dans l’organisation des soins de santé, tout particulièrement dans le contexte présent qui voit à nouveau se creuser les inégalités. Mais pour qu’elle puisse apporter tout ce qu’elle a à donner, il faut une volonté politique de la soutenir.

Les défis d’aujourd’hui

A travers le prisme de la médecine générale, nous sommes témoins des conséquences médicales et sanitaires des drames environnementaux, des drames humains tels que guerres et immigrations, des conséquences des choix économiques d’hyper-compétitivité et de dérégulation, engendrant stress, précarité, chômage… Nous sommes témoins de la dégradation sociale, des menaces qui planent sur les relations interpersonnelles, individuellement et collectivement. L’individualisme et la prise de pouvoir de l’un sur l’autre s’incrustent au plus profond des mentalités. Les discriminations s’invitent au travail, au logement, au coeur même des foyers : entre homme et femme, entre enfants et parents, entre garçons et filles, entre chef d’atelier et ouvrier, entre collègues de travail, aussi vis à vis des personnes âgées particulièrement menacées de désinsertion sociale. Ces effets délétères, la société choisit de les gérer au moindre coût. Et si aujourd’hui, les pouvoirs publics envisagent des restrictions dans les soins curatifs, ils ne peuvent en prendre la responsabilité qu’en investissant en masse dans la prévention. C’est le défi majeur pour les années à venir. Que sont les progrès les plus spectaculaires en médecine pointue s’ils ne s’allient pas à une démarche volontariste d’amélioration de la qualité de la vie pour le plus grand nombre ?

Pour une réorganisation rationnelle des soins de santé

Pour optimaliser leurs réponses aux défis posés par la santé de notre population, je suis convaincue que les médecins doivent structurer le réseau des soins de santé en promouvant la complémentarité des différentes lignes de soins, pour sortir de la concurrence interprofessionnelle délétère. De par leurs spécificités, nous pouvons penser que les généralistes en sont bien le maillon central. Pourtant, ils tiennent trop souvent le rôle de roue de secours, la médecine générale étant réduite à une médecine subalterne, économique, administrative, d’appoint. On peut penser que l’accessibilité en première ligne des centres spécialisés, de référence ou hospitaliers, améliore l’efficacité des soins pour certains publics cibles, ou certaines maladies. Mais cette stratégie répond moins bien aux besoins globaux de la population et multiplie les actes médicaux superflus avec leurs effets iatrogènes. Le traitement des vieillards en est un exemple frappant : combien de soins excessifs ne leur sont-ils pas prodigués sans tenir compte de la qualité de vie dans son acceptation globale ? L’enseignement universitaire semble faire l’impasse sur cette réflexion. Intégrer la philosophie des soins palliatifs dans les soins curatifs pourrait éviter les excès thérapeutiques dévoreurs d’humanité et de finances. Cela doit s’enseigner ! Et le médecin généraliste peut être un acteur efficace dans cette réflexion conjointe au lit du patient. Il faudra des décisions politiques courageuses pour repositionner réellement centres de référence et autres « prostamobiles » en deuxième ligne. C’est ici qu’il est utile de dire que la réforme de la loi de financement des hôpitaux intéresse au plus haut point les médecins généralistes : il nous importe d’avoir la garantie que l’avis spécialisé donné reflète bien le souci de la santé du patient, non celui de la santé de l’institution. Sachant qu’il nous importe de garantir l’accès aux soins les plus sophistiqués si et seulement si besoin en est, évitant ainsi la surproduction de soins. Il est également nécessaire de reconnaître et enseigner la complémentarité entre le travail des généralistes et des médecins de médecine préventive : ONE, médecine scolaire, médecine du travail… pour augmenter la plus-value de ces moyens de prévention par l’apport généraliste dans la détection et le suivi des problèmes. Nous sommes témoins dans nos consultations des difficultés rencontrées par les travailleurs face à la médecine du travail par manque d’accès à cette médecine protectrice ou par un soutien trop timide du travailleur par le médecin du travail face à certains employeurs aux pratiques parfois féodales. Il est urgent d’agir dans ce domaine ! Nous sommes témoins de la dégradation de l’état de nutrition des enfants et des ados, victimes des techniques utilisées par le monde agroalimentaire. Là aussi il est urgent d’agir ! Nous sommes témoins des difficultés de nos jeunes à vivre leur sexualité, qu’on dit libre, par manque d’éducation affective et sexuelle, par « marchandisation » de leur liberté et commercialisation de l’image sexuelle, dont la pornographie est l’expression la plus spectaculaire. Le médecin généraliste rencontre aussi les familles des patients, parfois sans connaître les patients dont elles parlent. Ceci est remarquable dans les problèmes d’assuétude. Les patients consultent, eux, les centres spécialisés. Nos savoir-faire et savoir-être sont alors utilisés au soutien familial. C’est peut-être là que l’appellation « médecin de famille » prend tout son sens.

La médecine générale, un outil à renforcer

Je tiens particulièrement à cadrer notre travail dans un système, financé par toutes les sortes de revenus – pas seulement ceux du travail – système assurant le maintien de la sécurité sociale solidaire et fédérale pour maintenir l’équité entre tous. Nous appelons de nos voeux l’étendue d’un système équitable à l’Europe en inscrivant sa garantie dans la constitution européenne. Nous voulons convaincre les politiques d’utiliser l’outil généraliste pour profiter de son apport majeur dans l’élaboration des politiques de santé. L’outil généraliste est porté par des milliers de médecins encore enthousiastes, mais menacés de burn out à court terme et de disparition à plus long terme si on ne prend garde de les soutenir, eux qui font front quotidiennement. L’outil généraliste, il faut le peaufiner en lui donnant les moyens. 1. imprégner le cursus universitaire dès le début de l’éclairage généraliste et multidisciplinaire. 2. créer un institut indépendant de recherche, de recueil de données et d’évaluation des soins primaires. 3. donner une place suffisante pour les représentants des médecins généralistes dans les conseils d’administration des organes de prévention, autres organes de coordination des soins et lieux d’élaboration de politique de santé. 4. il est urgent de se soucier de la qualité de vie des prestataires de soins. C’est un droit fondamental pour les patients d’avoir accès à des prestataires équilibrés professionnellement, familialement. Un exemple : qu’en est-il de la protection des grossesses des femmes médecins ? Autre exemple : le problème de la garde en médecine générale doit être remis en chantier. Et si, dans les statistiques, les plaintes contre les médecins généralistes sont majoritairement la conséquence de « défaut de prudence », suite à la fatigue et au stress du médecin, il faut que la société reconnaisse à ses généralistes la nécessité de poursuivre la revalorisation financière et organisationnelle de leur travail pour leur permettre de travailler dans des conditions saines. Pour leur permettre aussi de donner dans leurs contacts professionnels leur juste place à l’écoute, la communication, le counseling pour permettre un consentement éclairé. Ceci demande une formation spécifique, singulièrement minimisée dans le cursus universitaire, et du temps dans nos consultations, singulièrement mal honoré par les tarifs de la convention. La mixité du financement par forfait et à l’acte doit se renforcer pour éviter que la part de payement à l’acte ne constitue une charge financière trop lourde par le patient. Pour conclure brièvement : pour rencontrer les attentes des médecins généralistes, il est nécessaire et urgent de financer valablement la médecine générale… et entre autres, pour la rendre indépendante des firmes pharmaceutiques. C’est un comble que nos formations continues, nos revues scientifiques et même nos centres universitaires de médecine générale doivent se résoudre à utiliser l’apport financier des firmes, par manque de moyens publics. La fin ne justifie-t-elle pas qu’on y mette les moyens ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 40 - avril 2007

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