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Pénurie de maisons médicales en Belgique ?


Santé conjuguée n° 54 - octobre 2010

Certains d’entres vous ont pu lire dans les médias certaines critiques concernant l’alternative que nous apportons par le biais des maisons médicales. Nous sommes heureux que ce débat, que nous souhaitons depuis de nombreuses années, soit au centre de l’actualité. Beaucoup d’affirmations portées ces derniers jours ne sont pas correctes et portent préjudice à notre volonté de rendre la santé plus solidaire, plus préventive et plus globale.

Un député fédéral et un représentant des kinésithérapeutes se sont exprimés dans la presse, ils s’inquiètent de plusieurs choses : -La croissance des coûts de soins de santé ; – Le risque de sous financement consécutif pour les soins de 2e ligne ; -Des services gratuits pour des patients qui n’en ont pas besoin. Tab 1. Croissance cumulée des pratiques forfaitaires

Tout augmente…

On parle d’explosion du nombre de maisons médicales aujourd’hui. Dans quelle mesure et pour quelles raisons ? Tout d’abord il faut relativiser la croissance des maisons médicales de ces dix dernières années dans la mesure où beaucoup d’entre elles existaient déjà dans un fonctionnement à l’acte (notamment à Bruxelles). La majorité d’entre elles ont cependant décidé de passer vers un système de financement forfaitaire. Dans les budgets de l’INAMI, elles apparaissent donc autrement. Le nombre de maisons médicales est effectivement croissant. Environ 5 maisons médicales francophones apparaissent chaque année (2 à 3 en Wallonie et 2 à 3 à Bruxelles). Cette croissance est due à de multiples facteurs. • Elle répond à une volonté des médecins généralistes de ne plus travailler seuls et c’est ainsi qu’aujourd’hui plus d’un quart des médecins généralistes francophones de moins de 40 ans travaillent en maisons médicales. • Elle répond à une demande des soignants de travailler en équipe pluridisciplinaire pour envisager la santé dans sa globalité. • Elle répond à une demande des patients d’avoir des structures pluridisciplinaires accessibles tant au niveau géographique, financier, culturel… Mais qui dit augmentation du nombre de maisons médicales, dit augmentation du nombre de patients soignés. Il est donc logique que les budgets augmentent dans la même proportion. En 1984, il n’y avait qu’une maison médicale au forfait à la capitation. Elle comptait environ 2.000 inscrits, le budget était de 200.000 €. Depuis, le nombre de pratiques forfaitaires est passé à 115 ! Elles soignent près d’un quart de million de personnes dont près de 8 % de Bruxellois et 4 % de Wallons. Tous ces patients ne peuvent plus bénéficier de l’acte. Il s’agit donc seulement d’un transfert du budget de l’acte vers les soins forfaitaires et donc d’une fausse croissance budgétaire ! !

Sauf les coûts !

De plus, les maisons médicales coûtent globalement moins chères que la médecine libérale à l’acte. C’est donc en multipliant le nombre de maisons médicales qu’on optimalisera les ressources. En effet, de nombreuses études réalisées par d’innombrables chercheurs de tous bords 1 ont démontré que les maisons médicales réalisaient d’importantes économies en seconde ligne et cela dans tous les compartiments de la médecine spécialisée : hôpital, spécialistes, médicaments, biologie et imagerie. De plus, la qualité des soins est au rendez-vous. Ce tableau met en évidence que les dépenses hors première ligne des patients pris en charge dans les pratiques au forfait sont moins élevées pour chaque type de dépenses. Au total, elles sont en moyenne de 117 euros moins élevées que si ces patients avaient été soignés dans la médecine à l’acte//1. À ces économies il faut ajouter les économies de participation personnelle du patient (ticket modérateur) que nous avons estimées à 40€ par personne et par an. Tab 2. Tableau synthétique issu du rapport KCE Les chercheurs ont également étudié la qualité via les données disponibles, le KCE conclut : La cohorte au forfait pose de meilleurs choix en matière de prescription d’antibiotiques sur base des recommandations en matière d’antibiothérapie. De même, les indicateurs explorant les activités de prévention objectivent une meilleure qualité dans la cohorte suivie au forfait (dépistage du cancer du sein, vaccination contre la grippe, qualité égale pour frottis de col). Il est léger de penser que les tickets modérateurs de première ligne financent les soins pour les maladies graves. Au contraire, une première ligne gratuite permet aux patients de recevoir des soins préventifs ou précoces et d’éviter l’aggravation de la maladie donc des soins couteux2.

Une question d’équité

Nous comprenons que notre confrère puisse être surpris que des médecins, dans des communes ou quartiers plus aisés, choisissent la rémunération forfaitaire plutôt que l’acte. Notre réponse comprendra deux volets : • La Fédération des maisons médicales a clairement manifesté sa priorité 2 pour les zones en difficulté, mais pas l’exclusivité de ces zones pour l’implantation de maisons médicales ! • Par ailleurs, le forfait n’est pas réservé aux pauvres, ni aux zones urbaines. En Angleterre///4 et aux PaysBas///5 la capitation représente l’essentiel de la rémunération de tous les médecins généralistes et ils ne s’en plaignent pas. Par ailleurs, la Fédération des maisons médicales s’est toujours opposée à une médecine à deux vitesses. Les maisons médicales n’ont jamais eu comme projet de dispenser des soins uniquement pour les pauvres mais bien d’envisager la santé dans sa globalité en intégrant l’ensemble des déterminants de la santé, en dispensant des soins accessibles pour tous, continus (tout au long de la vie du patient) et intégrés (intégrant les aspects curatifs et préventifs). La médecine à deux vitesses ne ferait que renforcer une société duale porteuse de mal être social. Par contre, la mixité, qu’elle soit sociale ou culturelle, entraine de la solidarité et du bien-être. Il ne faudrait surtout pas arrêter la croissance des maisons médicales qui permet de réaliser la réforme des soins de santé dans ce pays conformément aux voeux de l’Organisation mondiale de la santé///6. Et cette réforme est indolore puisqu’elle se fait sur une base volontaire, sans pression d’aucune sorte. Pourtant certaines questions qui nous sont posées méritent toute notre attention. Est-il logique que des patients cossus bénéficient de la gratuité des soins en première ligne ? Est il équitable que des pratiques forfaitaires bénéficient d’une prime de 10 % pour biais social quand elles mêmes sont installées dans des communes aisées ? En ce qui concerne les patients, les maisons médicales sont ouvertes à tous et pas aux seuls pauvres. En matière de services publics et de services d’intérêt publics, comme les soins de santé, le principe d’équité///7 doit être d’application. Ce principe s’énonce comme suit de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. Cela signifie que chacun doit contribuer par des cotisations sociales et des impôts progressifs au financement du système. Après le bénéfice du service doit être identique pour deux patients qui présentent les mêmes besoins. D’autres méthodes comme celle qui consiste à faire payer moins d’impôts aux riches et plus de participation personnelles aux riches malades créent une discrimination qui pénalisent les malades par rapport à ceux qui ont la chance de se bien porter. Pour les maisons médicales et autres pratiques forfaitaires, la responsabilité financière est actuellement collective. Cela signifie que, si en moyenne les maisons médicales soignent un plus fort contingent de patients précarisés, toutes en bénéficient de la même manière. La commission de l’INAMI chargée de conclure des accords forfaitaires, à laquelle nous participons activement, s’est penchée sur cette question. Elle étudie la possibilité de l’application d’une formule de responsabilisation particulière pour chaque maison médicale. Si cette méthode est approuvée, les forfaits seront ajustés de manière très précise en fonction du risque de maladie y inclus le biais social de chaque patient ! Dans cette hypothèse, le risque de voir des maisons médicales installées en zones résidentielles bénéficier de primes indues s’évanouira. Y a-t-il discrimination entre les patients ? S’il y en a une, elle n’est pas de notre volonté. En effet, l’offre des maisons médicales est trop faible pour satisfaire la demande. La plupart d’entre elles refusent du monde. Pour garantir le libre de choix des patients entre les deux systèmes, il faudrait multiplier l’offre des maisons médicales forfaitaires actuelle par dix ! Ce dont souffre le système de santé belge ce n’est donc pas d’une pléthore mais plutôt la pénurie de maisons médicales en Belgique.

Documents joints

  1. INAMI, universités, mutualités, voir rapport KCE n° 85 : Comparaison du coût et de la qualité entre les systèmes à l’acte et au forfait en Belgique : http://www.kce.fgov.be/index_fr. aspx ?SGREF=3461&CREF=11502
  2. Pour rappel les maisons médicales de notre Fédération comptent quatre fois plus///4 de BIM que la population générale !///3.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 54 - octobre 2010

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